L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
L’émotion de certains médias (notamment la radio, RTL) lors de l’incendie à triple foyer qui a détruit le 18 juillet 2020 l’orgue de la cathédrale de Nantes, a été de courte durée. Le suspense relatif à la responsabilité du sinistre s’est évanoui, de même que les suites de la garde à vue du suspect, qui n’en était pas un. L’origine ethnique de ce rwandais risquant sans doute de nuire à un autre feu, qui n’est pas de paille : une ouverture des frontières à tout venant, sacralisée par la responsabilité accordée à ce quidam venu d’ailleurs de fermer les portes d’une cathédrale.
Avant même que n’ait été évoquée la brève garde à vue de ce rwandais en exil, l’agitation de la balance entre l’incendie accidentel et l’incendie criminel, n’avait que l’air de l’impartialité… Il aurait été mauvais esprit d’opter pour la culpabilité de cet égaré dont les propos contradictoires, au dire des journalistes, laissent penser qu’il était capable de tous les actes manqués. Or le 26 juillet, l’homme avouait son forfait. La députée sollicitée à ce propos résumait ainsi, maternellement, le ressenti des Nantais : « beaucoup de tristesse ». Cette expression contrebalançait les « regrets » et la « repentance » de l’incendiaire « rongé de remords » selon son avocat, pour ces flammes qui avaient rongé la Cathédrale. Entre les regrets et la tristesse, on distingue mal la différence des victimes et du coupable ; mais c’est bien l’éthique de notre temps. La « tristesse » des Nantais ou celle de leur députée est d’ailleurs une porte fermée sur tout désir de punir l’auteur de l’incendie.
Dans une intervention un peu plus tardive, l’avocat en question prononçait les mots « apeuré », mais encore « force » et « sincérité », pour résumer l’état d’esprit de son client. Ce dernier ne recevra peut-être pas la légion d’honneur, mais de telles qualités augurent la brièveté de son séjour possible en cabane, à défaut d’un retour au cabanon natal. Quant à la peine financière encourue, elle semble plutôt adaptée à un graffiti malséant… L’homme passe d’ailleurs pour être croyant. Sa faute s’expliquera-t-elle par les accrocs du destin des deux saints dont la Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul porte le nom ? Je ne plaisante qu’à demi : l’expression désignant ce criminel sur le net : « le bénévole », est une excuse implicite de son acte, si son activité non rémunérée à la cathédrale ( ?) a pu faire de lui une sorte de victime des deux saints.
Je ne me permettrais pas ces remarques sans le surprenant escamotage de cet incendie iconoclaste, deux jours après son annonce, par un tout autre drame, sans rapport avec lui, mais exposé notamment par les journalistes de RTL avec des formules et un vocabulaire identiques à leur discours concernant l’incendie des trésors de la cathédrale de Nantes : l’incendie d’une voiture en marche venant de Vénissieux le 20 juillet, fatal à cinq enfants « de deux fratries ». Un accident « dont l’origine n’est pas connue ; une enquête policière a été ouverte. » Le moteur était pourtant « bien entretenu », aux dires d’un « expert judiciaire ». Ces termes entre guillemets sont l’exacte reprise de ceux que d’autres journalistes employaient à propos de l’orgue de la cathédrale de Nantes. Ce drame réel semble en fait utilisé, pour des raisons qui relèvent de la psychanalyse des foules, pour brouiller les enjeux politiques de l’incendie de l’orgue, cette boite de pandore infernale sur lequel est ainsi rabattu un capot carbonisé.
Cette analogie christianise jusqu’à l’absurde les cinq pauvres victimes de l’accident de voiture, qui ont subi la même fin que le fameux orgue : cinq petits musulmans, moins chanceux que les deux adultes et l’autre enfant, qui ont survécu. Ce drame, relaté avec les mêmes mots que celui de la cathédrale, apparaît en effet comme un double superposé de l’incendie fatal aux tuyaux de l’orgue détruite. Plus innocent que coupable, le conducteur de la voiture, de même que le rwandais de Nantes.
