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Je n’ai pas l’honneur de connaître Charles-Maurice, le « sulfureux » auteur d’un article publié sur le site Liberté politique et intitulé « Ces jeunes catholiques qui survivent à Sciences-Po ». Il est le catholique par lequel vint le scandale, celui qui jeta le trouble parmi les « mutins de Panurge » (Philippe Muray), les anticonformistes de tous poils et les rebelles de tous crins. Étant élève à l’Institut d’Études Politiques de Paris, j’ai pu observer la vague des reproches salés, l’avalanche des imprécations glaciales, l’ouragan de haine impétueuse. Pas moins de cinq ou six de ce que le Trombinoscope [1] m’oblige à appeler des « amis », ont publié le billet de Charles-Maurice. Est-ce au fond la religion qui a intéressé tous ces gens soucieux de nous donner leur docte avis ? Il faut craindre que non. Certes, il est aussi question, dans l’article, de la « Patrie » — mot que les révolutionnaires et, les suivant, François Mitterrand — n’avaient pas eu peur d’utiliser ; mais Charles-Maurice a bien titré « Ces jeunes catholiques », et pas « Ces jeunes patriotes », ou pire « Ces jeunes marinistes », puisque cela doit être synonyme dans l’esprit de bien des gens, à présent. En somme, rares sont les voix qui n’ont pas vu dans les lignes disponibles sur Liberté politique, autre chose que de la politique, précisément. Pour les futurs apparatchiks du Parti socialiste et les prochains « Copé-boys » de l’Union pour un mouvement populaire, on a surtout voulu reconnaître le spectre de l’extrême-droite et de l’intolérance.
Blague à part, si j’ose dire, ceux qui se sont délectés de Voltaire, ou de La marche de Radetzky — non la composition, mais le livre de Joseph Roth — auront lieu de reprendre quelques séances chez leur psychologue. Les amateurs d’ironie se font rares dans l’Institut, ainsi un certain R.D. qui estime que « survivre, le terme est peut être un peu fort ».
Bref, je me propose de servir aux lecteurs qui s’intéressent aux micro-querelles de l’Institut un petit florilège de citations prises ici et là, et qui m’ont paru particulièrement croustillantes. De toutes celles-ci, et de ma propre expérience de disciple de l’Église qui est en la principauté de Saint-Germain, je voudrais tirer deux conclusions : (1) que je n’aime pas la tolérance, et assez peu ceux qui la professent ; (2) que la survie intellectuelle du catholicisme est une question qui peut se poser à bon droit à Sciences-Po.
Pour l’illustrer, je vous propose, sur la tolérance, l’excellent M.T. qui déclare, l’air de rien, et avec la cohérence et le délicieux langage d’un ivrogne : « Ne soyons pas trop sévères avec ce JEUNE c(h)réti(e)n, de la tolérance, de la tolérance ! ». Voilà ce qu’on appelle tout ensemble l’élégance et la finesse. Fi ! Quel trait ! Sur la survie, ensuite, plein d’enthousiasme, P.L. nous donne son avis dans un style fleuri qui, hélas, rappelle moins les grandes heures de 1793 que les beuglements de la gueuserie assassine qui fit les massacres de septembre : « Sa souffrance est jouissif vite la deuxième convention il en reste !!! ». Ou encore, T.M., chevalier de l’Apocalypse, véritable Terminator au service du Bien, gros-bras magnifique qui pense que la « confrontation intellectuelle » et le « débat d’idée légitime » doivent faire tout de même un peu mal : « Qu’on mette la main dessus, ils ne survivront plus très longtemps. » Vite un pogrom anti-catholique ! Voilà, qui, au moins, a le mérite de la clarté.
Ma foi est connue de mes camarades, et même de quelques autres. Cela m’a attiré quelques plaisanteries douteuses, d’affectueuses moqueries, un peu d’incompréhension, beaucoup d’indifférence, et, peut-être, un soupçon de mépris. Rien de très grave, en somme. Contrairement à cette idée, aussi géniale que généreuse, aussi formidable que bien exprimée par P.L. (« Je m’en fous qui signe pas [la pétition] ! je lui ferai bouffer le tract si je el croise » [2]), personne ne m’a fait de violence morale, et encore moins physique. Bref, oui, de la tolérance, il y en a parmi les paliens. Mais entendons-nous sur ce qu’est la tolérance. Ce qu’offrent ses apôtres, c’est une certaine morgue, ou encore la lassitude qu’expriment de nombreux parents, par un long soupir, devant des enfants turbulents et ingrats. On n’aime pas, mais on supporte. Le Dictionnaire de l’Académie française, autorité vénérable et incontestable [3] le dit mieux que moi :
TOLÉRANCE. n. f. Condescendance, indulgence, action de supporter ce qu’on ne peut empêcher ou qu’on croit ne devoir pas empêcher. Longue tolérance. Ce n’est pas un droit, c’est une tolérance. Il ne jouit de cela que par tolérance. Il n’en jouit que par la tolérance de ceux qui le pourraient empêcher. User de tolérance. [...]
