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Paganisme et christianisme : deux réalités mutuellement exclusives. Aucun syncrétisme n’est possible entre les deux. Il ne faudrait toutefois pas pécher par cécité. Il existe, de fait, des lignes de crête communes aux militants chrétiens et aux tenants du « néo-paganisme ». Ces derniers, faisant profession de foi de leur anti-libéralisme disent rejeter le monde moderne. Ils attachent à l’esthétisme [1] un soin particulier. Prônant une vie en harmonie avec la nature, ces néo-païens défendent des réalités qui nous sont bien familières : la famille naturelle, la transmission, le respect des anciens. En un mot : l’héritage. Les récents débats de société ainsi que l’émergence de pôles de résistance culturelle ont vu des néo-païens défiler ou travailler main dans la main avec des catholiques. Enfin nous nous retrouvons sur une trame commune de l’héroïsme européen, d’Ulysse à Don Juan d’Autriche en passant par la geste chevaleresque, comme la chanson de Roland et le cycle arthurien de Chrétien de Troyes.
Mais si des convergences politiques voient parfois le jour, la foi est, sans surprise, un point d’achoppement fondamental. Au lieu d’adorer Notre Seigneur Jésus-Christ, les néo-païens vont sacraliser la Nature [2], la Longue Mémoire [3], et rendre parfois un culte aux dieux de leur Panthéon – nordiques, comme Thor et Odin, et grecs, comme Athéna et Dionysos. À noter que les dieux ont été dé-personnifiés et ne représentent plus que des pôles de valeur. Pour Thor, par exemple, il s’agit de la force, et Odin, la sagesse.
Pour les catholiques, le Christ est venu abolir la loi du Talion. Le recours à la force brute n’est pas une option systématique [4]. L’Amour et la Charité - quand ces notions sont bien comprises, nous le verrons par la suite - sont à privilégier.
Enfin voici leur credo détaillé ici : « La Nature comme socle, l’Excellence comme but, la Beauté comme horizon. »
Même si notre unique Credo en tant que catholique est celui de Nicée, nous pouvons adhérer bien volontiers à cette devise, sans pour autant lui donner un sens mystique.
Quant au rapport à la nature, les païens et nous divergeons sur le fait que celle-ci a été créée par Dieu pour nous servir. Les païens rejettent la supériorité de l’homme sur la Création divine, qui pour eux n’en est pas une, d’ailleurs. Pour eux, l’être humain n’est qu’un élément du décor en place arrivé on ne sait trop comment.
La Longue Mémoire ne devrait normalement pas être un point avec lequel nous serions en contradiction, pourvu que l’on reconnaisse un point de rupture fondamental en l’an 0.
Concernant leur croyance aux divinités, vous êtes juges de comparer la pertinence de celles-ci après 2 000 ans de civilisation chrétienne dont le génie n’est plus à démontrer.
Nous ne pouvons adhérer non plus à leur fascination pour la mort et le suicide, qu’ils considèrent comme un sacrifice et le sens suprême de l’honneur [5], dernièrement illustré par le blasphème de Dominique Venner le 21 mai 2013 dans Notre-Dame de Paris.
Autre point de divergence : l’exaltation de la supériorité de la race blanche, dite indo-européenne, sur le reste du monde. Un racialisme pseudo-scientifique, baptisé ethno-différentialisme, prôné par certains païens auquel bien évidemment tout catholique qui se respecte ne peut adhérer décemment. En revanche nous nous retrouvons sur le fait que la civilisation helléno-chrétienne est supérieure en bien des points à toutes les autres existant, ou ayant existé, de par le monde et dans l’Histoire.
Ce folklore « religieux » ne serait donc pas dérangeant si derrière ce retour en arrière spirituel de 2 000 ans ne se cachait un anti-christianisme parfois virulent, comme Alain de Benoist peut l’illustrer parfois. Son intervention au colloque de l’Iliade en est un bon exemple.
L’universalisme de la religion chrétienne principalement, source selon eux de tous les maux dont souffre l’Occident. Cet universalisme serait la cause de la destruction des coutumes et traditions des peuples, pour tendre vers une uniformisation du monde soumis à un même Dieu. Cet universalisme serait le germe de l’immigration massive de l’Europe, et donc du Grand remplacement et de l’effacement de la race blanche. La charité chrétienne, l’amour du prochain et la tolérance nous empêcheraient d’appréhender le sujet correctement.
Par ailleurs, ils refusent de se soumettre à Dieu dans la mesure où le christianisme serait une religion du désert importée en France – à l’époque il s’agissait de la Gaule romaine. Ils préfèrent rester en conformité avec ce qui devrait être nos traditions, à savoir rendre un culte aux dieux de leur Panthéon. Ce n’est pas l’incohérence qui les étouffe, dans la mesure où Thor et Odin ont été eux aussi importés, par les Vikings en l’occurrence. Ce à quoi ils rétorquent qu’ils auraient volontiers récupérés dans leur Panthéon les divinités celtes s’il restait des traces de cette civilisation. Il n’empêche que leur Panthéon reste quand même à la carte.