Cette mise en parallèle, suggérée par ce discours médiatique, sanctifie ou du moins disculpe, au-delà de ces sinistres événements, les crimes ethniques récents, au Rwanda comme au Moyen-Orient, qui s’attachent comme une ombre à ces immigrés ou enfants d’immigrés. On objectera que cette famille musulmane est « originaire de l’est lyonnais ». C’est très probablement vrai, mais nous sommes tous habités par un legs ancestral ; celui de cette famille étant assumé au moins dans le choix du prénom des jeunes victimes, que je n’ai pas à rapporter ici…
Un article paru dans un journal local cite ce témoignage : « Neuf personnes entassées dans un monospace de sept places. Pour cette erreur, cinq gosses ont payé le prix fort. » Faut-il remonter à la version coranique du sacrifice d’Abraham (relu par moi-même dans un ouvrage, Anticipations littéraires du terrorisme) pour analyser ce drame ? Quoi qu’il en soit, tout se passe comme si la mort de ces enfants pouvait racheter aux yeux du public la culpabilité (encore hypothétique, le 20 juillet) du rwandais de Nantes, soupçonné d’un fratricide ou parricide spirituel exemplaire. Du Moyen-Orient au Rwanda, la route est absente ; mais ces infos donnent les couleurs d’un simple accident au souvenir proche, dans tous les esprits, d’un fratricide ou infanticide organisé par un pouvoir totalitaire, substitué à celui de Dieu.
Dans le récit radiophonique de l’accident de voiture, répété en boucle, le détail des « deux fratries » renoue avec les raisons les plus sombres de la présence du rwandais à Nantes ; même s’il n’existe aucun rapport entre les deux événements, et même si cet homme est totalement innocent du désastre nantais. La mention de ces « fratries » décimées s’entend comme l’exorcisme de ce passé proche. Braises qui sommeillent ? La culpabilité est à présent celle de cette manipulation sélective, poïétique si l’on veut, de l’information. Notre société est d’ailleurs guidée par un crédo où victime et prédateur ne sont plus différenciés…
Le drame de Vénissieux « touche toute la France », mais le témoignage de deux voisines, elles-mêmes mère et grand-mère : « Samira » et « Dalila », semble dû à la valeur poétique de leurs deux prénoms similaires : un chiasme phonétique redoublé, dans lequel peut s’entendre une conjuration des tensions inter (ou intra) ethniques ; mais encore une transposition profane des vertus du Verbe, telles que les sonorise un orgue de cathédrale.
Le drame du Rwanda n’est en fait pas moins terrible que l’acharnement meurtrier de la partie la plus influente de notre société européenne contre ceux qui ne ressentent pas l’euphorie de la déconstruction. Rendre le Rwandais à sa libre nuit, serait un moyen détourné d’absoudre notre société de ses propres divisions ?
Le père des enfants a survécu. De l’Orgue à cet Ogre que rien ne désigne comme tel, il existe pourtant un lien, fantasmatique, suggéré par d’autres informations mêlées aux précédentes. Vers le 19 ou le 20 juillet, les évocations de la cathédrale ont alterné avec le témoignage d’un prétendu avocat, militant avec une ardeur jamais égalée (ton théâtral, arguments grandiloquents) contre les abus sexuels commis par les prêtres sur leurs jeunes ouailles. Il n’est pas besoin d’incendier une cathédrale pour déconstruire le sacré : la diffusion de ce discours en est le moyen le plus radical. On peut même y entendre une bénédiction implicite du geste criminel ou du hasard ( ?) fatal à l’orgue…Cette charge anticléricale dont la cible n’a pas de limites précises semble être le prix du pardon de la faillite paternelle qui, notamment dans les faits divers évoqués plus haut, n’a que les airs d’un infanticide, dans un monde où les incendies s’allument tout seuls.
Le jour même des aveux du rwandais de Nantes, lors d’une rapide évocation à la radio de la lutte contre la pédophilie à l’église, l’expression : « politique d’intégration » manifestait le lien, purement subjectif, entre le cadre des pratiques religieuses et celui des migrations : comme si les dérives prétendues de certains prêtres ne valaient pas mieux que les failles du comportement de certains migrants, mal distincts alors des représentants du Dieu des chrétiens [1] !
