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Les cinquante ans de l’ouverture du IIe Concile œcuménique du Vatican (1962-2012) (2/3)

M. Mesnie de Gournay offre au Rouge & le Noir une série de trois articles faisant le point sur le concile Vatican II, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ouverture de ce dernier. Cette deuxième partie aborde le vif du sujet.

Retrouvez la première partie.

Vatican II, cinquante ans après

Intéressons-nous premièrement à ce que l’on pourrait appeler « l’autorité magistérielle » du Concile. À cette demande, Monseigneur Brunero Gherardini, chanoine de l’archibasilique du Vatican, répond d’une part qu’un Concile étant l’autorité suprême de l’Église on ne saurait remettre en cause de iure [1] son caractère magistériel mais précise cependant d’autre part que « magistériel » est avant tout un adjectif désignant un document provenant du Magistère sans lien avec l’aspect dogmatique ou pas dudit document. En d’autres termes, tous les fruits du Concile doivent être reçus avec le respect et les hommages dus à tout ce qui provient d’une chaire d’une si grande autorité ; cependant, l’exigence d’un assentiment inconditionné nécessite quant à lui certaines circonstances encore plus particulières. Au-delà des limites posées au Concile par S.S. le Bienheureux Jean XXIII quand il affirma que « le XXIe Concile œcuménique veut transmettre dans son intégrité, sans l’affaiblir ni l’altérer la doctrine catholique. […] Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui réponde aux exigences de notre époque », il faut surtout constater qu’il n’a pas pris une forme habituelle puisqu’il ne se présente pas sur le modèle du canon [2]. Or cette absence de voluntas definiendi [3] est un signe fort et certain de la volonté des pères conciliaires de ne pas définir dogmatiquement un nouvel aspect de la Révélation mais de répondre à des problèmes posés hic et nunc par l’infiltration de plus en plus visible de la modernité dans les sociétés humaines. Cette nouveauté a pu être une des raisons de ce que certains ont appelé les « dérives post-conciliaires » issues d’interprétations très personnelles des textes qui sont de facto moins clairs et directs que les canons du Concile de Trente ; S.S. le Vénérable Paul VI alla même jusqu’à évoquer « la fumée de Satan [qui] est entrée dans le Peuple de Dieu » pour évoquer les troubles dans l’Église de cette époque. Cela étant dit, il s’agit à présent de s’intéresser aux textes mêmes ; et pour ce faire il nous semble intéressant de nous pencher vers le Commonitorium de saint Vincent de Lérins, un moine bénédictin du Ve siècle. Ce texte – qui est encore aujourd’hui une référence dans l’Église orthodoxe – explicite les critères que doit remplir toute doctrine pour ne pas être qualifiée d’hérésie s’opposant à la foi catholique : ils se résument par la formule « quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est » [4]. Cette formule va de pair avec une autre, car son auteur prévoyait également la possibilité d’un progrès de la religion dans l’Église à la condition sine qua non qu’il soit « eodem sensu eademque sententia » [5]. Ces critères établis, nous pouvons commencer notre étude ; insistons toutefois sur le fait que, selon les mots du secrétaire général du Concile S. Exc. Monseigneur Pericle Felici à propos des directives qui en furent issues, « il [faut] les accepter et les embrasser en conformité à l’esprit de ce Saint Synode ; cet esprit, selon les normes de l’herméneutique théologique, étant manifesté tant par la doctrine traitée, que par la teneur de l’expression utilisée » : l’étude autour des fondements de ces directives ne doit donc pas autoriser une quelconque mise à l’écart de ces dernières qui demeurent fruits du Magistère Suprême. Cependant, avant d’entrer dans les détails des textes, il nous semble important de nous référer à ce qu’a pu en dire S.S. le pape Benoît XVI dans son fameux discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005.

« Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile, même sans vouloir appliquer à ce qui s’est passé en ces années la description que le grand Docteur de l’Église, saint Basile, fait de la situation de l’Église après le Concile de Nicée : il la compare à une bataille navale dans l’obscurité de la tempête, disant entre autre que ‘Le cri rauque de ceux qui, en raison de la discorde, se dressent les uns contre les autres, les bavardages incompréhensibles, le bruit confus des clameurs ininterrompues a désormais rempli presque toute l’Église en faussant, par excès ou par défaut, la juste doctrine de la foi...’ ». C’est par ces mots que S.S. notre Pontife Émérite commence à évoquer le Concile Vatican II, soulignant ainsi la réalité de l’état de l’Église en ces années-là. Il est vrai que cette période fut très troublée par l’exaltation sans limite de la société de consommation qui laissait croire à une « fin de l’histoire » ouvrant les portes d’un « paradis sur terre » pour tous les hommes et par la montée de l’individualisme triomphant à la suite du funeste mois de mai 1968 : disparition des prêtres aux yeux du monde, relativisme doctrinal, fantaisie liturgique, théologie de la libération, etc. S.S. le pape Benoît XVI condamne alors ces suppôts de « l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture » qui voulurent faire du Concile l’avènement de la « Nouvelle Église » au service de l’homme pauvre et louée par les médias et une partie de la théologie moderne et y oppose « l’autre [voie], [celle qui] silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte des fruits », celle de « l’herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église, que le Seigneur nous a donné ». D’où l’idée de refonder la lecture des textes à l’aune de la Tradition de l’Église, abandonnant le fameux « esprit du Concile » pour se concentrer sur ce qui est écrit dans les constitutions et non sur les interprétations qui ont pu en être données ; c’est ainsi qu’il cite les paroles de S.S. le Bienheureux Jean XXIII qui précisa intelligemment « [qu’]il faut faire une distinction entre le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérée doctrine, et la façon dont celles-ci sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée ». S.S. le pape Benoît XVI évoque ensuite les difficulté qu’eurent certains pères conciliaires à considérer que le Concile ne contredisait pas les principes du Syllabus, notamment quant à son acceptation apparente du libéralisme condamné par LL.SS. le pape Grégoire XVI et le Bienheureux Pie IX [6]. Il considère qu’il était important que le Concile définisse de façon nouvelle le rapport entre l’Église et l’époque moderne bien que « ce rapport [...], totalement rompu lorsque Kant définit ‘la religion dans les limites de la raison pure’ et lorsque, dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de l’État et de l’homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace à l’Église et à la foi, [...] [ait] provoqué de la part de l’Église, au XIXe siècle, sous Pie IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l’époque moderne ». Il ajoute également que « dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée » puisque « les décisions de l’Église en ce qui concerne les faits contingents – par exemple, certaines formes concrètes de libéralisme ou d’interprétation libérale de la Bible – devaient nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu’elles se référaient à une réalité déterminée et en soi changeante.

Il faut savoir que les difficultés évoquées par S.S. notre Pontife Émérite ne concernent finalement que peu des points développés lors du Concile Vatican II : il s’agit essentiellement de passages de la constitution pastorale Gaudium et Spes – qui fut critiquée par certains comme promouvant une Église-produit au service d’un homme-consommateur et non plus un homme ordonné à Dieu par sa soumission aux dogmes de l’Église et au Souverain-Pontife [7] – et de la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanæ ; la constitution doctrinale sur la liturgie Sacrosanctum Concilium est à part et nous y reviendrons un peu plus tard car ce n’est pas tant le texte en soi que le Novus Ordo Missæ – la « messe de Paul VI » – qui en découla qui fut source de nombreux débats au sein de l’Église. Finalement, on peut dire que toute la critique qui fut adressée aux textes du Concile se concentra essentiellement sur la relation entre la Vérité révélée et le libéralisme, comme on le saisit parfaitement dans Ils L’ont découronné, ouvrage de S. Exc. Monseigneur Marcel Lefebvre, paru en 1987, soit un an avant qu’il ne soit excommunié latæ sententiæ pour des sacres épiscopaux sans autorisation pontificale. Ce qui est reproché au Concile dans ce texte c’est d’avoir remis en question le dogme de la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ – c’est-à-dire le fait que le but de toute société est d’être entièrement ordonnée à la volonté de N.S.J.C dans ses lois et dans ses mœurs [8] – en estimant dans Gaudium et Spes et Dignitatis Humanæ que l’État se devait d’être religieusement neutre au nom de la liberté fondamentale de l’homme de professer les idées qu’il lui plaît même si elles l’entraînent dans l’erreur la plus terrible [9]. S.S. le pape Benoît XVI répond à cette critique du Concile dans son discours à la Curie romaine et il nous semble intéressant de reproduire ici la citation exacte nous intéressant : « si la liberté de religion est considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité, et par conséquent, devient une exaltation du relativisme alors, de nécessité sociale et historique, celle-ci est élevée de façon impropre au niveau métaphysique et elle est ainsi privée de son véritable sens, avec pour conséquence de ne pas pouvoir être acceptée par celui qui croit que l’homme est capable de connaître la vérité de Dieu, et, sur la base de la dignité intérieure de la vérité, est lié à cette connaissance. Il est, en revanche, totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction ». Finalement, est ici explicité le fait que la liberté religieuse promue par le Concile n’est pas celle qui fut condamnée par le Syllabus, puisque si la paix sociale demande en pratique l’existence d’une liberté religieuse – pastorale et non pas dogmatique [10] – et que la Vérité révélée doit être acceptée par chacun et non imposée, Dignitatis Humanæ n’affirme aucunement qu’il existe en l’homme la liberté intrinsèque à sa condition de créature de Dieu de professer des erreurs. En d’autres termes, la conscience de l’homme peut-être trompée par le démon et par ses mensonges si elle n’use pas de sa liberté – celle que laissa le Créateur à Adam et Ève quand Il leur demanda de ne pas manger du fruit de l’arbre au milieu de l’Éden – pour se détourner de Satan et pour s’ouvrir à la grâce du Père mais elle n’en a pas pour autant la liberté de confesser des erreurs. En effet – comme l’a rappelé le R.P. Réginald Garrigou-Lagrange o.p. – la Vérité finit par s’imposer hors de tout dialogue chez celui qui s’ouvre à la grâce : elle vient de Dieu et non pas d’une recherche, initiée par une conscience libre de s’essayer à tout et même au Mal pour finalement s’arrêter sur ce qu’elle estimera vrai. Ainsi, si un théologien critique comme l’abbé Guillaume de Tanouärn reconnaît que la rédaction de certains passages de la déclaration prête à ambiguïté, il n’y voit pas l’hérésie mais pointe cependant les risques de la multiplication des interprétations du dogme au nom de la promotion de la conscience comme sujet de la religion dans le n°1 de Dignitatis Humanæ : « De même encore, le saint Concile déclare que ces devoirs [de rechercher la vérité, de l’embrasser et de lui être fidèle] concernent la conscience de l’homme et l’obligent. »

