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Le Roi des Belges ne doit pas signer !

Cet article nous a été adressé par un de nos lecteurs, étudiant en droit, belge.

« Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ? » Soljenitsyne aux étudiants de Harvard, 1978

Suite à l’adoption par la Chambre des Représentants de Belgique de la loi la plus mortifère au monde de libéralisation de l’euthanasie (i.e. dès l’enfance, sans âge minimal), malgré la résistance d’une partie de la population belge ayant défrayé les chroniques, une pétition, à l’intention du Roi des Belges, Philippe, circule sur internet. Son objet est simple : demander à Sa Majesté de ne pas sanctionner et promulguer la loi, mission confiée à sa personne par la Constitution du Royaume.

Certaines rumeurs circulent sur internet, affirmant que le Roi ne peut poser un tel acte, et est donc obligé, de droit ou de fait, de faire précéder toutes les lois de la phrase suivante : « Philippe, Roi des Belges, À tous, présents et à venir, Salut. Les Chambres ont adopté et Nous sanctionnons ce qui suit :…  »

Qui dit la vérité ? A-t-il le choix ou non ?

En France, le Président de la République peut annuler tout le processus législatif d’une loi en refusant de la signer : c’est arrivé à Jacques Chirac (en accord avec son gouvernement toutefois, contre la CPE). Les textes constitutionnels belges traitant des compétences du Roi [1] n’ayant pas changé 1831, il convient en premier lieu de voir si un tel acte a été posé depuis et si sa constitutionnalité a été contestée. Au moins par trois fois :

• En 1842, le Roi Léopold Ier, premier Roi des Belges, refuse de sanctionner une loi sur les droits d’accise du vin ;
• En 1884, le Roi Léopold II refuse de sanctionner une loi sur la modification des limites territoriales communales et la création de nouvelles communes ;
En 1990, le Roi Baudouin refuse de sanctionner la loi de dépénalisation conditionnelle de l’avortement.

Le Roi Baudouin, en « incapacité de régner »

Différence notable entre Baudouin et ses aïeuls, ceux-ci ont anéanti le processus législatif, Baudouin, non. Il écrivait à son Premier Ministre, Wilfried Martens :

«  En signant ce projet de loi et en marquant en ma qualité de troisième branche du pouvoir législatif, mon accord avec ce projet, j’estime que j’assumerais inévitablement une certaine coresponsabilité (…) Je sais qu’en agissant de la sorte, je ne choisis pas une voie facile et que je risque de ne pas être compris par bon nombre de concitoyens. Mais c’est la seule voie qu’en conscience je puis suivre. À ceux qui s’étonneraient de ma décision, je demande : ‘Serait-il normal que je sois le seul citoyen belge à être forcé d’agir contre sa conscience dans un domaine essentiel ? La liberté de conscience vaut-elle pour tous sauf pour le Roi ?’
Par contre, je comprends très bien qu’il ne serait pas acceptable que par ma décision, je bloque le fonctionnement de nos institutions démocratiques. C’est pourquoi j’invite le gouvernement et le Parlement à trouver une solution juridique qui concilie le droit du Roi de ne pas être forcé d’agir contre sa conscience et la nécessité d’un bon fonctionnement de la démocratie parlementaire
 » [2]

Le Roi dira à son Premier Ministre tentant de le dissuader, « Vous pouvez m’envoyer le cardinal et même le pape, je ne changerai pas d’avis. » [3]
Certains observateurs ont considéré à l’époque que la décision du Roi Baudouin avait définitivement mis au placard le droit de veto du Roi. Ça reste à démontrer. Ce qui est certain c’est que l’entourloupe trouvée prouva qu’on ne pouvait, sans enfreindre la Constitution, éviter l’assentiment Roi : « l’impossibilité de régner ».

L’article 93 de la Constitution prévoit qu’en cas d’impossibilité de régner du Roi constatée par les ministres, la tutelle et la régence sont pourvues par les Chambres réunies. Deux scandaleux écarts au texte ont été opérés. Le premier est relatif à l’impossibilité de régner du Roi. De l’avis unanime de la doctrine, cette impossibilité n’a jamais visé la conscience du Roi, mais la démence ou l’incapacité mentale du Roi, ou encore le Roi prisonnier, tel qu’a été considéré Léopold III en Belgique occupée. Deuxièmement, la Constitution donne la tutelle et la régence aux Chambres réunies, pas au Gouvernement (cas de de la vacance du trône). Le rôle du Gouvernement devait se limiter à constater l’impossibilité de régner et à convoquer les Chambres, ce qui n’a jamais été fait.

Au recours qui a été porté à l’époque devant la Cour constitutionnelle par Pro Vita, il a été habilement répondu qu’il revenait au pouvoir exécutif de contrôler le respect du processus de l’élaboration des lois. Impossible de contester quoi que ce soit donc…
Notons que tout cela n’a pas empêché le Roi Baudouin d’être cette année-là « l’homme de l’année des media ».

Quoi qu’il en soit, si le Roi ne signe pas et ne demande pas d’entourloupe, la loi ne pourra être légalement promulguée.

Mais… ce n’est pas démocratique !

La séparation des pouvoirs et l’assemblée élue ne suffisent pas à être qualifié de démocratique. Certains principes fondamentaux doivent être respectés. Parmi eux se trouve le respect de la vie innocente. Si le droit à la Vie n’est pas respecté, tous les autres deviennent caducs. La loi votée par les élus belges est donc non seulement abusive, mais illégitime. Dans ce contexte la résistance est un devoir pour tous les citoyens. Y compris pour le premier d’entre eux.

