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Houria Bouteldja, sa morale et la nôtre

Et quelques destins croisés pouvant lui servir de contre-exemples...

Le papier d’Houria Boutedja sur Miss Provence qui a subi une campagne de haine antisémite du fait de ses origines israéliennes a fait beaucoup jaser. Le texte est publié ici [1] et elle l’a théorisé plus en détail ici [2]. Je ne me prononcerai pas dans cet article sur le conflit israélo-palestinien, qui est complexe.

Pour résumer sa pensée, elle considère l’anti-israélisme positif au contraire de l’antisémitisme car le premier serait le fruit d’une lutte anti-coloniale. En rappelant qu’elle est israélienne Miss Provence se rend de facto responsable de la colonisation israélienne car « on ne peut pas être israélien innocemment ». Elle explique d’ailleurs que cet anti-israélisme n’est pas dirigé contre des Juifs, ça aurait pu être un anti-tatarisme si les colons en Palestine avaient été tatars (nous reviendrons sur cet exemple fort intéressant).

Dans le second texte, elle cite Césaire « Où veux-je en venir ? A cette idée : que nul ne colonise innocemment ; que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte… », et résume ainsi la vision qu’elle a de l’identité française et israélienne en parlant de Miss Provence : « Si elle est Française, elle partage avec moi la responsabilité de l’impérialisme français : à savoir, toutes les guerres de la Françafrique, la spoliation et l’exploitation des sols et de la main d’œuvre des Africains dont des dizaines de milliers d’enfants, de la corruption organisée, et de la mort de dizaines de milliers de migrants dans ce vaste cimetière qui s’appelle ’Méditerranée’. Si elle est Israélienne, elle partage, tout comme son père, la responsabilité du colonialisme israélien : à savoir, l’expulsion des Palestiniens en 48, l’incessante colonisation des territoires palestiniens, les bombardements réguliers de Gaza (parfois au phosphore blanc) dont le dernier a eu lieu pendant la polémique qui nous occupe. ». La solution qu’elle propose à Miss France pour se « sauver » est donc d’adhérer à un projet décolonial car il n’y a que deux camps et une seule barricade. C’est aussi, pour elle, la seule façon que les Juifs ont de sauver leur judéité.

En premier lieu, on pourrait faire remarquer à Houria Bouteldja que sa culpabilité est très nationale et plutôt facile à porter : en tant que Française elle est coupable de la colonisation française, et pour lutter politiquement contre cette culpabilité elle rejette l’identité française. Mais elle ne semble pas avoir une culpabilité de musulmane du fait de la persécution massive des chrétiens dans les pays à majorité musulmane. Houria Bouteldja considère l’occupation des territoires palestiniens par Israël comme un crime inexpiable, en revanche la conversion forcée de milliers de jeunes filles chrétiennes à l’islam, les massacres réalisés par des islamistes au Nigeria ou à Garissa, l’extermination des populations chrétiennes en Asie Mineure qui se perpétue chaque jour que Dieu fait par un génocide culturel [3], la domination musulmane systémique [4], tout cela Houria Bouteldja s’en sent innocente. On pourrait paraphraser ce qu’elle-même dit au sujet des « blancs » en disant que son innocence constitue le crime. Elle en est tellement innocente qu’elle peut prendre comme exemple « neutre » un colonialisme tatar en faisant l’impasse sur la part importante des intellectuels d’origine tatare dans le projet génocidaire des unionistes turcs qui a abouti à l’extermination des populations chrétiennes d’Asie Mineure.

Et c’est là la deuxième critique que nous pourrions faire à Houria Bouteldja et mêmela plus importante. Dans son livre Les blancs, les juifs et nous, elle écrit : « Le pire, c’est mon regard, lorsque dans la rue je croise un enfant portant une kippa. Cet instant furtif où je m‘arrête pour le regarder. Le pire c’est la disparition de mon indifférence vis-à-vis de vous, le possible prélude de ma ruine intérieure ». Nous ne sommes pas du tout en accord avec les présupposés identitaires d’Houria Bouteldja. Mais honnêtement, elle est compréhensible. Quand je vois un pakistanais, je me demande ce qu’il pense des enlèvements, des conversions forcées à l’islam et des viols des jeunes filles chrétiennes au Pakistan par exemple. Moi aussi en cette ère glaciaire, j’ai perdu mon innocence intérieure. Mais elle ment quand elle dit qu’elle craint la ruine intérieure sans être tombée dedans.

En effet nous pouvons distinguer en quatre catégories de gens. Les premiers sont ceux qui nous oppriment volontairement et l’assument. C’est le projet suprémaciste islamiste ou encore celui de l’ethnonationalisme turc ou indien. C’est par exemple le djihadiste nommé Rachid dont parle cet article [5]. La seconde catégorie est composée de ceux qui ne nous haïssent peut-être pas spécifiquement mais tirent profit de notre oppression de manière concrète et brutale. On peut penser au voyageur Ibn Battuta qui dans son voyage colonial en Asie mineure explique tranquillement comment il a acheté des esclaves chrétiens [6]. Il ne le raconte pas dans une optique politique et là encore son « innocence » signe son crime. Il le fait « naturellement » comme s’il avait faim et qu’il achetait des beignets. Pour les membres de ces deux groupes, nous n’avons qu’une juste colère et un châtiment à leur apporter. Quelque soit leur religion (il peut y avoir des chrétiens justifiant, soutenant ou niant cela par aveuglement ou intérêt).