Enfin, dans une moindre mesure, la chrétienté serait également la cause de la chute de la civilisation antique, de l’empire romain, et surtout de la destruction des temples et autres monuments.
Nous y répondrons point par point.
Les néo-païens confondent l’universalisme chrétien avec le fait d’être citoyen du monde. C’est le message du Christ qui est universel puisque s’adressant à tous les hommes. En revanche, le Christ n’est pas venu abolir les frontières ni prôner un métissage des peuples et des races. Imputer l’immigration massive et le métissage forcé que l’on vit actuellement à l’Église romaine est absurde et malhonnête intellectuellement. Saint Paul, dans son épître aux Romains, se soucie du sort du peuple juif auquel il appartient au point qu’il souhaiterait refuser son salut pour sauver les âmes de ses frères qui refusent l’Évangile.
« Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point – ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint –, j’éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont Israélites, à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen. » (Rm 9, 1:5)
Le même Saint Paul tire lui-même plusieurs fois fierté de son appartenance à la citoyenneté romaine dans le Nouveau Testament : « Je suis juif de Tarse, en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom » (Actes 21, 39). Aimer sa Patrie et son peuple n’est non seulement pas interdit par l’Église, mais est même plutôt encouragé. Comme nous le rappelle Saint Augustin : « Aime tes parents et plus que tes parents ta patrie, et plus que ta patrie aime Dieu seul. »
Les néo-païens estiment que la charité chrétienne empêcherait les croyants d’aborder le sujet de l’immigration correctement. Là aussi il s’agit d’un procès d’intention un peu hâtif. Comme dit l’adage, charité bien ordonnée commence par soi-même. Certains papes nous l’ont enseigné. Deux exemples :
Si certains clercs demeurent prisonniers de la bien-pensance aujourd’hui [6], c’est en totale contradiction avec l’enseignement de l’Église [7]. Il fut un temps où celle-ci défendait avec fermeté la civilisation et la chrétienté face aux envahisseurs. L’appel aux Croisades ou encore l’union des nations chrétiennes par Rome pour stopper l’invasion mahométane à Lépante en sont deux exemples fameux. Jeanne d’Arc n’avait personnellement rien contre les Anglais, tant qu’ils restaient chez eux, sur leur île.
Le christianisme n’est pas non plus la raison de la disparition des coutumes et traditions des peuples. Les missionnaires ont pris soin de ne pas froisser les sensibilités des populations sur le chemin de la conversion en maintenant la forme du culte tout en remplaçant le fond spirituel. Un exemple nous a été donné il y a peu dans nos colonnes par le Père Christian de Penfentenyo, missionnaire dans la Cordillère des Andes, au Pérou. A la question : « Vous parlez « d’évangéliser ces réflexes » tirés de l’ancienne religion inca. Qu’entendez-vous par là ? », voici sa réponse : « Eh bien, lorsque l’an passé nous participions à un rite paysan que l’on appelle le « pago a la tierra » (impôt à la terre), qui consiste à manifester sa reconnaissance à la nature pour les fruits qu’elle a su tirer des labours, non seulement on y assiste, mais je me permets à la fin de prendre la parole pour valoriser cette attitude paysanne et faire remarquer qu’il a manqué quelque chose d’essentiel à cet acte de reconnaissance : l’invocation à l’endroit du Créateur du soleil, de l’eau et de la terre. » [8]
En réalité, l’Église a toujours respecté les coutumes et les traditions des peuples. Ce sont les autorités civiles qui ont imposé de manière souvent brutales les leur. Le film Mission (1986), qui a reçu la palme d’or à Cannes à l’époque où le festival aimait encore le cinéma, en est un bon exemple. Les prêtres jésuites prennent le parti de défendre les réductions guaraníes, sortes de républiques autonomes aux confins du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine, d’abord approuvées par le pouvoir colonial espagnol, avant qu’il ne les anéantisse.
Il en va de même pour l’Afrique. C’est la République laïque française, qui sous l’impulsion du Frère Trois-Points Jules Ferry et autres enfants de la Veuve, s’est sentie investie d’une mission civilisatrice en apportant les Lumières à la terre entière, alors que les Pères Blancs et autres missionnaires se contentaient de vivre humblement auprès de leurs fidèles en s’adaptant à leur mode de vie. L’africaniste Bernard Lugan explique parfaitement le brillant résultat de cette politique irresponsable.
Pour ce qui est de la destruction du monde antique et de la chute de l’Empire romain imputée à l’émergence de la chrétienté, le soin est laissé à Michel de Jaeghere d’y répondre, puisqu’il nous fait l’honneur de nos colonnes. [9] Nous constaterons simplement qu’il est cocasse que les païens, dénonçant sans cesse à juste titre la repentance de la France envers les juifs ou les anciennes colonies, se posent à leur tour en victimes, pour des faits remontant au IVe siècle.
