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« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29).
Lorsqu’une loi ne respecte plus la loi naturelle, est-elle encore une loi, même si elle en possède la forme ? A-t-on le devoir de s’y opposer ? Comment conserver l’unité de sa personne en agissant selon sa conscience tout en vivant dans une société laïque qui se veut de plus en plus « moralement neutre » ?
L’objection de conscience ne risque-t-elle pas en revanche de devenir l’étendard de l’anarchiste qui souhaite faire ce qu’il veut comme il l’entend ? Pourquoi poser une objection de conscience alors qu’il est plus confortable de ne rien dire et de respecter la loi. Est-il moralement bon d’être un « fauteur de trouble » ?
Ces questions reviennent régulièrement ces dernières années, principalement avec les problèmes que posent le « mariage » pour tous, et plus récemment avec la loi sur la fin de vie qui s’apparente à la légalisation, de fait, de l’euthanasie.
Lundi 11 mai avait lieu un débat sur l’objection de conscience organisé par L’Homme Nouveau [1] , les rencontres de l’espérance [2], et tout le réseau Auberge espagnole sainte Catherine de Sienne [3], et animé par la journaliste Adélaïde Pouchol.
Différents intervenants sont venus apporter leurs lumières autour de ce vaste sujet :
Nous pouvons définir rapidement la conscience comme étant le jugement de la raison qui estime que tel acte est bon ou mauvais. Cela présuppose que la vérité est le critère de la conscience et que cette dernière doit être éduquée pour discerner le vrai : tel acte est-il conforme à ce qui est dû à l’être humain ? Ce n’est pas la conscience qui détermine le bien. La conscience n’est pas un « caprice éthique » (pour reprendre l’expression de Thibaud Collin) où l’individu devient le critère de ce qui est bien ou non.
Notre société laïque fait de nous des hypocrites. Nous faisons ce que nous demande la loi, mais nous n’en pensons pas moins. Ce qui intéresse l’état est ce que nous faisons avec notre corps, la finalité éthique ou religieuse de l’être humain lui importe peu ; tant que la cohésion sociale est assurée, le citoyen est libre de penser ce qu’il veut. L’état, dès lors, ne garantit plus la recherche du vrai bien, mais son but sera d’assurer le minimum pour la cohésion, et de défendre simplement des valeurs formelles qui apparaitront comme devant être respectées.
Comment donc préserver l’unité de notre personne dans une société où tout est fait pour séparer l’action de la pensée tout en respectant, même temps, les lois de la république ? Les enjeux de cette question sont d’ordres éthique, politique, mais aussi anthropologique car l’unité de la personne est en jeu.
L’objection de conscience est un refus d’obéir à une loi que la conscience éclairée [4] juge inique. Elle se présente donc comme nécessaire [5]
La loi est-elle uniquement l’expression de la majorité ou l’expression de la raison qui cherche ce qui est juste ? Dans une société comme la nôtre où la loi repose sur l’expression de la volonté générale, l’objection de conscience devient plus difficile à poser que si elle était exprimée dans un régime clairement totalitaire. Et pourtant, la démocratie n’étant pas le garant de la vérité, elle a toute sa place.
L’objection de conscience ne peut pas rester théorique… Comment se réalise-t-elle concrètement ? Que faire pour aider les personnes qui pratiquent un métier nécessitant l’objection de conscience ?
L’objecteur de conscience est malheureusement souvent seul. Il est rarement quelqu’un de connu, il n’agit le plus souvent pas via un mouvement de mobilisation collective.
L’objecteur de conscience est « révélateur des dysfonctionnements du système » explique Philippe Cappello en présentant l’association « Objection ! » qui a pour but de venir en aide aux personnes touchées par ce problème : les médecins, notaires, maires, pharmaciens... Cette aide consiste à créer des réseaux de personnes du même métier, afin qu’elles ne soient pas seules, à organiser des formations (notamment en partenariat avec Alliance VITA [6]), à aider dans les procédures judiciaires, ...
L’objection de conscience est un acte individuel mais qui par sont rayonnement contribue au bien commun. En ce sens, elle a une dimension politique. Il nous faut noter aussi que de plus en plus de corps de métiers vont être touchés par ce problème et que les objections de conscience risquent de se multiplier.
L’objection de conscience participe aussi au bonheur de la personne car elle le permet de préserver son unité et la cohérence de sa conscience. Le bonheur n’est ici pas synonyme de confort. En effet, suivre jusqu’au bout sa conscience peut conduire à la perte d’un emploi, voire à la mort comme ce fut le cas pour Saint Thomas More.
Les témoignages du Docteur Sylvie de Kermadec, gynécologue-accoucheur, et de Josiane Dekponton, pharmacienne en officine nous montrent à quel point l’objection de conscience est difficile. D’une part, parce qu’il faut être clair dès le départ sur les valeurs que l’on défend, ensuite parce qu’il est difficile de s’opposer à ses collègues qu’on admire parfois, enfin parce que les conséquences touchent directement notre quotidien.
