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La fin de l’athéisme et les trois libéralismes

Devant le spectacle de nos sociétés déchristianisées, on pourrait penser que l’athéisme a encore de beaux jours devant lui. Eh bien Philippe Nemo fait le pari inverse ! Dans un bref essai d’une centaine de pages [1], l’un des meilleurs spécialistes français de F.A. Hayek montre que l’athéisme est moribond, voire mort. Si tel est le cas, dit-il, c’est parce que ce dernier « n’a pas tenu ses promesses et n’a pas établi que l’homme est moins misérable sans Dieu qu’avec Dieu. » Pourquoi lesdites promesses n’ont-elles pas été tenues ? L’explication est simple : tous les programmes intellectuels qui s’étaient donné pour tâche de détruire le christianisme se sont épuisés. Qu’il s’agisse du positivisme, du scientisme, de la libre-pensée ou encore d’une certaine exégèse historico-critique ayant pour ambition de discréditer la Révélation chrétienne, tous se sont effondrés à la suite des démentis du réel ou faute de consistance propre. Cet implacable constat corrobore celui que nous faisons tous dans la vie courante : à l’hostilité de principe au christianisme ont succédé l’indifférence et l’ignorance. L’athéisme militant s’est effacé... Il importe maintenant de remplir ce vide.

Formé à partir de publications diverses, le livre de Nemo contient aussi des chapitres qui, malgré leur rapport lointain avec la mort de l’athéisme, méritent le détour ; ainsi celui concernant les relations entre libéralisme et christianisme. Contrairement à une idée reçue, que l’on trouve aussi bien chez les anticléricaux que chez certains dévots, libéralisme et christianisme sont loin d’être inconciliables. L’auteur a en effet acquis la conviction « non seulement que le libéralisme est compatible avec le christianisme, mais qu’il est directement ou indirectement jailli de ce dernier. » [2] L’éthique chrétienne, par la place qu’elle accorde à la responsabilité personnelle, au devoir de soulager le fardeau de son prochain, est à l’origine de toutes les institutions de liberté. Autrement dit, la reconnaissance du libre-arbitre et l’espérance en un meilleur lendemain ont enfanté la liberté individuelle et le progrès. Deux biens que le libéralisme cherche justement à protéger en promouvant l’économie de marché, la liberté d’expression, l’autonomie de la société civile ou le respect du pluralisme.

D’où vient alors que l’on oppose souvent libéralisme et christianisme ? La réponse de Nemo est éblouissante : pour dépasser l’opposition, il faut distinguer trois niveaux de profondeur au sein du libéralisme. Le premier niveau, le plus superficiel, considère que la liberté vaut pour elle-même, qu’elle est sa propre fin. Elle justifie qu’on lui sacrifie toutes les autres valeurs. Le deuxième niveau veut la liberté parce que celle-ci garantit le progrès. En politique, en économie et dans la société, la liberté permet de maximiser l’utilité du plus grand nombre. La liberté devient alors le moyen d’une fin qui lui est supérieure. Le troisième et dernier niveau accorde du prix à la liberté parce qu’elle garantit le progrès qui permet lui-même à l’homme d’atteindre des fins spirituelles supérieures. La liberté devient finalement un moyen de moyen : « la liberté est le seul moyen d’obtenir le progrès qui n’est lui-même qu’un moyen permettant de mieux satisfaire en pratique à ce que demande la charité » [3]. Et Nemo d’indiquer les penseurs qui se rattachent à chacune de ces catégories : les libertariens ou anarchistes au premier niveau, les utilitaristes au deuxième (dont Hayek), ceux qui défendent la liberté pour la charité au troisième (saint Thomas d’Aquin, Grotius, Locke, Kant, Benjamin Constant...). S’il doit donc y avoir une opposition entre libéralisme et christianisme, ce n’est qu’aux deux premiers niveaux.

Nemo reconnaît qu’un chrétien n’a pas besoin de la liberté au sens où un anarchiste ou un utilitariste en ont besoin. Mais sans elle, le chrétien ne peut traduire la charité en acte. Or cette dernière ne peut se limiter au don. Le libéral Nemo n’hésite pas à citer le janséniste Pierre Nicole pour nous en convaincre ! Selon ce dernier, l’échange marchand remplit en effet « les besoins humains d’une manière que l’on n’admire pas assez, et où la charité commune ne peut arriver » [4]. La charité implique aussi que le chrétien soit tolérant dans le domaine des idées. Nul syncrétisme n’est demandé. Simplement, le constat de la faillibilité humaine interdit d’imposer une vérité religieuse ou scientifique, au nom du respect de la conscience. Ce n’est pas un hasard, constate Nemo, que les sociétés unanimistes à l’image de l’Islam ou de la Chine n’aient pu connaître un développement continu des sciences. Encore une telle tolérance ne suffit-elle pas si elle n’est pas portée par l’idée que le futur peut se distinguer du passé : « seuls des chrétiens, pour qui l’allègement des souffrances humaines et l’amélioration du monde sont par excellence ce à quoi Dieu nous appelle, peuvent avoir un intérêt puissant et soutenu à augmenter sans limite les connaissances humaines. » [5]

Cette distinction entre les trois libéralismes ne manquera certainement pas de susciter des objections, en particulier chez ceux qui pensent que la vérité, qu’il s’agisse des vérités historiques ou religieuses, a besoin des béquilles de la contrainte juridique (lois mémorielles) ou physique (bras séculier). Elle ne devrait pas non plus ravir les ennemis du marché. Mais, outre qu’elle unit ce qui semblait irréconciliable, elle a l’immense mérite de rappeler que la vérité et la charité ne sont jamais aussi bien servies que quand elles vont de pair avec la liberté.


[1Philippe Nemo, La belle mort de l’athéisme moderne, P.U.F., 2012

[2Ibid., p.73

[3Ibid., p.108

[4Ibid., p.96

[5Ibid., p.82

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