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Sur le bien commun

27 mai 2013 Athanase Ducayla


S’il commence à être évident pour de plus en plus de personnes que le bien commun doit être le seul principe politique autour duquel doivent s’ordonner les actions, il apparait que sa définition n’est pas si bien comprise. Nous proposons donc dans cet article de montrer à quel point le bien commun est concret, et nous le ferons au travers du réalisme, compris ici comme l’opposé du progressisme. Cela permettra de rejeter aussi bien le libéralisme que l’étatisme et les régimes autoritaires, pour trouver la voie la plus naturelle, celle dont la France a besoin.

Le réalisme contre le progressisme

Nous avions écrit dans cet article le texte suivant, qui permet d’introduire notre propos :

« Nous n’aurons de cesse que de combattre toute idéologie afin de prôner le retour au réel, à ce qui est au delà des revendications égoïstes de chacun et d’un prétendu mouvement dialectique de l’histoire. Ces deux axes de justification d’un refus intégral d’accepter la saleté et la médiocrité de la condition humaine, ces deux axes sont des illusions, et deviennent en conséquence des viols de la réalité. Dans les deux cas, c’est le « progrès » qui est pris comme moteur socio-politique, changeant de nature et passant ainsi d’un simple moyen de converger vers le bien commun, à une fin complètement déconnectée du pays réel. C’est une fin mise en abîme, qui s’entretient elle-même dans une spirale de destruction, macabre parodie de l’Amour éternel et créateur de la Trinité. Ce faisant, le mot prend une majuscule, en tant qu’idée déifiée, rendue universelle non pas par conformité avec le réel, mais par la proclamation de son universalité. Le fait est que la République est une véritable religion, et que le Progrès est le substitut de l’Amour dans la religion catholique !

Dans le christianisme en effet, clef de voûte de la politique réaliste, le seul principe fondateur [1] en tant que tel est bel et bien l’Amour. C’est pour cela que le Christ est un excellent modèle politique réaliste, à condition qu’il reste l’unique principe, et que ne soient pas pris certains de ses discours comme principes politiques, ce qui serait une dangereuse déviance nourrissant à la fois le progressisme et le conservatisme [2]. Dans la République, le principe fondateur, qui est aussi la fin, est le Progrès ; mais voilà : comment ce qui était un moyen de converger vers le bien commun peut-il devenir un principe politique, à la place du bien commun ?

Le progrès authentique et réel, est l’amélioration des conditions de vie, en vue de converger vers le bien de chacun et de tous. Ainsi, grâce au progrès, il est de plus en plus facile de procurer un bien. La seule façon de définir le bien commun est d’admettre que c’est ce que tout le monde sans exception partage : le réel. Le mal n’est pas contenu, en soi, dans le réel : il n’est que la dégradation de la réalité. Cette dégradation est incessante et le simple acte de vie est un combat continu. Pour combattre cette dégradation il est absolument nécessaire de conforter sa pensée avec la réalité, c’est à dire de chercher la vérité, qui ne peut être que partagée et non possédée.

Mais dès lors que le bien commun est écarté au profit de dialectiques matérialistes ou de revendications personnelles, le progrès se retrouve orphelin du bien commun, et pour ainsi dire « tue le père » et prend sa place : la nature a horreur du vide. Le progrès devient alors autonome, enfermé sur lui-même, à la fois moyen et fin, ce qui produit une spirale infinie, un emballement toujours plus dangereux.

La politique se construit alors non plus autour du bien commun, mais autour du progrès. Tout ce qui est traité dans ce contexte sera donc considéré par rapport au progrès : tout finira donc par être défini par et en vue du progrès. Cela est extrêmement inquiétant car si le bien commun ne change pas au delà de la dégradation dont nous en sommes témoins, le progrès lui ne peut que changer. »

Sur l’importance de l’histoire de l’humanité pour bien comprendre la notion de bien commun

Nous l’avons vu, une société qui prend le progrès comme principe politique devient ce que nous connaissons. Outre le fait que cette idéologie est mortifère, elle ne correspond pas à la réalité. En effet, il est grand temps d’admettre que le progrès sain est celui qui correspond au réel, à ce qui est, c’est-à-dire celui qui permet de converger vers le bien commun, et en conséquence le bien de chacun. Ainsi, il est indispensable de définir ce qu’est le bien commun d’un ensemble d’individu et le bien propre d’un individu. Il s’avère qu’il est impossible de le faire si nous gardons le schéma de l’évolutionnisme et donc du progressisme qui en découle.

En effet, en supposant une amélioration et une complexification croissante de l’être humain et du monde à partir du Big Bang, il n’est plus possible de parler d’une plénitude originelle de l’être, puisque l’évolution semble infinie. Le bien d’un individu, étant sa fin, ne peut être atteint par cette vision du monde, puisqu’elle ne contient pas de limites claires, à part un prétendu paradis terrestre que personne n’est capable de définir, vu qu’il dépend du progrès.

