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Frais d’inscriptions universitaires (II) : le scandale des mutuelles étudiantes

Cet article est le deuxième de notre série consacrée aux étranges utilisations des frais d’inscriptions universitaires.

Le premier, traitant des dérives du FSDIE, est accessible ici.

Les rapports officiels (Sénat, Cour des comptes, UFC-Que choisir, ...) ont beau se succéder depuis des années pour tenter d’alarmer sur la nécessaire réforme des mutuelles étudiantes, rien ne se passe. Chaque rapport est soigneusement et méticuleusement placé sur la pile formée par les précédents. Et pendant ce temps, gaspillages et magouilles entre amis continuent joyeusement avec l’argent et la santé des étudiants.

Inscription universitaire et inscription à la sécurité sociale étudiante

Dès leur inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, les étudiants doivent obligatoirement, sauf quelques cas particulier, s’affilier au régime de la sécurité sociale étudiante. C’est ce régime spécifique qui prendra en charge les remboursements des soins durant l’année universitaire. Ce régime n’est pas géré, comme l’est par exemple le régime général, par un organisme unique mais par une multitude de « mutuelles » étudiantes.

Ce terme de « mutuelle étudiante » est lui-même trompeur. Comme le note la sécurité sociale elle-même : « bien que l’on parle couramment de « mutuelles » étudiantes, ces organismes sont chargés de gérer l’assurance maladie obligatoire des étudiants, c’est ce qu’on appelle la sécurité sociale des étudiants ». La confusion est d’autant plus grande que ces organismes proposent aussi un service de mutuelle complémentaire (ce qui dans le monde du travail est ce que l’on entend par mutuelle).

Difficile alors pour les jeunes étudiants qui ne se sont pas penchés sur la question de comprendre que si la partie « régime étudiant » de la mutuelle est obligatoire, la partie « complémentaire » est, elle, facultative. Ce flou est d’ailleurs savamment entretenu par les « mutuelles étudiantes » qui profitent souvent de la méconnaissance des étudiants pour les faire cotiser à la partie « facultative » (qui relève de l’activité de mutuelle) en même temps que la partie « obligatoire » (qui relève de l’activité d’assurance maladie obligatoire).

Les dérives en séries des « mutuelles étudiantes »

2011, 2012, 2013, 2014… Chaque année plusieurs articles émaillent la presse sur les dérives des « mutuelles étudiantes ». Qu’elle soit de droite ou de gauche, la presse s’est ainsi faite l’écho des différents rapports qui dénoncent les dérives délirantes du système de sécurité sociale étudiante français.

Le Monde déclare ainsi que « ces organismes obligatoires, abusivement qualifiés de "mutuelles étudiantes", accumulent les critiques alors qu’ils sont censés protéger un public plus pauvre que la moyenne » [1].

Régulièrement critiquées depuis 2006 par la cour des comptes [2], les dérives du régime de sécurité sociale étudiante semblent s’accélérer depuis trois ans. En décembre 2012, c’était au Sénat de rédiger son propre rapport sur le sujet [3]. Peu avant, en septembre 2012, l’UFC que Choisir réalisait sa propre enquête et dénonçait une situation intenable pour bon nombre d’étudiants [4]. En 2013, la cour des comptes se penchait une nouvelle fois sur le sujet [5] dans un rapport au vitriol.

Tous ces rapports vont dans le même sens : remboursements tardifs, frais de gestion exorbitants, cartes Vitale égarées, interlocuteurs injoignables, mutuelles structurellement déficitaires, dérives politiques, avantages financiers douteux … les mutuelles étudiantes fonctionnent mal.

« Depuis 1971, le système est géré par un duopole mettant en concurrence la LMDE, mutuelle nationale née sur les décombres de la MNEF en 2000, et un réseau de mutuelles régionales (EmeVia). Avec une spécificité : celle de gérer non seulement la Sécu des étudiants dans le cadre d’une délégation de service public, mais aussi de pouvoir distribuer des complémentaires santé optionnelles dans un but lucratif. […] Si les rapports ciblent principalement les dérives de la LMDE, les mutuelles régionales sont elles aussi sérieusement épinglées » [6].

La première absurdité est le système lui-même : tous les étudiants auront exactement la même couverture à l’arrivée, puisqu’il n’y a qu’une Sécurité sociale étudiante [7]. Pourtant moins de la moitié des étudiants interrogés (43 %) savent que le montant du remboursement est le même quelle que soit la mutuelle choisie [8].

La France est en effet le seul pays européen à avoir un tel système, comme le rappelle le rapport sénatorial [9], tandis que le rapport de la cour des comptes critique de son côté un mode de gestion très spécifique « qui n’a d’équivalent dans aucun pays comparable », « peu encadré » et à la gouvernance « insatisfaisante »  [10].