Mais là où Bouteldja est d’une radicalité folle dans sa vision du monde, c’est qu’elle « englobe au sein de ces deux groupes des gens qui n’ont rien à y faire : ceux qui appartienne au système qu’elle dénonce mais qui ne font rien de mal. Des enfants, des chanteuses, des Miss Provence. Notre morale n’est pas la sienne car elle est nourrie par l’Espérance de la Bonne Nouvelle et de la rédemption. Nous ne considérons pas une personne injuste sur le simple fait qu’elle est d’origine pakistanaise ou turque ou musulmane pratiquante ; sans rien savoir de plus sur elle, nous ne la considérons pas comme co-responsable de l’oppression des nôtres. Nous pouvons considérer l’entité politique dont ils se réclament s’ils s’en réclament comme opposée à la nôtre mais cela n’enlève rien à leur possibilité de mener une vie non politique et pour le coup réellement innocente. C’est notre divergence avec Bouteldja et Schmitt qui partagent cette même conception radicale : une conception où l’ennemi peut être défini comme étant l’ennemi uniquement pour ce qu’il est, non pour ce qu’il nous fait.

Ce texte [7] a raison de parler de responsabilité collective car il y a des pays fondés sur une ligne de faille faite de douleurs et maîtrisée par des cauchemars. On peut noter curieusement à la fois qu’il semble considérer comme équivalents l’apartheid, la collaboration, le nazisme et l’occupation des territoires palestiniens et qu’il n’appliquera pas son analyse par exemple sur la Turquie fondé sur un génocide nié et exalté en même temps. Et surtout il tombe dans la même vision à savoir qu’il ne peut y avoir d’innocence non politique. Oui, nous souhaitons que ceux qui persécutent nos frères et sœurs en Christ dans le monde voient s’abattre un châtiment mérité mais comme nous l’avons dit nous ne considérons pas que tous ceux qui vivent dans les sociétés persécutant nos frères et sœurs en Christ sans agir contre elles sont coupables de ce simple fait.

Enfin, je voudrais parler des Justes à savoir ceux qui choisissent de s’engager pour lutter contre l’oppression de nos frères et sœurs en Christ, les yeux grands ouverts. Ceux-là sont des nôtres qu’ils partagent notre foi ou non. Cela n’empêche pas dans la sphère de la Foi de leur annoncer la Bonne Nouvelle qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Mais ils font partie du « nous » au sens de l’entité politique là où d’ailleurs les chrétiens des deux premiers groupes sont des ennemis politiques. Ce peut être une marxiste athée Ivana Hoffmann, morte pour défendre un village chrétien contre l’état islamique, un intellectuel néo-païen et disciple de Plutarque s’engageant pour les chrétiens persécutés du fait de leur foi et de leur appartenance au christianisme ou une députée musulmane turque portant le foulard islamique et luttant inlassablement pour protéger les derniers chrétiens survivants en Turquie.

Ivana Hoffmann fut un peu médiatisée en étant la première volontaire internationaliste à être tombée face à l’Organisation état islamique. Un texte est paru sur elle dans un média de la presse nationale catholique [8] où elle est définie comme une : « allemande, d’origine togolaise, extrémiste de gauche et militante homosexuelle. ». Il ne manquait que « Kouffar » et « croisée » pour lire un texte daeshien. L’auteur oublie le point essentiel : la question n’est pas de savoir si Ivana Hoffmann partageait nos idéaux politiques ou si sa vie correspondait entièrement à nos normes morales. Chacun de nos actes compte et vaut pour son effet dans le monde.

Examinons donc les actes d’Ivana Hoffmann. En 2015, l’organisation état islamique a attaqué la vallée du Khabour peuplée de chrétiens assyriens pour beaucoup descendants du génocide de 1915. Ils ont enfoncé les défenses locales, tuant des civils assyriens et en capturant d’autres comme esclaves ou otages. [9]

Caroline Shlimoun, jeune fille assyrienne de 14 ans, fut mariée de force à l’un des émirs de l’Etat islamique, mettant en application leur sadique théologie du viol. C’est la contre-attaque des forces assyriennes et kurdes qui a libéré la vallée du Khabour. Ivana Hoffmann est morte en héroïne comme tant d’autres martyrs. Leur sacrifice a permis à la population chrétienne assyrienne de Khabour de vivre une paix précaire et maintenant menacée par l’expansionnisme turco-islamique. Leur sacrifice a permis la fin de l’état islamique dont cet extrait [10] résume à lui seul l’horreur. Nous pouvons donc rendre hommage à Ivana Hoffmann en compensation de l’article paru dans Mediaspressinfos.

Ivana Hoffmann est née dans la ville allemande de Duisbourg. Elle s’est très tôt politisée en s’engageant pour la cause kurde et à la lutte contre les injustices. D’après les témoignages de sa famille et de ses proches [11], les injustices la révoltaient. Elle s’est engagée, s’est formée là-bas et est partie au combat. Puis elle est tombée. Son attitude n’est pas sans évoquer cette "chanson de Roland" [12]

Alors certes, Ivana Hoffmann n’était pas croyante. Mais nos amis sont ceux qui luttent contre l’oppression dont souffrent les nôtres.

On peut connaitre une rédemption comme Saint Paul lui-même (la députée turque mentionnée plus haut était auparavant une islamiste classique, et encore auparavant une proche des ultranationalistes turcs antichrétiens). J’espère qu’Houria Bouteldja en aura également une (car si on peut mener une vie innocente si on se borne à être turc ou pakistanais ou musulman, il est plus difficile de la garder quand on a un discours engagé sur le monde). Va Houria Bouteldja, nous ne te haïssons point car nous croyons en la Rédemption pour tout homme et toute femme.

Rainer Leonhardt

[6« J’achetai dans cette ville une jeune vierge chrétienne, moyennant quarante dinars d’or. » p. 309 et « J’achetai dans cette ville une jeune esclave chrétienne, nommée Marghalithah (Marguerite). » p.318 : https://fr.wikisource.org/wiki/Voyages_(Ibn_Battuta,_Sanguinetti)

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