Madame Dekponton raconte que, lorsqu’elle contrariait sa conscience en vendant des pilules du lendemain, son patron voyant son embarras lui affirma qu’elle remplissait son devoir de pharmacienne, chose qui lui fut confirmée par un prêtre. La contrariété persistant, elle a fini par demander de ne plus vendre les produits moralement condamnables ce qui, à terme, a provoqué son licenciement. Les pharmaciens, n’ayant à ce jour aucune clause de conscience, cet exemple montre qu’il est actuellement possible en France de perdre son emploi pour avoir respecté sa propre conscience. [7]
Cet exemple manifeste l’importance de bien se former sur ces questions cruciales. Car si l’on n’est pas directement touché, on pourra l’être à l’avenir d’une part, et d’autre part, on peut être amené conseiller à ses proches. Il relève de notre responsabilité morale d’induire les gens à faire le bien.
Le témoignage du docteur de Kermadec nous conduit aux mêmes conclusions. Elle aussi perdit un emploi pour avoir posé une objection de conscience. Pour elle, c’est le premier refus qui est le plus difficile. Voici le récit du sien : lorsqu’elle n’était encore que jeune étudiante, des médecins voulurent la piéger et lui faire faire un avortement en guise d’apprentissage. Ils connaissaient ses convictions sur le sujet. Par une réflexion entendue, elle comprit ce qu’on lui demandait réellement et dû refuser, in extrémis, se montrant ridicule devant ses collègues expérimentés dont elle reconnaissait la compétence par ailleurs.
« L’autorité ne tire pas d’elle-même sa légitimité morale. Elle ne doit pas se comporter de manière despotique, mais agir pour le bien commun comme une « force morale fondée sur la liberté et le sens de la responsabilité » (Gaudium et spes n. 74, § 2) :« La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à la juste raison ; d’où il apparaît qu’elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure où elle s’écarterait de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car elle ne vérifierait pas la notion de loi ; elle serait plutôt une forme de violence » (Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique 1-2, 93, 3, ad 2). » [8]
Je vous invite à lire et à méditer cet article du catéchisme de l’Église Catholique et à vous former en éthique [9]. Se former c’est déjà résister !
[1] À l’occasion de la sortie de leur numéro hors-série sur l’objection de conscience
[4] Ce qui évite l’argument de l’objection de conscience comme justification de l’anarchie.
[5] Cette affirmation peut être enrichie par ces deux textes de Saint Thomas d’Aquin, dans la Summa theologiae, I IIa. Question 90 article 2 : « Réponse : On vient de le dire : la loi relève de ce qui est le principe des actes humains, puisqu’elle en est la règle et la mesure. Mais de même que la raison est le principe des actes humains, il y a en elle quelque chose qui est principe de tout le reste. Aussi est-ce à cela que la loi doit se rattacher fondamentalement et par-dessus tout. Or, en ce qui regarde l’action, domaine propre de la raison pratique, le principe premier est la fin ultime. Et la fin ultime de la vie humaine, c’est la félicité ou la béatitude, comme on l’a vu précédemment Il faut par conséquent que la loi traite surtout de ce qui est ordonné à la béatitude. En outre, chaque partie est ordonnée au tout, comme l’imparfait est ordonné au parfait ; mais l’individu est une partie de la communauté parfaite. Il est donc nécessaire que la loi envisage directement ce qui est ordonné à la félicité commune. C’est pourquoi le Philosophe, dans sa définition des lois, fait mention de la félicité et de la solidarité politique. Il dit en effet que “ nous appelons justes les dispositions légales qui réalisent et conservent la félicité ainsi que ce qui en fait partie, par la solidarité politique ”. Car, pour lui la société parfaite c’est la cité. En n’importe quel genre le terme le plus parfait est le principe de tous les autres, et ces autres ne rentrent dans le genre que d’après leurs rapports avec ce terme premier ; ainsi le feu qui est souverainement chaud, est cause de la chaleur dans les corps composés qui ne sont appelés chauds que dans la mesure où ils participent du feu. En conséquence, puisque la loi ne prend sa pleine signification que par son ordre au bien commun, tout autre précepte visant un acte particulier ne prend valeur de loi que selon son ordre à ce bien commun. C’est pourquoi toute loi est ordonnée au bien commun. »
Ibid. : Question 96 article 6 : « Réponse : Toute loi, avons-nous dit, est ordonnée au salut commun des hommes, et c’est seulement dans cette mesure qu’elle acquiert force et raison de loi ; dans la mesure, au contraire, où elle y manque, elle perd de sa force d’obligation. Aussi Justinien dit-il que “ ni le droit ni la bienveillance de l’équité ne souffre que ce qui a été sainement introduit pour le salut des hommes, nous le rendions sévère par une interprétation plus dure, au détriment du salut des hommes ”. Or il arrive fréquemment qu’une disposition légale utile à observer pour le salut public, en règle générale, devienne, en certains cas, extrêmement nuisible. Car le législateur, ne pouvant envisager tous les cas particuliers, rédige la loi en fonction de ce qui se présente le plus souvent, portant son intention sur l’utilité commune. C’est pourquoi, s’il surgit un cas où l’observation de telle loi soit préjudiciable au salut commun, celle-ci ne doit plus être observée. »
[7] La clause de conscience existe à ce jour pour deux corps de métiers, les médecins et les journalistes. Pour le médecin cela est inscrit dans l’article 47 du code de déontologie : Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. »
[8] Catéchisme de l’Église catholique, éd. Pocket, 1998,n° 1902
[9] L’Institut Politique Léon Harmel, propose des formations : http://www.iplh.fr
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