« Il n’est pas vrai que la volonté du peuple, manifestée par l’opinion publique ou de tout autre manière, constitue la loi suprême, indépendante de tout droit divin ou humain. » Bienheureux Pie IX, Quanta Cura, 1864.

Lorsque l’assemblée élue légifère contre la loi naturelle et divine, nous ne pouvons pas la laisser faire, qui que nous soyons. Cela, nous le faisons par devoir de charité. La différence avec un Roi est la suivante : les conséquences de ses actes l’emportent sur un plus grand nombre de personnes.

Qu’on le veuille ou non, la Belgique est une monarchie constitutionnelle. Ce régime implique qu’un homme désigné par sa naissance, le Roi, ait un certain nombre de prérogatives (à la différence de la monarchie protocolaire), définis par et soumis à la Constitution (à la différence de la monarchie absolue). Parmi ces pouvoirs, le Roi cumule la troisième branche du pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Cela lui octroie respectivement la sanction et la promulgation des lois. La monarchie n’est pas toujours le régime le plus démocratique qui soit. Maintenant l’histoire nous apprend que la décision de la majorité n’est pas toujours Justice et Vérité.

Le Roi « prend acte, ni plus ni moins, de l’aboutissement du processus législatif » !
C’est ce qu’a affirmé en janvier 1990 l’un des plus éminents constitutionnalistes belges, proche de la famille royale, Francis Delpérée. Mais avancer cela sans préciser qu’il s’est lui-même rétracté, c’est comment dire ? un fameux raccourci ! Il déclare en 2010 :

« En janvier 1990, je suis interrogé par Baudouin Cartuyvels, sur les antennes de RTL-TVI. Mon collègue, François Perin, laisse entendre que le roi pourrait refuser de signer une loi dépénalisant partiellement l’avortement. « Est-ce possible, est-ce pensable ? », me demande le journaliste — qui est aussi un ancien étudiant —. Je réponds du tac au tac. « Le roi n’a pas à avoir des états d’âme ». Et j’explique ce propos cinglant : « Lorsqu’il sanctionne la loi, le roi est le notaire de la Nation, selon l’expression connue. Il prend acte, ni plus ni moins, de l’aboutissement du processus législatif. Dans ces conditions, pourquoi s’inquiéter ? »

Je me suis trompé. L’on connaît la suite de l’histoire. Mieux que d’autres, le roi Baudouin connaissait les contraintes constitutionnelles. Mais, trois mois plus tard, pour ne pas se trouver dans une situation où, contraint et forcé, il aurait dû apposer sa signature au bas du parchemin législatif, il se met dans l’impossibilité de régner. (…) Le roi Baudouin a montré plus de grandeur d’âme, c’est le cas de le dire. Il me l’a signifié, de manière symbolique, trois ans plus tard.  » [4]

Par ailleurs, si tel était le cas aujourd’hui, il ne conviendrait plus de prétendre que nous sommes en monarchie. Le Roi se limite à être un fonctionnaire qui enregistre les lois comme un ordinateur le ferait aussi bien. Quel est l’intérêt d’une signature lorsqu’elle est obligatoire ?

Un appel au Roi ne l’engage à rien. Le Roi a suffisamment de pressions dans le sens de sa signature que pour que nous puissions – et qu’il soit souhaitable que nous le fassions – lui montrer qu’il n’est pas seul, qu’il est soutenu. Du reste, il est un adulte, inutile de l’infantiliser, il prendra sa décision seul, face à Dieu.

Les temps ont changé ! Aujourd’hui ce serait la fin du pays ! Le Roi est le ciment de la Belgique !

La situation est effectivement différente : elle est pire qu’avant. Raison de plus pour réagir d’autant plus (sinon après ne nous étonnons pas que ce soit en Belgique que la culture de mort soit la plus avancée) et personne n’est de trop dans cette entreprise. Ni le citoyen lambda ni le Roi.

La fin du pays… Je me demande bien pourquoi l’on tiendrait à faire vivre un pays si c’est pour que celui-ci porte l’étendard de la culture de mort. Ceux qui me connaissent savent que je suis extrêmement attaché à l’unité du pays. Le Catéchisme de l’Église Catholique de Jean-Paul II nous apprend que « la fin ne justifie pas les moyens  ».

Une faillite morale est bien pire qu’une crise institutionnelle. L’une guette la nation dans sa réalité matérielle, l’autre perd son âme. Si le Roi signe il évitera la première, mais contribuera par son silence à enfoncer son pays dans la seconde. « Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien », disait Edmund Burke. À ceux qui veulent préserver la monarchie à coup de rumeurs il reste à leur rappeler ces mots de Churchill à Chamberlain : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ».

Que faire alors maintenant ?

1. Prier, pour le Roi, pour la Belgique ;
2. Il est encore possible de faire savoir notre opposition à cette loi, toutes les initiatives sont les bienvenues et peuvent circuler sur les réseaux sociaux ;
3. Signer la pétition de CitizenGO au Roi ;
4. Écrire au Roi des Belges : À Sa Majesté le Roi, Palais Royal, rue Brederode 16, 1000 Bruxelles, Belgique


[1Article 36 de la Constitution : « Le pouvoir législatif fédéral s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat » ; Article 37 : « Au Roi appartient le pouvoir exécutif fédéral, tel qu’il est réglé par la Constitution » ; Article 109 : « Le Roi sanctionne et promulgue les lois ».

[2Wilfried Martens, Mémoires pour mon pays, Lannoo Uitgeverij, 2006, p. 178.

[3Ibidem, p. 180.

[4Francis Delpérée, « La Revue Générale », n° 8-9/2010.

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