TOLÉRANCE s’emploie particulièrement en matière de religion et se dit de l’Action de supporter des idées, des sentiments différents des nôtres. Pratiquer la tolérance. Voltaire a été l’apôtre de la tolérance. [...]
Tolérance civile, Permission qu’un gouvernement accorde de pratiquer, dans l’État, d’autres religions que celles qui y sont établies, reconnues par les lois, pratiquées par le plus grand nombre des citoyens. La tolérance civile est quelquefois restreinte à certains cultes, à certaines croyances. Tolérance générale, universelle. Édit de tolérance. […] [4]
En tant que catholiques, nous n’avons pas lieu de nous satisfaire de cela. D’ailleurs, les tentatives d’évangélisation, menées avec un certain courage par les membres du Centre Saint-Guillaume, aumônerie étudiante, le prouvent. Nous ne pouvons pas être de bons catholiques si nous ne nous affirmons pas comme tels. Mais force est de constater que peu d’étudiants sont réceptifs envers cette religion dont a découlé une grandiose tradition intellectuelle, et qu’elle n’a pas sa place à l’Institut. La laïcité est d’ailleurs bien souvent le sésame magique qui permet de l’enterrer. En tant que telle, la religion catholique est réduite à un extrémisme que les tolérants ne peuvent pas tolérer, énième contradiction et retournement de cette modernité qui appelle les choses par leur contraire.
Ainsi, la tolérance devient-elle un excellent principe d’exclusion. « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » pourrait-on redire, non sans ressentir quelque peu l’excès de cette emphase. Cette exclusion, M.R.-L. l’exprime à sa manière : « La pensee unique ? [...] Mais on peut s accorder pour etre contre ce que tu definis toi meme comme etant d extreme droite. Et pour defendre l administration (une fois n est pas coutume) je sais que le richisme est un courant fort au sein de l IEP mais je crois qu il nous reste pas mal d esprit de contradiction. Les gender sont ainsi le sujet de nombreuses controverses, il suffit de se rendre sur le mur de Garçes Collectif Féministe pour s en rendre compte ! » Voilà comment, en peu de mot, on peut expliquer qu’on est pour la contradiction, mais que la contradiction classée à l’extrême-droite ne saurait être entendue.
Le véritable problème ne se situe pas donc pas au niveau de la tolérance. Le problème est bien plutôt que le catholicisme est peu respecté, trop souvent décrié par des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans une église. Ainsi, l’inénarrable P.L. n’a pas peur de résumer la foi catholique de la sorte : « Moi je ne m’oppose pas au droit d’une femme à disposer de son coeur, j’en ai rien à foutre qu’il se branle la nouille à réciter des absurdités à genoux dans une église je le laisse eprdre son temps comme il veut ».
Le catholicisme semble faire un consensus : c’est daté, vieux, ce n’est pas moderne ; en somme, c’est assez embêtant, sans compter que les enfants de chœur dégénèrent facilement en conservateurs, ou pire, en réactionnaires. Sciences-Po poursuit donc son grand programme de promotion des « études de genre », sans coup férir, et même, sans y réfléchir. A-t-on vu dans le célèbre amphithéâtre Boutmy Son Excellence monseigneur d’Ornellas, ou Son Éminence le cardinal Vingt-Trois venir expliquer ce qu’ils en pensaient ? Je me souviens tout au plus d’un débat sur une question qui lui est corollaire, le « mariage » homosexuel, où la section de Sciences-Po de l’Union pour un mouvement populaire avait invité un représentant du Parti chrétien-démocrate … en même temps qu’un radical valoisien acquis à la cause. De débat, de contestation, il n’y en a pas. Et de fait, pourquoi y en aurait-il, si l’on en croit S.D. : « Justement si Alexandra, si il se retrouve à "survivre" c’est justement parce qu’il y a un gros consensus sur les questions citées. Que lui se trouve ne pas partager... ».