Mesnie de Gournay

ARTICLE SUIVANT


[1-Expression latine, antonyme de de facto et signifiant « selon le droit ».

[2-Du latin canon, signifiant « règle, modèle, principe » : texte précisant une doctrine religieuse de manière négative, sous la forme « Si quelqu’un énonce que [...] : Qu’il soit Anathème ».

[3Littéralement, « volonté de définir, de fixer définitivement ». Ce terme désigne la valeur juridique que donne à un enseignement le recours au modèle formel du canon.

[4-En latin, « Ce qui a été cru partout, en tout temps et par tous. » (Vincent de Lérins, Commonitorium, II, 5)

[5-En latin, « Dans le même sens et dans la même pensée [que ce qui a été défini dogmatiquement auparavant]. » (Vincent de Lérins, Commonitorium, XXIII, 3)

[6-En complément de la précédente citation du Syllabus du pape Pie IX, nous pouvons ajouter celle-ci : « Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des maux déplorables qui affligent à présent l’Église. Nous voulons dire l’indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la fourbe des méchants, qu’on peut, par une profession de foi quelconque, obtenir le salut éternel de l’âme, pourvu qu’on ait des mœurs conformes à la justice et à la probité. [...] De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. » (Grégoire XVI, encyclique Mirari Vos, 15 août 1832)

[7-« Le Concile se propose avant tout de juger à cette lumière [de la foi] les valeurs les plus prisées par nos contemporains (droits de l’homme, liberté, tolérance, etc.) et de les relier à leur source divine. Car ces valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain qui est un don de Dieu, sont fort bonnes ; mais il n’est pas rare que la corruption du cœur humain les détourne de l’ordre requis : c’est pourquoi elles ont besoin d’être purifiées. » (Gaudium et spes, II, §2.19)

[8-« Combien sont incapables de comprendre que la Rédemption de Notre Seigneur Jésus-Christ doit s’opérer avec l’aide de la société civile, et que l’État par conséquent doit se faire, dans les limites de l’ordre temporel, l’instrument de l’application de l’œuvre de la Rédemption. Ils vous répondent : ‘Ah ! ce sont deux choses différentes, vous mêlez la politique et la religion !’ Et pourtant, tout a été créé pour Notre Seigneur Jésus-Christ, donc pour l’accomplissement de l’œuvre de la Rédemption : tout, y compris la société civile qui, je vous l’ai dit, est une créature du Bon Dieu elle aussi ! La société civile n’est pas une pure création de la volonté des hommes, elle résulte avant tout de la nature sociale de l’homme, de ce que Dieu a créé les hommes pour qu’ils vivent en société ; c’est inscrit dans la nature par le créateur. Donc la société civile elle-même, non moins que les individus, doit rendre hommage à Dieu, son auteur et sa fin, et servir le dessein rédempteur de Jésus-Christ. » (Mgr Marcel Lefebvre, Ils L’ont découronné, chap. XIV)

[9-Constatant que « l’esprit du Concile » a prôné durant de nombreuses années ce dogme radical qu’est la neutralité de l’État, il nous semble utile de montrer que cette idée va à l’encontre de nombreuses déclarations des papes, et pas uniquement de ceux qui sont perçus comme étant les plus radicalement anti-libéraux comme Grégoire XVI et Pie IX : « Si l’intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s’y attache, ni l’une ni l’autre n’atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. II n’est donc pas permis de mettre au jour et d’exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle de la protection des lois. » (Léon XIII, encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885)

[10-Cette citation du R.P. Réginald Garrigou-Lagrange o.p. explicite parfaitement la différence de nature entre une liberté religieuse pratique, acceptée par l’Église selon les circonstances, et le concept « universel » de liberté religieuse : « Nous pouvons [...] faire de la liberté des cultes un argument ad hominem contre ceux qui, tout en proclamant la liberté des cultes, persécutent l’Église (états laïcs et socialisants) ou empêchent son culte directement ou indirectement (états communistes, islamiques, etc.). Cet argument ad hominem est juste et l’Église ne le dédaigne pas, l’utilisant pour défendre efficacement le droit de sa liberté. Mais il ne s’ensuit pas que la liberté des cultes, considérée en elle-même, soit soutenable par les catholiques comme un principe, parce qu’elle est en soi absurde et impie : en effet, la vérité et l’erreur ne peuvent avoir les mêmes droits. » (Réginald Garrigou-Lagrange o.p., De Revelatione, T. II)

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