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« Les nobles, qu’aux yeux du peuple, avaient tort seulement d’avoir des privilèges, ont bientôt eu tort d’être des nobles. »
Figure incontournable de l’histoire des idées au Québec et considéré jusque tout récemment comme le plus grand historien du Canada français, le chanoine Lionel Groulx en prend pour son rhume depuis la Révolution tranquille, ce « séisme mystérieux » qui eut des retombées plus néfastes que la Conquête et davantage depuis le dernier référendum sur l’indépendance du Québec : Lionel Groulx revêt les habits d’un réprouvé. À l’instar du clocher à doubles lanternons de la paroisse, que nos faussaires de l’esprit aux mœurs d’ilotes souhaiteraient muséifier afin de nous rouler davantage dans le néant ou dans un quelconque marais casuistique de la laïcité, ce personnage coiffé d’un chapeau romain au charme suranné vient rappeler aux Québécois francophones — comme il est convenu de dire bêtement aujourd’hui — que l’homme est d’abord un héritier. Et c’est bien ce qui horripile les déracinés et les iconoclastes coléreux du parti des exaltés de la gérontocratie québécoise. Dans cette grande maison à l’envers qu’est le Québec moderne, l’œuvre du chanoine Groulx nous semble soudainement beaucoup moins ringarde ou désuète que les roturiers de la bien-pensance voudraient nous le faire croire.
Avec les expérimentations identitaires prodiguées sur le terrain par nos coryphées du vivre-ensemble : universitaires hâbleurs, comédiens souffrant d’anémie égalitaire, écrivassiers benêts, salonnards illettrés et journalistes idéologisés, qui se multiplieront jusqu’à l’errance sous le pontificat intellectuel de l’ayatollah jonquiérois [1] ; synonymes de civilisation, les livres aux reliures défraîchies de la bibliothèque d’Action française de nos grands-pères pourraient s’avérer être des phares inespérés dans l’obscurité pour tous ceux qui aspirent à sauver l’essentiel de ce pays de Québec déjanté. Car à l’image du reliquaire des vieilles choses disparues de Gérin-Lajoie, de la plume caustique de Valdombre ou du dandysme « exotique » [2] de Victor Barbeau, ce qui est vrai et bon ne peut devenir mauvais. Le vieux chanoine avec sa voix chevrotante nous redit qui nous sommes et ce que nous ne sommes pas. Simplement. À nous les réfractaires qui besognons au milieu des décombres à la résurgence des principes et valeurs de l’ancien monde, il nous invite de l’au-delà, dans l’apothéose de nos saints martyrs et héros de la foi. Malgré le boxon dans l’Église et les vicissitudes dont l’histoire nous astreint dans cette vallée de larmes insondable, à demeurer fidèle au « double caractère », catholique et français, de notre être national pluriséculaire.
Né le 13 janvier 1878, petit et grêle, très grêle précise-t-il d’entrée de jeu dans ses mémoires, dans une modeste maison de cultivateur du rang des Chenaux à Vaudreuil, assiégée par les rafales du Nordet et sa poudrerie galopante. C’est dans ce cocon douillet que Joseph Adolphe Lionel Groulx fera ses premiers gazouillis. À l’abri entre les murs d’épinettes équarries grossièrement par la hache du gentilhomme-paysan, celui qui plus tard sera prêtre, professeur, écrivain et historien, entamait sans le savoir le premier feuillet d’une vie providentielle. Du créneau de sa citadelle intérieure inexpugnable, le chanoine Lionel Groulx, trônant pour l’éternité sur l’empyrée de notre historiographie, aura plus que quiconque senti battre le cœur de notre petite patrie.
Enfance heureuse dans les rapaillages de la « terre du bois », à l’ombre des érables à l’écorce mousseuse, dans un paysage agreste qui invite aux réminiscences d’enfant ou aux fécondes méditations, avec ces maisons ancestrales disséminées ici et là tout en sinuosité. Factionnaires bienveillants, face au lac des Deux-Montagnes, que ces foyers baroques saturés de souvenirs, aux avant-toits retroussés annonçant quelques lucarnes aux bardeaux de cèdres émaciés. Portant noblement sur leurs contreforts les stigmates du blanchissage à la chaux tout en veillant depuis des lustres sur les longues étendues de terres, aux sillons fumants, retournés jadis à satiété par le soc de la charrue rustique de nos pères. Des roches poussent de ce sol argileux ,à chaque dégel, comme par désolation, et quelques bouquets de sapins, d’épinettes, d’aulnes, et de cèdres odoriférants résistent âprement entre les clôtures de perches où des merles d’Amérique plaisent parfois à se bomber la cuirasse cannelle. À l’ouest, pointant derrière la modeste croix de chemin, au-dessus de la toiture en tôle à baguettes du presbytère et les cimes des grands chênes, qui s’élancent vers le ciel, voilà l’imposant clocher argent de l’église Saint-Michel de Vaudreuil, enserré par les blés, avec les tombes des ancêtres venus s’accoler autour de la pierre d’autel comme pour associer les morts aux vivants dans l’éternel renouvellement des générations. C’est dans cette belle petite collectivité aux mœurs féodales, tissée serrée, traditionnelle et très belle, que le petit Lionel Groulx trempa ses deux mains dans la terre grasse montérégienne et s’imprégna de la plus belle façon qui soit : de l’âme de ce pays de Québec, de sa personnalité unique, enracinée dans un territoire et dans l’histoire, de ses chansons anciennes prodigieusement chargées d’humilité et de promesse de vie, entonnées sur la voiture à foin dans la brise tiède du soir au retour d’une journée de rudes travaux campagnards.
[1] Gérard Bouchard, sociologue, écrivain, professeur et historien révisionniste, mais encore et davantage : chantre du vivre-ensemble, de l’américanité et théoricien de l’interculturalisme.
[2] Annette Hayward, La querelle du régionalisme au Québec (1904-1931). Vers l’autonomisation de la littérature québécoise, Ottawa, Le Nordir, 2006.
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