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La lettre n°185 d’Augustin nous corrige, quelle que soit notre « opinion » sur la liberté religieuse ou l’attitude à observer vis-à-vis des schismatiques et des hérétiques. En ce qu’elle est plus actuelle que les enseignements médiévaux, et en ce qu’elle nous réforme tous, cette lettre laisse espérer qu’une réconciliation (avec les « cathos » hors-les-murs, avec les « cathos » ad limina, avec les orthodoxes, et peut-être avec certains protestants) se fera sur les écrits des Pères de l’Église.
Cette lettre prend en effet à rebours l’idée que les catholiques français peuvent se faire de la liberté religieuse. Ces choses-là étant bien connues et expliquées ailleurs, elles seront exposées très brièvement. Se posant les questions que les Antiques et les Modernes ont en partage, loin du « confort » médiéval, Augustin répugne d’abord à recourir à l’autorité impériale pour résoudre le problème donatiste. Il envoie d’abord une lettre suggérant de simples amendes. Mais, après les atermoiements de sa tendresse, il se résout finalement à une intervention impériale plus musclée, à cause de la terrible contrainte exercée par les donatistes sur les âmes de son troupeau, considérant qu’il est plus cruel de laisser tant de ses brebis aux mains encore plus cruelles des donatistes que de les laisser impunies. Évêque, il est comptable de leur salut céleste avant d’être responsable de leur intégrité terrestre. Quant à l’empereur ou ses représentants, il doivent garantir le respect de Dieu et protéger la paix catholique. Le compelle intrare (Lc. XIV, 23.) d’Augustin est une réponse aimante aux représailles des circoncellions sur tous ceux des donatistes qui, libres, choisiraient la vie dans l’Église de Dieu plutôt que la mort hors de celle-ci. En somme, le châtiment, ou la crainte de celui-ci, s’il est un moteur moins parfait que la charité, n’en est pas moins nécessaire au grand nombre, et même aux meilleurs, à l’exemple de Saul, corrigé par le Maître en personne. [1] Cette poursuite motivée par l’amour valait donc mieux que la terreur qu’inspiraient les circoncellions, bras armé des donatistes, laquelle empêchait beaucoup de pauvres personnes, qui auraient été catholiques sans le joug donatiste, de se convertir. Finalement, la politique des évêques africains fut fructueuse, et Augustin se réjouit que la lettre dans laquelle il suggérait de simples amendes ne fût jamais arrivée.
La longue réflexion que le Père de l’Église nous offre donne à voir la nécessité et la justice d’une telle décision, les scrupules d’une âme délicate et tempérante comme celle d’Augustin à la prendre, mais aussi la prudence et la force dont notre saint fit preuve dans son application. Autant dire que la doctrine augustinienne ne forme pas des va-t-en-guerre christiques ou des pourfendeurs d’hérésies, mais d’abord des chrétiens courageux, ayant sans cesse devant les yeux le salut de leurs frères et l’espérance de la conversion. Tant qu’un homme vit, il peut être amené à la Vérité. Et Augustin ne nous laisse pas démunis. Ce qui a souvent échappé aux lecteurs de la lettre d’Augustin à Boniface, occupés qu’ils étaient à critiquer la « violence » du pasteur, c’est le critère qu’il donne pour reconnaître un schisme de manière sûre et sans érudition théologique.
Ce qui caractérise le schismatique est, selon Augustin, sa tendance à considérer la justice [2] comme son bien propre. Il doit en effet s’arroger celle-ci, non seulement pour s’en vanter, mais surtout pour pouvoir la dispenser [3]. Comme la vie déserte le membre amputé, même si ce membre conserve sa forme originelle, la justice divine ne circule plus dans les églises schismatiques. Quand l’Esprit de paix et de charité se retire, le schismatique n’a plus d’autres possibilités que d’ « établir lui-même (Rom. X, 3.) sa propre justice, c’est-à-dire une justice qu’il se serait donnée à lui-même ». Quant à l’Église, elle ne peut s’attribuer la propriété d’aucun de ces biens, car les biens, quels qu’ils soient, sont « aux pauvres » : elle les reçoit sans orgueil, les administre sans usurpation et les partage sans cupidité. Elle ne veut point s’accaparer la justice des schismatiques, ce sont ces derniers qu’elle veut (II Cor. XII, 14). « C’est pourquoi, si le corps du Christ emporte les dépouilles des impies et que les richesses des impies s’amassent pour le corps du Christ [4], les impies ne doivent pas demeurer dehors pour calomnier l’Église, mais plutôt y entrer pour être justifiés. »
Ainsi, toute tentative organisée ou intérieure de monopole de la morale, des sacrements ou de la grâce ne peut se faire qu’hors les murs. Il ne m’appartient pas de juger les « camps » en présence. En revanche, il vous appartient de juger si vous faites partie du bon.
[1] En outre, les évêques catholiques africains ont toujours fait preuve de ménagement envers les donatistes qui, après une pénitence nécessaire, étaient intégrés dans l’Église de Dieu sans second baptême avec leur « rang » antérieur.
[2] Entendu au sens plein du mot.
[3] "Car ils prétendent communiquer la justice à ceux qu’ils baptisent"
[4] Sag. X, 19
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