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Iberville, l’hiver, et les misères de notre temps (1/3)

Ce texte est le premier d’une série de trois articles, tous consacrés à l’âme de la Nouvelle-France. Son auteur, Jules d’Haberville, descendant des pionniers qui façonnèrent l’Amérique française, nous livre les traits saillants de cette identité canadienne-française et catholique, sous le signe des lys et de la Croix.

« C’est pourquoi la qualité de Français ne sera jamais sur ce continent qu’un acte réfléchi, conscient de volonté. J’oserai presque dire : ne sera jamais qu’un sacrifice allègrement consenti. Impossible de nous leurrer là-dessus. Être Français en Amérique exclut toute possibilité d’accoutumance, de routine. Bien plus qu’une manière d’être, c’est une manière d’agir. C’est un rayonnement, un apostolat. »

(Victor Barbeau, Pour nous grandir)
Rodolphe Duguay, 1930
Après-midi d’orage

Les feuilles tombent de nos vieux érables à sucre et le temps pluvieux, souvent maussade, annonce les grands froids à venir. La nature nous presse de terminer nos dernières corvées extérieures. Déjà pouvons nous anticiper les premières rafales de poudrerie qui balayeront bientôt nos maisons et recouvreront les tombes de nos ancêtres. L’hiver est ma saison préférée. Je l’affirme bien souvent avec désinvolture, par bravade, parmi les miens, puisqu’il est mal vu par mes contemporains « au pays de Québec » d’apprécier l’hiver. À vrai dire, c’est la saison où je me sens le plus canadien-français. Délire passéiste pour les non-initiés et affront réactionnaire aux canons de la modernité puisqu’il faut maintenant s’affirmer « québécois ».

Une nationalité bien ingrate disons-le, oublieuse et constamment vindicative à l’endroit de son passé canadien-français et catholique. Le Québec doit pourtant tout au catholicisme, même sa sécularisation. Un Québec « d’avant » que l’on aime à dépeindre péjorativement en soutane. C’est pourtant celui que je préfère. J’ai souvent l’impression d’avoir plus de points en commun avec l’un des personnages de Claude-Henri Grignon [1] ou même un quelconque nonagénaire obséquieux rencontré par hasard après la « messe de toujours » qu’avec le déraciné lambda de ma génération souvent formaté par l’État socialisant et la société marchande.

Ce vocable « québécois », qui a singulièrement mal vieilli, est « l’héritage » que nous a légué une poignée d’iconoclastes allant des revues Parti pris et Cité Libre à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. À ces éléments progressistes inélégants, nous pouvons ajouter des prêtres « nouvelle-vague », des excités de la gouache, des laïcs entreprenants issus de multiples mouvements d’Action catholique [2], mais aussi des intellectuels nationalistes de qualité comme nous le verrons qui ont fait au cours du siècle dernier la Révolution Tranquille ; mythe fondateur du Québec moderne s’il en est un.

Brièvement, cette révolution est en quelque sorte un grand panachage où s’additionnent des éléments de la Révolution française, sans les têtes coupées et les colonnes infernales de Turreau (d’où le qualificatif « tranquille »), et le délire libéral-libertaire de mai 68. Ajoutons à cela une trame de fond de « printemps » dans l’Église, ou pour reprendre les mots de la praxis moderniste : de « nouvelle évangélisation ».

Le lys et la croix
Le Québec « d’avant »

En somme, le québécois est un canadien français déchu de son antique splendeur, ayant perdu ses attributs fondamentaux, sa spécificité distinctive qui lui avait permis jusqu’alors d’assurer sa pérennité à l’intérieur d’un environnement anglo-saxon souvent hostile. Au Québec, la modernité a bouffé au-delà de toute espérance la tradition, comme le constate Joseph Yvon Thériault [3]. Il suffit d’analyser le rapport Tremblay [4], cette « bible canadienne-française » dont voici un cours extrait : « la culture canadienne-française est en effet, une forme particulière de l’universelle conception chrétienne de l’ordre et de l’homme. La France de tous les temps, surtout celle des débuts du Canada, est l’une des réalisations les plus authentiques de la conception chrétienne de la vie et de la civilisation. C’est pourquoi né Français, le peuple canadien est né chrétien. C’est pourquoi, dans la mesure où, au nom de l’histoire, il a vécu en profondeur sa culture d’origine et s’est affirmé peuple d’esprit chrétien. Quant au génie français, on reconnaît qu’il est généralement du type rationnel, enclin au raisonnement. La culture canadienne-française, variante américaine du type originel français, est qualitative, spiritualiste, personnaliste et communautaire ».

Nul besoin d’être féru d’histoire ou d’avoir une « tête à Papineau » [5] pour comprendre la métamorphose qui s’est opérée. Il suffit d’être légèrement observateur...

Jules d’Haberville


[1Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, [1933], 10 sur 10, 2008.

[2Michael Gauvreau, Les origines catholiques de la Révolution tranquille, Fides, 2008.

[3Joseph Yvon Thériault, Critique de l’américanité, Québec Amérique, 2005, p. 226.

[4« En 1953, le premier ministre Maurice Duplessis confie à la Commission Tremblay le mandat d’étudier le problème des relations fédérales-provinciales au Canada du point de vue fiscal, dans le cadre de la lutte menée par Québec contre la politique centralisatrice d’après-guerre du gouvernement fédéral. Les commissaires, qui déposent leur rapport en 1956, fondent leurs recommandations sur un impressionnant étaiement philosophique […]. Sous l’impulsion de trois des intellectuels canadiens-français les plus en vue de l’époque, Esdras Minville, le père Richard Arès, s.j. et François-Albert Angers, la commission a en effet produit une véritable somme théorique et pratique du nationalisme traditionaliste canadien-français, synthétisant réflexions et projets de réforme qui mûrissaient depuis les années 1920. […] la pensée politique « classique-chrétienne » inspirant le rapport, qui justifie philosophiquement l’autonomisme canadien-français, donne leur sens aux exhaustives recommandations du rapport et fonde l’ambitieux projet de civilisation nationaliste, conservateur et catholique qu’élaborent les commissaires autour du concept de fédéralisme social. », Dominique Foisy-Geoffroy, Le Rapport de la Commission Tremblay (1953-1956), testament politique de la pensée traditionaliste canadienne-française, Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 60.

[5L’expression Ça prend pas la tête à Papineau signifie qu’une chose n’est pas difficile à comprendre ou qu’une personne aurait dû réussir facilement la tâche qui lui était attribuée (Louis-Joseph Papineau était un politicien reconnu pour sa grande intelligence. Il a mené les Patriotes durant la rébellion de 1837).

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