Les problèmes recouverts par l’incendie nantais ont paru se résoudre, dans les protestations véhémentes d’une autorité militaire interviewée à la radio, sur le rôle joué dans la cathédrale de Nantes par la charpente, en béton ? Dans ce monde technicien, les actes humains, doit-on conclure, n’ont aucune réalité, dépassés qu’ils sont par le cadre des constructions où ils s’inscrivent, comme des lettres mortes. Ainsi l’accident de voiture serait dû au « constructeur » (Renault) : un défaut provoquant « comme une réaction en chaîne » mécanique. Cette expression, elle-même récurrente au fil des rediffusions de cette annonce, peut s’adapter à l’enchaînement de ces sautillements radiophoniques, prolongés par l’évocation (mal distincte des précédentes informations) d’un troisième incendie, survenu le 22 juillet : dans l’appartement de l’immeuble d’un quartier défavorisé de Grenoble : deux enfants ont dû se défenestrer, pour être sauvés par des jeunes du quartier. Leurs parents ont été mis en examen…
On ne peut qu’admirer le comportement et les propos lumineux du joliment nommé Athoumani Walid, un des « jeunes » sauveurs, soucieux de donner une « meilleure image » de leur cité. Mais la beauté de cet acte ne va pas sans la responsabilité des parents de ces enfants, laissées dans l’ombre malgré de vagues justifications paternelles, rapportées par les médias qui font feu de tout bois pour dissoudre ce qui reste de l’aura du Père, mais sans en effacer tout à fait le souvenir.
Vénissieux, Grenoble, et Nantes surtout, avec la voix du Père divin : ce triangle géographique donne l’idée d’un triangle du diable, en même temps qu’un delta divin. La différence apparente de ces drames oscille ; autant d’imagos paternelles jetées au feu. Au-delà de leur réalité et de leurs raisons effectives, ces drames assouvissent dans la psyché du Français d’aujourd’hui le déni de la figure du Père, universellement conspuée à notre époque. Le « turbo » responsable de la voiture accidentée matérialise la puissance qui revêt son sens le plus sacré dans le son des orgues, entendu comme celui de la Parole divine. Le turbo en question, et d’abord le « monospace », cristallisent une certaine idée de l’Un, ou du moins celle d’un pouvoir, masculin sinon divin, qui est la cible méconnue du remodelage de la société contemporaine (les villes sans voitures, etc.). Le père défaillant des enfants défenestrés est une autre image négative du Père, auquel les occidentaux (contrairement aux musulmans) s’en prennent avec une ardeur si particulière. Mais la rencontre des deux cultures, à travers ces faits divers, se fait dans l’oubli, pour ne pas dire la négation du sacré, et du sens originel des mythes qui le tissent.
Déchu de son aura, l’Abraham biblique n’est plus qu’un assassin malgré lui, et raté : la culture contemporaine privilégie cette mésinterprétation. Il s’agit d’un problème majeur : le sacrifice interrompu (comme celui du Christ ?) n’a que l’apparence, pour les consciences modernes, d’une confusion du mal et du bien, — confusion effective dans la mise en scène radiophonique d’un accident comme celui de l’incendie de l’orgue de la cathédrale de Nantes… Les trois faits divers évoqués jusque-là circonscrivent cet effritement spirituel ; la nostalgie de la Gloire divine, manifestée par la voix d’un orgue, étant moins certaine que le constat de son extinction dans le monde actuel.
Rimbaud le « voyant » a bien senti, notamment dans son poème de 1870 Le Bal des pendus, cette extinction qui explique d’ailleurs son silence définitif — quand la parole poétique ne peut plus (elle-même) s’entendre comme un écho ou du moins une transposition du Verbe, le Verbe qui résonne dans les « orgues noirs », comparant des « pantins choqués » que balance la bise ; alors « Le gibet noir mugit comme un orgue de fer ! […] A l’horizon, le ciel est d’un rouge d’enfer… […] Ce n’est pas un moustier ici, les trépassés ! »
Le contraste de ces « orgues noirs » avec le « chapeau blanc » que la neige applique sur les crânes des pendus, annonce l’énigme cruciale d’un poème plus tardif, Mémoire : dans la section médiane, l’opposition des mêmes couleurs exprime tout de l’horreur de l’éclipse d’une figure paternelle : « […] Hélas, Lui, comme / mille anges blancs qui se séparent sur la route, […] » (la première victime de cet abandon est « Madame […] toute / froide, et noire […] »). Le symbolisme infernal du numéral « mille » est mérité par cette incarnation trop humaine du Séparateur, dont les œuvres sont si bien illustrées dans Le Bal des pendus. Or, le ciel « rouge d’enfer », dans ce Bal, coïncide avec le « maroquin rouge » qui, dans la même section de Mémoire, ajoute à l’énigme chromatique que j’ai soulignée.
