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Iberville, l’hiver, et les misères de notre temps (2/3)

Ce texte est le second d’une série de trois articles, tous consacrés à l’âme de la Nouvelle-France. Son auteur, Jules d’Haberville, descendant des pionniers qui façonnèrent l’Amérique française, nous livre les traits saillants de cette identité canadienne-française et catholique, sous le signe des lys et de la Croix.
Le chanoine Lionel Groulx, figure de proue du nationalisme canadien-français, en compagnie de Théodore Botrel, à Port-Blanc (Bretagne).
Catholiques enracinés

À l’ambivalence identitaire qui prévalait déjà dans le Québec « d’Ancien Régime », entre le nationalisme pancanadien incarné par Henri Bourassa et la fidélité sans failles aux « 65 000 vaincus de 1760 » du chanoine Groulx et de l’Action française, est venue s’ajouter le néonationalisme de l’école historique de Montréal.

L’opération de redéfinition du nationalisme traditionnel de « survivance » vers le néonationalisme [1] a contribué sur le long terme à brouiller nos symboles identitaires et à certainement altérer la poésie de notre être national. L’école historique de Montréal, avec les brillantissimes Séguin, Frégault et Brunet, a eu une grande influence sur cette « mutation exceptionnelle » [2]. Cette ambition régénératrice, sous une impulsion de noble intention, semble paradoxalement nous avoir coupés de notre tradition, de « l’idéal à poursuivre », multiséculaire. Cette discontinuité de la reconnaissance filiale, des liens spirituels qui nous unissaient avec les morts, à ensuite pavé le boulevard à toutes les trahisons des « ingénieurs » sociaux et identitaires des temps nouveaux avec lesquels nous nous devons de ferrailler aujourd’hui. Nous ne pouvons que constater impuissamment, comme Groulx l’avait pressenti, la déconfiture de cette braderie mémorielle et « jusqu’à quelle néfaste décomposition intellectuelle et morale » [3] cette révolution nous aura finalement amenés. Le peuple, ce miraculeux héritier, semble avoir perdu la noblesse que lui conféraient ses mœurs et sa moralité élevées d’antan. À l’ancienne cohésion sociale et culturelle, autrefois assurée par la religion, succède une société postchrétienne complètement dysfonctionnelle.

Les « déconstructeurs » qui régissent le Québec d’aujourd’hui sont en quelque sorte les héritiers des grands penseurs de la Révolution française ; ce sont des universalistes. La démocratie et sa religion des droits de l’homme ont simplement remplacé l’idéalisme, la « vocation » chrétienne, du Canada français. Pour eux la « québécité » est une bouillie de langue française cosmopolite où l’homme est littéralement interchangeable. La nation canadienne-française nous semble prisonnière de cette doctrine malsain et de cette nouvelle « culture québécoise originale » [4] que l’on tient mordicus à nous imposer, pour notre bien, jusque dans nos campagnes les plus reculées. Voici donc les quatre composantes qui structurent actuellement, comme le dirait le « néo-gallican » Fernand Dumont, cet « artifice de politiciens » [5] :

  • Une majorité d’origine canadienne-française qui a acquis, au cours des trente dernières années, une nouvelle conscience d’elle-même. Cette majorité a accédé, dans son ensemble, à la modernité, sans pour cela renoncer à son identité. Une identité qui prend désormais le nom de « québécoise » et qui s’affirme d’autant plus que, dans les faits, la modernité a rapproché sensiblement le mode de vie des Québécois francophones de celui des autres Nord-Américains.
  • Une importante minorité anglophone qui a puissamment contribué à façonner le visage économique, politique et architectural du Québec. Cette population ne détient plus le même pouvoir que dans le passé mais elle n’en devrait pas moins continuer d’exercer une grande influence, quel que soit l’avenir du Québec.
  • Une population autochtone d’environ 100 000 personnes qui revendique des droits de premiers occupants, voire la souveraineté politique, et proclame plus que jamais sa spécificité.
  • Des minorités de diverses origines, issues de vagues d’immigrants récents ou lointains. Plusieurs sont déjà assimilés à la communauté anglophone. D’autres ont choisi récemment, plus ou moins librement, de s’intégrer à la majorité. Un grand nombre d’entre eux hésitent encore et demeurent identifiés à leur culture d’origine [6].
Les origines
Canadien et canadienne.

Cette approche idéologique, qui porte l’empreinte du relativisme culturel, que l’on nomme chez nous « l’interculturalisme » s’inspire directement de la Révolution tranquille. Seuls les Québécois d’origine canadienne-française et quelques immigrants se considèrent vraiment comme des Québécois. Ces élucubrations de « socle commun », « contrat moral » ou foyer de convergence » [7], nées dans des cervelles qui visiblement appartiennent à des vieillards par l’esprit, sont d’un autre âge. Le réel avec « l’évolution » démographique qui nous défavorisera inévitablement dans un régime démocratique, subséquemment aux différentes vagues migratoires et aux non-renouvellements des générations « souches », reprendra bientôt le pas sur l’utopie. L’identification territoriale, la langue française comme seul référent, ou la laïcité ne constitueront jamais des éléments de jonction, des liants suffisamment forts pour souder des peuples de langue, culture, religion et civilisation différente. L’on prépare dans ces cénacles « éclairés » un avenir pour nos enfants des plus inquiétants. Précisons aussi que « l’évolution », très malléable, des mentalités va bon train. S’approprier l’homme, comme le démontre Xavier Martin, n’est-il pas l’un des soucis majeurs et déterminants de l’univers mental révolutionnaire [8] ? Le constat donne le vertige. La « belle province » périclite, elle nous semble abimée. Un matérialisme des plus lourds et des plus sombres nous a envahi. Que reste-t-il de cette civilisation qui nous avait été laissée en dépôt ? Tachons donc d’oublier, suite à ce bref survol de l’état des lieux, cette médiocrité qui me ronge le cœur et revenons plutôt à nos moutons où devrai-je dire comme ce cher Voltaire (ironie palpable) ; aux « arpents de neige ».