Le véritable mal tient dans l’approche évolutionniste du réel. Il est urgent d’inverser ce processus, pour la simple raison que la théorie de l’évolution est scientifiquement fausse (cela fera l’objet d’un dossier), et qu’elle est incapable de rendre compte d’un bien commun clairement défini, alors que le bien commun est une réalité dont l’intégrité a été perdue à cause du Péché Originel.

La vérité, c’est que depuis le Péché Originel, l’humanité ne fait que se dégrader, puisque Adam et Eve ont choisi de connaître la mort et la dégradation qui y mène. Depuis cet évènement, nous mourrons, et nous nous dégradons, à cause d’erreurs de transcriptions dans les gènes et du désordre spontané des systèmes thermodynamiques. L’entropie, ou mesure du désordre de ces systèmes, l’entropie de l’univers augmente. Nous avons donc perdu cette perfection originelle, qui est le réel, auquel s’est ajouté l’accident de la dégradation et la mort, qui est cette dégradation maximale. Nous appelons cette dégradation incessante "révolution permanente", et nous proposons d’approfondir cela dans cet article.

Il est intéressant d’étudier l’histoire de l’humanité pour comprendre que nous perdons de plus en plus de vue le bien commun au fur et à mesure que nous nous éloignons du seul principe en tant que tel : Dieu. L’arrivée du Messie permit en effet de ralentir cette dégradation et d’ouvrir la voie de la rédemption, qui consiste à en prendre conscience et à l’assumer pour lutter contre son augmentation. Cette lutte permet de converger vers le bien originel et même plus, et en ce sens la rédemption offerte par le sacrifice du Christ est bien plus belle que la Création. La société chrétienne a ainsi permis de limiter grandement la révolution permanente, en instituant le réalisme comme seule philosophie vraie. Cela encouragea le respect des êtres et de la création, l’humilité et une économie qui s’y conformait. Mais le protestantisme, en prônant le libre-examen et donc le rejet de l’autorité du réel (la loi naturelle), ouvrit le champ aux idéologies fondées sur la volonté de chacun et donc sur l’avoir.

La vérité est donc que le réel est de plus en plus dégradé, et que le progrès doit être utilisé pour limiter et atténuer les effets de cette dégradation. Cela inverse complètement l’approche générale comme quoi nous tendrions vers une perfection jamais atteinte, par des moyens purement matérialistes : cela ne marche pas et nous le constatons douloureusement. Le seul qui peut inverser cette dégradation est Dieu, et c’est là le mystère des miracles : une diminution de la dégradation du réel, qui permet d’atteindre le bien originel. Le bien commun est donc quelque chose qu’il s’agit de retrouver, derrière la dégradation que nous subissons tous.

Sur le bien commun en soi

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique le définit ainsi : « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée » (CEC, 1909). Mais ce que nous oublions souvent, c’est que ces conditions sociales, pour réaliser le bien commun, doivent être en cohésion avec le réel, au-delà de la dégradation qu’il subit. Elles doivent être en conformité avec la réalité, c’est-à-dire être en vérité. Cela devient clair lorsque nous comprenons que le bien commun est finalement le réel : il est en effet ce que nous partageons tous : l’être. Le bien est ce que toutes choses désirent en tant qu’elles désirent leur perfection. Le bien commun est donc le réel au-delà de la dégradation qu’il subit et qui n’est pas propre à lui-même, dans le sens qu’il est l’ensemble des êtres intègres. Dès lors qu’il y a violation de l’intégrité des êtres, nous sommes dans l’avoir : dans la concupiscence et le désir de possession. Or la situation actuelle, marquée par le péché, nous montre des êtres dégradés, qui portent déjà dans leur corps, dès la naissance, cette dégradation. Mais le réel est que chacun est, et qu’au-delà de cet accident de la dégradation, chacun a pour finalité de retrouver son intégrité, qui sera réalisée lors de la Résurrection.

L’ensemble de ces conditions sociales permettant d’atteindre la perfection ne sont que ce qui est conforme à la loi naturelle, qui est inscrite dans l’être des choses. Dès lors que nous sommes en vérité, donc en conformité avec le réel, nous sommes en harmonie avec la loi naturelle, inscrite par Dieu lors de la Création. La loi naturelle est indissociable du réel : elle est ce qui l’ordonne, et elle ne peut en être extraite. Le Péché Originel, en inscrivant la dégradation dans le réel, fait oublier que la loi naturelle y est inscrite pour toujours, et c’est pour cela que sont faites des lois comme les Dix Commandements, afin de rappeler ce qu’est le réel, et que Dieu est le seul principe du réel, auquel il faut se conformer. Les lois permettent ainsi de rappeler que c’est l’être qui fonde toute chose, et non pas l’avoir. L’erreur des libéraux catholiques est de fonder leur politique sur le Décalogue, alors que le décalogue n’est qu’un rappel indiquant qu’il faut se conformer à la réalité intégrale. Ils limitent ainsi l’avoir, ce qui est une bonne chose, mais uniquement contre l’avoir des autres, ce qui ne peut que conduire à des luttes d’individu contre individu, ce qu’une autorité temporelle peut certes réguler. Il vaut mieux fonder une politique sur l’être des choses, et c’est pourquoi le réalisme intégral est la solution, puisqu’il considère le réel intégralement, et évite une nouvelle réification [3] d’une idée abstraite et erronée du bien commun, comme le font l’étatisme et les régimes totalitaires, en substantialisant le bien commun dans l’Etat, alors que le bien commun est le réel. C’est bien le plus grand drame politique que d’avoir déconnecté la notion de bien commun du réel, mais c’est à cause de l’approche progressiste et évolutionniste, pour laquelle le réel est un devenir incessant.