Le paganisme prospère sur le renoncement des catholiques à revendiquer fièrement leur foi et leur identité. Certains jeunes catholiques, vacillants dans leur foi, las de voir certains prélats renoncer à défendre notre civilisation helléno-chrétienne, se laissent séduire par certains discours néo-païens. Il est vrai que la vision d’évêques collaborant avec l’islam en France alors que nos frères chrétiens se font persécuter au Moyen-Orient laisse perplexe. Ou encore lorsque Monseigneur Pontier, président de la Conférence des Évêques de France s’interroge sur la vision de la société française : « Quelle société voulons-nous vivre et construire ensemble ? Quelles ressources allons-nous déployer pour que la devise de notre République, Liberté, Égalité, Fraternité, inspire les choix de notre société ? [...] Comment ne pas dire à nos concitoyens de confession juive combien leur présence de citoyens français nous est précieuse et chère ? Comment ne pas dire à nos concitoyens de confession musulmane qu’il nous faut continuer à apprendre à vivre ensemble dans une société française qui a montré dans son histoire sa capacité à accueillir des populations venant la rejoindre ? », il y a de quoi se demander si l’Église n’est pas devenue une simple ONG, annexe de la République.
Nous demandons simplement aux tenants du paganisme de ne pas mettre tous les catholiques dans le même panier, et de distinguer ceux qui sont fidèles à la Tradition des libéraux qui pervertissent notre Sainte-Mère l’Église et son enseignement, particulièrement depuis 50 ans. Il existe dans l’Église d’autres sons de cloche, et particulièrement en France, fille aînée de la Chrétienté. Citons ainsi de manière non exhaustive Monseigneur Ravel, évêque aux armées ; Monseigneur Rey [10], évêque de Fréjus-Toulon, qui encourage l’évangélisation des musulmans avec l’apostolat mené par l’abbé Loiseau ; l’abbé Pagès est également très en pointe dans la lutte contre l’islam. Monseigneur Aillet, évêque de Bayonne, se place lui aussi dans une logique de défense de civilisation. Monseigneur Centène, évêque de Vannes, ne renie pas son enracinement local. Il y a aussi tous ceux, morts ou vivants, qui ont entendu défendre la civilisation et nos racines, à l’instar du regretté Dom Gérard, fondateur de l’abbaye du Barroux. A ce titre, Notre-Dame de Chrétienté, avec ses centaines d’abbés ou moines, est la preuve éclatante d’un catholicisme n’hésitant pas à défendre la patrie charnelle. Enfin, du côté de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, nous pourrons citer l’abbé Beauvais, qui nous a gratifié d’un magnifique discours lors de l’hommage à Jeanne d’Arc le 10 mai dernier.
Cet article, bien évidemment incomplet, n’est pas une controverse théologique et philosophique. Rémi Brague est bien plus qualifié que votre serviteur pour cet exercice [11]. Il nous faut prier pour la conversion de nos frères – et amis pour certains – égarés dans une impasse spirituelle, en espérant qu’ils soient un jour touchés par la Grâce divine, pour peu que leurs cœurs cessent d’être endurcis. En revanche, face à la décadence du monde moderne, il est juste de reconnaître que ce sont de précieux alliés, et de redoutables militants, avec qui nous devons sans cesse maintenir le dialogue.
[1] Objet du dernier colloque de l’Iliade, Institut pour la longue mémoire européenne
[2] Rites basés sur les cycles naturels : solstices, équinoxes, cycles lunaires
[3] Cycle de transmission dans lequel l’homme n’est qu’un maillon d’une chaîne remontant à plus de 30 000 ans. Pour mieux appréhender cette notion, lire de Dominique Venner Histoire et tradition des Européens, 30 000 d’identité (éd. Le Rocher)
[4] cf. notion de Guerre juste de Saint Augustin, repris par Saint Thomas d’Aquin, détaillée dans le Catéchisme de l’Église catholique
[5] Pour mieux comprendre, lire le chapitre La Mort en face, dans Le Choc de l’Histoire - Religion, mémoire, identité (éd. Via Romana), de Dominique Venner
[6] un certain Menhir parlerait volontiers d’ "évêques en col roulé"
[7] Leurs prises de position exaspèrent même certains de leurs subalternes. Les choses bougent, ce qui est bon signe. Lire le billet de nos confrères de Riposte Catholique.
[8] Suite de la réponse du missionnaire : « Alors j’invite à prier le Notre Père et je poursuis avec la prière des rogations, prière de l’Église prévue justement pour ces circonstances où l’on demande à Dieu de bénir la terre et les semailles.
Vous imaginez bien que, l’année prochaine, ils reprendront leur chicha, leur feuille de coca et leurs invocations... mais je ne doute pas que, par osmose et à force d’être présent, tout peut basculer, un jour ou l’autre, du coté de la prière de l’Église. Pour notre part, c’est une question de patience, de méthode d’éducation aussi, et d’abandon à la grâce que Dieu voudra bien donner pour que quelque chose se passe. »
[9] Lire son entretien ne vous dispense en aucun cas de la lecture de son excellent livre Les Derniers Jours (éd. Les Belles Lettres).
[11] cf. le compte-rendu de sa controverse avec Alain de Benoist
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