Canadien à raquettes

Mes raquettes du Village-des-Hurons [9] ne sont jamais bien loin à la maison lorsque tombe enfin la vraie première bordée de neige. C’est un éternel recommencement lorsque revient la saison froide. J’entends l’appel du grand large ; « je rêve d’aller comme allaient les ancêtres » [10], endimanché pour la guerre à l’indienne [11], à courir les bois, mousquet de Tulle et corne à poudre en bandoulière. Depuis l’enfance, grâce aux livres, mon imaginaire s’est nourri de personnages mythiques. Je rêvais la nuit et même le jour de faire partie des expéditions périlleuses du sieur d’Iberville. Croiser le fer avec l’ennemi, vivre la fraternité des armes, pour le triomphe des lys jusque dans les territoires septentrionaux les plus reculés de l’Amérique française. Quelle déveine en définitive que d’être né à une époque où l’horizon est si restreint !

Pierre Le Moyne, sieur d’Iberville et d’Ardillières, fut baptisé le 20 juillet 1661 à Ville-Marie (Montréal) et mourut à La Havane vraisemblablement le 9 juillet 1706. Il est sans doute le plus célèbre fils de la Nouvelle-France ; ses épopées sont légions. Il est d’ailleurs le premier canadien à avoir été décoré de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis [12]. Et s’il advenait un jour, à l’heure marquée par la divine Providence, que nous obtenions enfin notre « État français », il faudrait bien rapatrier au pays les restes de ce brave gentilhomme qui repose toujours au Palais des Capitaines Généraux de la Havane.

On ne parle plus beaucoup de lui dans les écoles. Trop viril probablement pour les nouvelles cohortes de pédagogues patentés du Ministère de l’Éducation. Avouons que le bonhomme cadre plutôt mal dans leurs perspectives « d’égalité des genres ». On préfère présenter à la jeunesse des modèles plus « conformes ». Les freluquets bi-curieux remportant des succès au festival de Cannes ont le vent en poupe. Ils ont toutefois le désavantage d’inoculer chez la jeune génération une véritable « culture de mort ». D’Iberville ; l’homme d’action à rebours des « valeurs » dégénérés de notre temps, à bien de quoi inspirer les jeunes en quête d’identité…

C’est à l’automne 1696, il y trois cent ans dix-neuf ans presque jour pour jour, que la campagne de Terre-Neuve, qui devait le consacrer comme le « Cid canadien », débuta. La guerre de la Ligue d’Augsbourg tirait à sa fin. La plupart des fronts étaient relativement calmes sur le théâtre européen des opérations militaires. Seul le corsaire Jean Bart retenait véritablement l’attention. Le dunkerquois exprimera tout son génie dans la mer du Nord, à la bataille de la Dogger Bank. En Canada, cette période de notre histoire peut ressembler à une « guerre de Trente Ans ». Elle débuta vers 1680 avec les combats contre la confédération iroquoise et se termina avec le déplorable Traité d’Utrecht de 1713. Elle constitua la crise centrale de l’histoire de la Nouvelle-France [13]. Suite au Traité d’Utrecht, la colonie laurentienne marchera irrévocablement à sa perte. Mais en 1696, tous les espoirs étaient encore permis.

Jules d’Haberville

Ex-voto
Le sieur d’Iberville

[1Jean Lamarre, Le Devenir de la nation québécoise, Septentrion, 1993.

[2Guy Frégault, Chronique des années perdues, Léméac, 1976, p.157.

[3Guy Frégault, Lionel Groulx tel qu’en lui-même, Léméac , 1978, p. 225.

[4Gérard Bouchard, L’Interculturalisme, Boréal, 2012, p. 74.

[5Fernand Dumont, Raisons communes, Boréal, 1995, p. 55.

[6Guy Laforest, L’identité québécoise en mutation, Un Québec responsable, Groupe Réflexion Québec, Encyclopédie de L’Agora.

[7François Rocher, Micheline Labelle, Ann-Marie Field, Jean-Claude Icart, Le concept d’interculturalisme en contexte québécois : généalogie d’un néologisme, Rapport présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (CCPARDC).

[8Xavier Martin, S’approprier l’homme, Dominique Martin Morin, 2013.

[9Réserve amérindienne de la nation Huronne-Wendate située dans la région administrative de la Capitale-Nationale.

[10Alfred Desrochers, À l’ombre de l’Orford, [1930], Fides, 2012, p. 21-22.

[11Guerre d’embuscade pratiquée par les Amérindiens d’Amérique du nord qui se déroulait généralement dans les bois.

[12Aegidius Fauteux, Les Chevaliers de Saint-Louis en Canada, Les Éditions des Dix, 1940.

[13Lionel Groulx, Histoire du Canada français, [1950], Fides, 1960, p. 132.

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