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Les leçons de la décision du Conseil Constitutionnel (1re partie)

Qu’est-ce que la Constitution ? Est-ce seulement l’organisation de l’Etat, et d’une procédure d’adoption de la loi ? S’agit-il de la protection des droits et libertés fondamentales d’un pays ? Va-t-elle jusqu’à protéger l’esprit interne qui anime son ordonnancement juridique ? Y a-t-il une norme au-dessus de la Constitution, et quelle est-elle ? Autant de questions qui animent la réflexion constitutionnaliste depuis la victoire du positivisme juridique, à travers l’avènement du primat de la volonté populaire [1]. La décision du Conseil Constitutionnel [2], relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, prise le 17 mai 2013, n’est qu’une nouvelle illustration de ce vieux débat.

En vertu de l’article 61 de la Constitution, la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe a été soumise au contrôle de constitutionnalité du Conseil Constitutionnel. Sans surprise, ce dernier a déclaré que l’ensemble de la loi était conforme à la Constitution, émettant néanmoins une réserve d’interprétation sur un article de la loi en cause.

Le Conseil Constitutionnel était appelé à se prononcer sur de nombreuses questions. Les moyens sur l’étude d’impact [3], la procédure parlementaire [4], la présence de cavaliers législatifs [5] ont été rejeté [6] et ne présentaient qu’un intérêt très limité. Il en est de même du rejet des moyens à l’encontre des dispositions relatives au nom de famille [7] et des dispositions relatives au code du travail [8], à l’encontre du recours aux ordonnances [9], à l’encontre de la validation des mariages antérieures à la loi [10] et à l’encontre de l’application outre-mer de la loi [11].

La décision en elle-même ne présente aucune surprise, la réserve d’interprétation de la loi excepté, quoique prévisible. Une innovation du Conseil Constitutionnel sur une loi aussi sensible, que ce fût en faveur ou en défaveur de la loi, l’aurait placé sous le feu des critiques, alors que celui-ci tient à son image d’impartialité. En effet, le Conseil Constitutionnel n’est pas un organe élu. Il est donc très sensible à une présomption d’illégitimité qui pèse envers lui, ce qui explique sa très grande réticence à prendre position sur des sujets de société. Cela ne l’empêche pas, au demeurant, de faire des innovations assez importantes sur des domaines qui n’attirent l’attention que des juristes intéressés à la question [12].

De façon fort académique, dans le respect des canons de la réflexion juridique, les mauvaises nouvelles seront annoncés avant les bonnes nouvelles.

I Les mauvaises nouvelles, ou la (fausse ?) modestie du Conseil Constitutionnel

  • Les arguments jus-naturalistes sont irrecevables

De l’aveu du commentaire officiel de la décision, un argument inédit a été soulevé devant le Conseil Constitutionnel. Les requérants ont invoqué « le caractère par nature trop fondamental du mariage pour pouvoir être réglementé par le législateur ». Il s’agit d’un argument presque jus-naturaliste. Il s’arrête en effet à mi-chemin, affirmant simplement que cette modification était de la compétence exclusive du pouvoir constituant. Il est possible de regretter que les requérants ne soient pas allés jusqu’au bout de leur raisonnement. En effet, le pouvoir constituant n’a aucun pouvoir de faire que ce qui est mauvais soit bien.

Quoi qu’il en soit, le Conseil Constitutionnel refuse la perche tendue, qui lui aurait permis d’étendre son pouvoir, en considérant que l’article 61 [13] de la Constitution « lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen » [14]. Même si les requérants n’ont pas invoqué d’arguments jus-naturalistes à strictement parler, puisqu’ils ne s’en remettaient pas à une loi immuable mais à la volonté constituante, le Conseil enfonce un peu plus le clou. Il le fait par une formule qu’il est nécessaire de rapprocher de la précédente citation pour la comprendre : « doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de ce que le mariage serait « naturellement » l’union d’un homme et d’une femme » [15]. Les arguments jus-naturalistes sont ainsi eux-mêmes prévenus, et sont ainsi déclarés irrecevables par le Conseil Constitutionnel.