Conclusion et perspectives :

Le bien commun est donc le réel. Et la sainteté est le don de soi au bien commun, c’est à dire que la sainteté est le plein accueil du réel : l’anéantissement de l’avoir dans l’être, tandis que le péché sera un processus d’anéantissement de l’être dans l’avoir.

Il est primordial de restaurer l’autorité du réel en mettant le bien commun comme principe politique. Cette autorité du réel ordonnera l’organisation de la société selon le principe de subsidiarité, mais il y aura besoin d’une autorité déléguée, sur le long terme, chargée de maintenir l’autorité du réel au sein des corps intermédiaire (familles, corporations, micro-républiques...).

Cette autorité ne peut être que royale et héréditaire, parce qu’il faut qu’elle soit incarnée et solide, ne dépendant pas des caprices du peuple. Elle ne pourra qu’être en tout soumise à Dieu et à la loi naturelle, au même titre que le peuple qu’elle gouvernera. La soumission à l’autorité du réel ne peut se faire que dans la pauvreté, dans les besoins déterminant l’offre économique et non l’inverse.

Tant que la liberté sera le principe politique, nous ne pourrons converger vers le bien commun. La liberté découle du bien commun, parce qu’elle est la capacité à réaliser notre bien, or la recherche du bien commun favorise la réalisation de notre bien. Avant d’être libres, nous sommes, et c’est pour cela que nous sommes libre : la liberté est dans l’être, et se tarit dans l’avoir.

A ceux qui nous accuseraient de fascisme, nous leur rétorquons que nous condamnons l’étatisme et la tyrannie, pour la simple raison que le roi doit servir, tout comme le Christ. A cela, le nietzschéen pourrait répondre : « pas de servitude volontaire ! vous etes chrétiens, vous faites les victimes pour mieux dominer », mais il s’avère que le pouvoir royal n’est pas idéologique, et qu’en accord avec notre doctrine « substantielle », incarnée, nous affirmons qu’il est nécessaire que le pouvoir soit incarné, en une réalité anthropologique. Le roi fait l’unité d’un territoire, parce qu’il est un corps central, vers lequel tout le monde peut converger, parce qu’il est un être réel, de chair et de sang, et non pas un être de raison sans corps comme l’est la République jacobine.

Pourquoi refuser l’élection ? Parce qu’il faut à la France quelqu’un ayant reçu l’éducation du service intégral, donc de famille royale, mais bien sûr sélectionné selon le critère du service. Le grand vice de l’élection, c’est qu’elle répond à des idéologies, sources de toute division, y compris dans l’Eglise. Au lieu de cela, un corps permet de dépasser ces divisions parce qu’il permet de reconnaître la réalité du mal en l’homme : la réalité de son imperfection et de sa dégradation. Le corps permet aussi de reconnaître son enracinement. Tandis que l’idéologie accuse, le corps assume.

Si nous prenons l’exemple d’une famille, cela devient plus clair : un père, une mère, et des enfants. Si nous retirons le père, la famille devient un matriarcat, et cela entraîne le règne de l’idéologie, parce qu’ étant donné que la mère protège ses enfants, il manque l’affrontement du pouvoir au réel, et le pouvoir rentre dans une dynamique de spéculation, d’enfermement sur lui-même, conduisant au totalitarisme. [4] Si le père demeure, il est un corps au service de sa famille, dont le rôle est d’affronter la réalité en vue du bien commun : il est fait pour le sacrifice, et son sacrifice unit la famille.

A lire pour approfondir la notion de bien commun : De la primauté du bien commun sur les personnalistes, de Charles de Koninck


[1in principio : au commencement.

[2par opposition au réalisme intégral, qui, parce qu’il conserve la conformité avec le réel, est une ouverture au réel et à son imprévisible nouveauté, ce qui n’est pas possible dans le conservatisme.

[3La réification consiste à transformer ou à transposer une abstraction en un objet concret.

[4Il est utile de préciser que Engels avait élaboré et systématisé le matriarcat, dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’état. Nous connaissons en effet l’amour des communistes pour l’Etat nourissier et protecteur, bien qu’autoritaire. Quant au nazisme, il est aussi une forme de matriarcat : les régimes totalitaires s’afflubent en effet d’une virilité exacerbée pour conjurer leur réalité matriarcale, et sont en quelque sorte dans du matriarcat transgenre. Ce point clef sera à développer : en effet, il apparaît que les tyrannies ne sont pas des patriarcats, mais des matriarcats transgenre car voulant combler le manque du père.

27 mai 2013 Athanase Ducayla

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