Dans le petit quatrain répété aux extrémités du Bal des pendus, les « squelettes de Saladins », si on rapproche les deux poèmes, suggèrent le sens le plus ethnique du « maroquin rouge » (certes repris par Rimbaud à L’Homme qui rit de Victor Hugo). Si discret soit-il, cet orientalisme annonce obscurément le destin africain de Rimbaud, cette expiation inconsciente des failles spirituelles où s’abouchent l’occident moderne et le proche orient... Des orgues du Bal des pendus au « maroquin » de Mémoire, la vision hallucinée de notre poète préfigure la menace multiforme qui affecte aujourd’hui les églises ou moustiers (La Sainte Sophie turque, reconvertie en mosquée, est tout aussi exemplaire de ce phénomène que les églises d’Europe transformées en salle de sport, etc.).
On aurait tort de reprocher à Rimbaud l’anticléricalisme apparent de son poème Accroupissements, parmi ceux qui figurent dans sa fameuse lettre du 15 mai 1871, en illustration de sa théorie du « voyant ». Les commentateurs n’ont d’ailleurs pas senti la valeur esthétique de ce poème (tel que je le commente dans des ouvrages à paraître), et encore moins compris son sens éthique. Le « frère Milotus », dans la chambre close où filtre un rayon du soleil « clair comme un chaudron récuré […] Déplace dans les draps son ventre de curé [...] Le bonhomme mijote au feu, bras tordus […] il sent glisser ses cuisses dans le feu, / Et ses chausses roussir […] Aux coins noirs : des buffets ont des gueules de chantres / Qu’entrouvre un sommeil plein d’horribles appétits. » Ces vers se lisent comme une synthèse anticipée des trois drames du feu évoqués plus haut. Ce curé déféquant représente bien moins le point de vue de Rimbaud sur le sacré, que la monstrueuse défiguration qu’il subit dans notre monde.
Le soleil sans chaleur qui « Lui darne une migraine et fait son regard darne » apparente d’ailleurs ce curé (d’après le sens du terme « darne », qui implique l’idée du tournis) à un derviche tourneur. « L’écœurante chaleur » qui environne le bonhomme sur son pot de chambre et qui émane de lui, anticipe la situation du locuteur de « Mauvais sang » (Une saison en enfer) : « assis, lépreux, sur les pots cassés […] au pied d’un mur rongé par le soleil. » Ce fantasme (en 1873) est prophétique, à l’égard du destin de Rimbaud, bientôt brûlé par le soleil du Harar, et tout autant celui de notre monde, travaillé par un désir de renouveau culturel, une refonte incendiaire qui exige l’éjection du fondement judéo-chrétien de notre culture. Un désir dont la perversité se prononce dans le rapport des flammes des trois faits divers. — Non sans génialité, à défaut du génie poétique dont Rimbaud a cru sentir l’impuissance, dans un monde où les esprits se ferment au Verbe, en proportion de l’impact de la voix des médias.
[1] Le 26 juillet, l’annonce des aveux du rwandais alternait avec celle d’un quatrième accident du feu en région parisienne : trois personnes brûlées à soixante-dix degrés, en essayant de détruire un nid de guêpes avec un bidon d’alcool qui aurait explosé entre leurs mains. On est certes loin de la cathédrale, mais c’est peut-être un moyen d’accréditer l’idée que les églises de France sont à leur façon de vrais guêpiers, qui méritent de telles flammes ? A l’heure où je relis cet article, le 27 juillet, la radio annonce un autre incendie, à Paris, qui n’est certainement pas inventé. Mais le caractère accidentel tous ces faits-divers ne peut que rejaillir sur l’incendie nantais...
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