Quoique prévisible, ce refus de principe des arguments jus-naturalistes est regrettable, parce qu’il consacre le positivisme juridique du Conseil Constitutionnel. Ce dernier se condamne ainsi à être l’exécuteur des volontés populaires, qu’elles soient bonnes ou mauvaises sans distinctions. Si demain une modification de la Constitution vient insérer dans celle-ci la constitutionnalité de la persécution religieuse, le Conseil Constitutionnel n’y verra aucun obstacle.

  • Ni la fondation du mariage sur l’union d’un homme et d’une femme, ni le « caractère bilinéaire de la filiation fondée sur l’altérité sexuelle » ne constituent un Principe Fondamental Reconnu par les Lois de la République

Le Préambule de la Constitution de 1946, lequel est cité par le Préambule de la Constitution de 1946, réaffirme sans les énumérer « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR). Depuis une décision du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association [16], extrêmement importante pour le Droit Constitutionnel, le Conseil Constitutionnel a reconnu que ces principes ont valeur constitutionnelle et que le législateur ne peut y déroger sans méconnaître la Constitution, sauf à modifier celle-ci.

Pour qu’il y ait un PFRLR, 3 conditions sont requises :

  • le principe doit une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics [17]
  • il doit y avoir un ancrage textuel dans une loi ou plusieurs lois intervenus sous un régime républicain, avant 1946
     [18]
  • il ne doit jamais avoir été dérogé à ce principe par une loi républicaine avant 1946 [19]

C’est évidemment la première condition qui pose le plus problème en l’espèce, dans la mesure où la loi en cause vient remettre en cause un ordre multiséculaire, que seul le XXI siècle a eu l’idée incongrue de venir remettre en cause. Le principe de la nécessité d’avoir un homme et une femme pour fonder un mariage, ainsi que celui de la filiation vraisemblable était donc inscrit avant 1946 dans des textes de lois, et n’avait jamais été remis en cause.

Il convient de remarquer avant toutes choses que le Conseil Constitutionnel n’a jamais accepté de reconnaître des PFRLR issues du Code Civil [20]. Cela peut paraître étrange dans la mesure où certaines de ses dispositions sont demeurées inchangées depuis la rédaction du Code, parcourant les différents régimes. Néanmoins, cela se comprend dans la mesure où le Code Civil est un condensé de lois civiles, plus ou moins importante. Le simple fait qu’un article ait demeuré inchangé depuis la rédaction du Code Napoléon ne suffit pas à le rendre fondamental. Selon Pierre Murat, « l’étroitesse de la sélection opérée par le Conseil ne milite pas en faveur de la reconnaissance des principes tirés du code civil » [21]. Il reste néanmoins que selon Carbonnier, « le code civil est la véritable constitution de la France », ce avec quoi étaient d’accord Napoléon et les rédacteurs du Code Civil [22]. Dans l’esprit des libéraux utilitaristes, le Code Civil est une mécanique bien huilée qui, par un mécanisme d’incitations et de désincitations, doit permettre de réguler le fonctionnement de la société afin de conserver un ordre voulu. Et, certes, il ne serait pas venu à l’idée des utilitaristes du XIX siècle de favoriser des unions infécondes, eux qui détestaient célibataires et vieilles femmes. Et même pour un classique, la complémentarité de l’homme et de la femme est fondatrice du mariage et de la société, elle est symbole parfait de l’échange et de l’altérité. Du coté des modernes commes des classiques, la complémentarité de l’homme et de la femme étaient donc perçue comme fondamentale. La raison du refus se trouve plus certainement dans le fait qu’il s’agisse d’une question de société.

Le Conseil Constitutionnel a en effet toujours refuser d’ouvrir des PFRLR pour les questions dites de société [23]. Il s’en remet pour cela à la compétence exclusive du parlement, comme il l’a fait successivement pour l’avortement [24], la sélection des embryons [25], pour les greffes autogéniques [26], l’adoption par des couples homosexuels [27] et le « mariage » homosexuel [28]. Sans surprise, le Conseil Constitutionnel confirme donc sa jurisprudence, qu’il avait d’ailleurs déjà annoncé par les deux dernières jurisprudences citées. C’est la principale raison pour laquelle les recours constitutionnelles intentés par les catholiques n’ont jamais que très peu de chances d’être reçus : elles interviennent très souvent sur des questions de société, que le Conseil Constitutionnel refuse de traiter. Le combat se fait au parlement, sans qu’il soit possible d’obtenir le soutien du Conseil. Cela est infiniment regrettable, puisqu’il s’agit des lois les plus importantes, et que celles-ci devraient, au minimum (et encore) passer par la voie du référendum. C’est ici que se trouvent les limites du Conseil Constitutionnel, instance juridictionnel malgré tout soumise à la tyrannie du primat de la volonté populaire.