Le catholicisme est aussi ignoré, et les jugements aussi faux que péremptoires ne manquent pas de pleuvoir. À l’image de V.-M.V. qui tombe de haut : « […] Je suppose que ce type ne se rend même pas compte qu’il vient confirmer les propos de bon nombre de personnes (dont moi) qui estiment que la foi catholique est totalement déconnectée du monde réel et refuse obstinément la modernité. » De fait, le catholicisme n’a rien de moderne. Un excellent prêtre l’exprimait aussi simplement que justement : « Mais Dieu n’a pas changé, Lui ! ». Pourquoi l’Église devrait-elle changer, si ce n’est pour se perfectionner vers plus d’authenticité ? L’Église ne risque pas davantage d’être « connectée » à la réalité de ce curieux personnage, s’il l’en a lui même exclue. Et c’est cette même bêtise qui fait dire à S.F. : « [...] Et je plains les chrétiens qui ont à supporter ce genre d’individus qui utilise la religion comme justification de leur arrièrisme. » Je voudrais décerner la palme à une charmante demoiselle, P.C. : « Finalement, [Charles-Maurice est] un vrai chrétien. Dieu vomit les tièdes. Le livre de l’Apocalypse (3:14-16) le dit très clairement : "Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche." » Je ne suis pas certain des compétences de cette plaisante personne en matière d’exégèse, mais soit c’est une catholique « bouillante », soit elle a senti les flammes de l’enfer, car, comme on dit, « elle a frit, elle a tout compris ».
Partout, on a rivalisé sur la définition du « bon chrétien ». Mille fois hélas, je ne suis pas certain que ceux qui se sont livrés à un tel effort intellectuel aient été les plus qualifiés pour cela. La nouvelle espèce de catholique, c’est un Huron à la sauce U.N.É.F. Il s’agit d’un type sympââââ, « citoyen », « ouvert d’esprit », etc. R.R.-L. le résume parfaitement : « Alors en fait y a aussi des cathos qui sont pour le mariage homo, les gender studies, qui signent les petitions d amnesty ET MEME qu ils militent a l UNEF. Si si si. »
Je n’ai pas pour ma part l’honneur de connaître ces catholiques qui vont à l’encontre de tout ce que professe l’Église, à l’image de l’incroyable R.H. : « Je pense que le mariage civil gay est une bonne chose, que la légalisation de l’avortement a été un progrès [...] » Autant que je me souvienne, l’avortement vaut excommunication, et l’Église ne considère pas un crime comme un progrès. Mais voilà une explication qui se dessine car le même individu écrit plus loin : « Moi j’ai déjà rencontré des caricatures chrétiennes de ce genre.... Dont mon prêtre de paroisse (qui fait que je ne vais plus à la messe, d’ailleurs !) ». Je ne puis que lui conseiller la lecture de l’article de Paysan Breton à ce sujet. Voilà une foi qui est, assurément, profondément enracinée ! Voilà une personne qui estime qu’on va à la messe pour les beaux yeux de son curé, et certainement pas pour le sacrement de l’eucharistie ou pour suivre ce que nous a demandé de faire le Christ, en mémoire de Lui. Force est de constater que ce genre de catholique fait songer à un protestant. Et plus précisément, à une forme de protestantisme dégénéré, décérébré, où surnage, dans une mare de bons sentiments, la très sainte et très sacrée divine Tolérance.
Laissons le mot de la fin à l’excellent K.G., nouveau prophète : « L’universalité, l’égalité entre les hommes, le partage des richesses : des concepts défendus par le Christ, mais tournés en dérision par les mauvais chrétiens... Comme celui qui a écrit cet article. »
Il est donc temps de conclure. Une note positive tout d’abord. J’ai reconnu un disciple de Muray quelque part. Mieux, C.G. nous rappelle ce qu’est le bon sens : « […] Cela dit, qu’un catho se sente mal à l’aise à l’épicentre du laboratoire du Gender, c’est compréhensible. Et j’imagine que l’atelier du 6 mai 2010 pendant la queer week, animé par une actrice X, n’a pas fait recette parmi les étudiantes qui fréquentent le CSG. » Plein de modération, et même peut-être de compassion, P.J. ajoute : « Ce jeune réac doit regretter une époque révolue, au demeurant imaginaire... Cela dit, n’existe-t-il pas une certaine tendance à faire de la foi qq. chose de tabou ou forcément "archaïque" ? »
Mais en bon pessimiste, je m’efforcerai de terminer sur une lueur de ténèbres, un nouveau motif de désespérer. Vous l’aurez vu, chers lecteurs, l’orthographe et la propreté du style sont assez malmenés dans ce qui se veut le temple de l’élite française. Laissons donc P.L. massacrer le français, à défaut de pouvoir guillotiner les catholiques : « Oui il a dit quelque chose de caricatural et débile sur sciences po et prône une vie réactionnaire dangereuse ces gens là on peut s’en débarasser ».
[1] « Facebook », pour ceux qui ont des difficultés de compréhension avec la langue française.
[2] L’orthographe n’a pas été modifiée.
[3] Je songe à en faire une marque déposée, pour la plus grande gloire des Immortels.
[4] Nous nous sommes rapportés à l’édition de 1932-1935, dans la mesure où la nouvelle édition n’a pas encore atteint la lettre « t ». Cette définition peut être lue in extenso en cliquant ici.
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