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Deux dames d’allure bourgeoise lisent la parole de Dieu sur un ton monocorde ou avec une componction affectée. La prière universelle est d’une sophistication inintelligible qui peine à laisser deviner des intentions de prière concrètes. L’organiste fait penser à la cavalerie dans les westerns : il joue toujours en retard, comme pour venir au secours du prêtre qui ne parvient pas à faire chanter des airs un peu niais, pourtant très connus. Trois jeunes filles, blondes et de bonne famille, arrivent très en retard, avec fracas, et esquissent à peine une génuflexion, un sourire moqueur aux lèvres. Une quêteuse s’entête à répondre un « merci » un brin accusateur alors qu’elle récupère la corbeille. Un vieux monsieur très bien mis surgit peu avant le début de l’offertoire, les bras encombrés de deux baguettes et d’un considérable paquet de croissants qu’il s’empresse de tendre à son épouse après des effusions démonstratives. Au début du canon, une troisième bourgeoise tourne ostensiblement sa mine extasiée vers un mur ou une affiche. L’une des lectrices saute alors sur l’occasion pour s’assoir avec toute l’emphase qui lui a manqué lorsqu’elle se tenait à l’ambon. Le signe de la paix généreusement distribué suggère autant de visites mondaines. Au fond, dans l’ancien chœur qui baigne dans une quasi-obscurité, un sacristain en civil tourne sans cesse, fixant l’assemblée de temps à autre. Après la communion, il sera chargé de remettre Jésus au tabernacle. Le prêtre ne se soucie pas de répondre lors du psaume ou de la prière universelle. L’assemblée est maigre, muette et grise dans une église sombre, sale et sordide. À la sortie, le célébrant gratifie les fidèles d’une poignée de main qui laisse songeur. Plus loin, on croise le curé en clergyman, le col romain dégrafé dans une église très froide.
Voilà, en quelques mots le tableau d’une messe vécue par un chrétien de passage, dans une église qui pourrait servir au théâtre comique, si le répertoire liturgique existait.
À la fin d’un article du Figaro [1] demeuré assez célèbre, Jean Fourastié, avec une note d’espoir, se demandait si l’exemple de la messe de 11h à Saint Eustache ne laissait pas entrevoir, malgré toutes ses craintes, un redressement de la liturgie et de la théologie dans l’Église de France. Dans ce désert froid et triste qu’était Saint-Germain-des-Prés à 9h dimanche matin, il y a une partie de la réponse. On tutoie toujours Dieu, « on borne toujours des pauvres hommes par un pauvre homme (au lieu de se) diriger tous vers la face invisible de Dieu ». Même si la créativité commence à mourir de sa belle mort, elle cède la place à des offices où la joie est aussi absente que la prière, malgré la grande affiche qui, à l’entrée, promet un « Carême de joie ». Dans une église qui résonne souvent des mots d’« accueil », de « joie », et d’« amour », je ne me suis jamais senti aussi seul, triste et empli de souffrance.
Il est assez déconcertant de voir qu’au cœur du diocèse de Paris, dans une de ses paroisses les plus riches, dans le quartier de la bourgeoisie et de l’intelligentsia, il y a moins de sens liturgique que dans la plus crottée des paroisses de France. On peut porter une belle cravate ou être chef d’équipe liturgique et ne pas avoir la moindre idée du grand mystère qui se joue lorsque le prêtre dit « Prenez et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous ». Il est frappant de voir que les personnes les mieux éduquées ne songent pas un instant au respect qu’elles doivent à Dieu. Il est navrant de constater que le clergé n’a plus aucune exigence quant à la manière de célébrer le saint sacrifice de la messe, ni pour lui-même, ni pour les ignares en civil qui assistent désormais les prêtres à l’autel.
C’est moins couru qu’« Even », moins brillant et moins bruyant que le millénaire, moins jazzy que le concert du 1er avril, mais il faudrait se souvenir que la messe de 9h à Saint-Germain-des-Prés est aussi la « source et sommet de toute la vie chrétienne » [2].
L’Église ne sait plus comment faire pour que les fidèles reviennent. Pourtant, elle sait très bien comment les faire fuir. La messe de 9h à Saint-Germain-des-Prés est une bonne base de réflexion.
[1]
[2] Conc. Vat. I, Const. dogm. Lumen Gentium, 11
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