Le Conseil Constitutionnel refuse ici de créer un PFRLR sur deux fondements différents. En ce qui concerne le mariage, il estime que la fondation du mariage sur la complémentarité de l’homme et de la femme est une règle « qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics ». Il refuse ainsi d’élargir sa conception des PFRLR.

En ce qui concerne l’adoption, le Conseil Constitutionnel relève que « la législation républicaine antérieure à la Constitution de 1946 relative aux conditions de l’adoption et aux conditions d’établissement de la maternité et de la paternité a toujours compris des règles limitant ou encadrant les conditions dans lesquelles un enfant peut voir établir les liens de filiation à l’égard du père ou de la mère dont il est issu  ». Il en conclut de manière assez surprenante que « doit être écarté le grief tiré de la méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de « caractère bilinéaire de la filiation fondé sur l’altérité sexuelle » » ainsi que celui « tiré de la méconnaissance d’un principe constitutionnel garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l’égard d’un père et d’une mère » [29]. La décision du Conseil Constitutionnel botte clairement en touche. La question de la reconnaissance de la paternité et de la maternité n’avait qu’un intérêt accessoire. Il lui était demandé de reconnaître comme un PFRLR, ce principe assez évident selon lequel un enfant ne peut l’être que d’un homme et d’une femme, ce à quoi le Conseil Constitutionnel répond par un hors-sujet, en affirmant qu’il a toujours été légalement difficile d’établir la filiation des adoptés.

Il est possible de se consoler de ce curieux hors-sujet du Conseil Constitutionnel en précisant que les bonnes nouvelles viennent surtout du coté de la filiation.

La suite, dans quelques jours.
Loriquet

[1Lire http://www.lerougeetlenoir.org/les-breves/le-souverain-et-le-droit Oui, je sais, se citer, c’est moche. Mais je sacrifie à l’adage populaire : on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

[3Considérant 2 à 4

[4Considérant 5 à 7

[5« Un « cavalier législatif » est une mesure introduite dans les lois ordinaires (autre que sociales ou budgétaires) par un amendement dépourvu de lien avec le projet ou la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ». Ce type de mesure est censuré par le Conseil Constitutionnel, depuis une décision du 10/07/1985 (85-191 DC, considérant 2). Par exemple, l’introduction de la PMA ou de la GPA dans la loi en cause aurait constitué un cavalier législatif.

[6Considérant 8 à 13

[7Considérant 64 à 69

[8Considérant 70 à 75

[9Considérant 76 à 82

[10Considérant 83 à 87

[11Considérant 88 à 92

[12Voir notamment à la décision 2013-314P QPC, du 4 avril 2013, par laquelle le Conseil Constitutionnel renvoie pour la première fois de son histoire une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, se dessaisissant ainsi volontairement d’une de ses compétences.

[13« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elle ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution »

[14Considérant 14

[15Considérant 21

[16Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (Liberté d’association)

[17Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999, Loi relative au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, cons. 9.

[18Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, cons. 15.

[19Décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, cons. 12.

[20Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993 (Loi réformant le code de la nationalité, cons. 5 à 8. 34) et décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989 (Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités d’application des privatisations, cons. 11 à 15)

[21Pierre Murat, « La Constitution et le mariage : regard d’un privatiste », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel.

[22Lire à ce sujet Xavier Martin Mythologie du Code Napoleon : Aux soubassements de la France moderne (2003, Dominique Martin Morin)

[23Nathalie Merley « La non-consécration par le Conseil constitutionnel de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », RFDA mai-juin 2005, p. 621 et s.

[24Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse (Interruption volontaire de grossesse)

[25Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal (Bioéthique)

[26Décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, Société Cryo-Save France (Prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta)

[27Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010

[28Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011

[29Considérant 56

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