« Ce montage curieux, où les étudiants ne sont ni dans la Sécu, ni en dehors, se perpétue depuis soixante-quatre ans. […] Chaque année, il faut sortir des centaines de milliers de jeunes du régime général, où ils étaient couverts par la Sécu de leurs parents. Et chaque année, il faut réintégrer dans le régime général d’autres centaines de milliers de jeunes en fin d’études. […] Dans la confusion générale, il n’est pas rare que des cartes Vitale arrivent avec des semaines, voire des mois de retard. Entre juillet et octobre 2011, par exemple, au moment des inscriptions, la Caisse nationale d’assurance maladie a procédé à 529 000 transferts d’étudiants vers les mutuelles. À la fin de l’année, le changement était effectif pour seulement 351 000 d’entre eux » déclare l’UFC que choisir [11]

A chaque rentrée, la LMDE et le réseau EmeVia, qui regroupe onze mutuelles régionales (Smerep, Smerra, Vittavi, etc.), se livrent une féroce bataille sur les campus pour attirer le maximum d’étudiants [12].

Une concurrence marketing inutile et qui embrouille les étudiants, jugent les rapporteurs du Sénat. « Lorsqu’il faut effectuer les inscriptions à l’université on se retrouve noyé parmi les mutuelles qui cherchent chacune à nous attirer », constate une étudiante. Une autre déclare que « lors de son inscription, un conseiller lui a fait rapidement part des avantages liés à sa mutuelle, sans qu’elle ne puisse avoir le temps de comprendre puisque un conseiller concurrent les interrompait sans cesse » [13].

Cette bataille marketing rangée à laquelle s’adonnent ces mutuelles étudiantes à chaque rentrée a même abouti l’année dernière à une polémique délirante autour d’une campagne publicitaire de la SMEREP jugée sexiste, mêlant pêle-mêle associations étudiantes, syndicats et autres mouvements subventionnés [14].

Une fois la rentrée passée et les cotisations empochées, il semble que les étudiants ne soient désormais plus le principal souci de ces mutuelles. Et les critiques pleuvent :

Les frais de gestion de ces établissements sont trois fois plus élevés que ceux de l’Assurance-maladie (13,7% au lieu de 4,5%). [15]. La cour des comptes juge que « les mutuelles étudiantes paraissent significativement moins productives que les caisses primaires ». […] il leur fallait en moyenne plus de huit jours pour personnaliser les cartes Vitale, quand à peine 2,7 suffisent au régime général [16]. Une enquête de la FAGE (Fédération des Associations Générales Étudiantes) révèle que 55% des appels reçus par les mutuelles étudiantes ne sont pas traités et que 33% des étudiants sont sans carte Vitale au 31 décembre suivant la rentrée [17].

La LMDE

Plus grande des mutuelles (920 000 affiliés), la LMDE concentre les critiques et les inquiétudes : (59%) des plaintes la concernent, et lorsque le nom de la mutuelle est renseigné, ce sont 8 plaintes sur 10 qui la visent, alors même qu’elle ne représente pourtant que 50% des parts du marché [18].

La situation est abracadabrante : « Les files d’attente s’étirent devant les permanences. Une heure, deux heures de queue, souvent pour devoir revenir le lendemain… » déclare l’UFC Que choisir. Au point que des parents et des étudiants ont même créé leur propre site Internet visant à fédérer les mécontents dans l’espoir de débloquer des dossiers ! [19]

La Cour des comptes a ainsi mené sa propre enquête de satisfaction auprès de plus de 1 700 personnes affiliées à la LMDE. La note moyenne de satisfaction a été d’à peine 2,33 sur 5, soit le plus mauvais score de toutes les mutuelles étudiantes, qui sont globalement toutes mal notées. Des chiffres qui viennent démentir les 88 % de personnes satisfaites vantées dans les "enquêtes de satisfaction autoproduites" par la LMDE.

La LMDE ne serait ainsi en mesure de répondre qu’à un appel téléphonique sur quatorze. En février 2013, plus de 200 000 courriers adressés à la mutuelle étaient en attente de suivi et les retards de traitement des feuilles de soins sont chroniques. […] neuf mois après leur inscription, 10 % des étudiants n’ont toujours pas reçu leur carte et ne peuvent donc bénéficier du tiers-payant [20].

Et la situation financière n’est guère plus réjouissante. Au 31 décembre 2011, la LMDE cumulait 23,4 millions d’euros de pertes sur dix ans ; concluant les deux derniers exercices précédents avec respectivement 3,6 millions d’euros et 832 000 euros de déficit. L’ensemble des dettes de la LMDE s’élevait fin 2011 à plus 65 millions d’euros, une somme comparable à ses recettes annuelles [21].

La Cour des comptes pointait elle aussi, en 2013, « la situation préoccupante de la LMDE, seule mutuelle étudiante à ne pas réussir à couvrir ses charges de manière récurrente ». Ses coûts de gestion apparaissent élevés avec une faible productivité, […] et un cabinet externe avait évalué que les caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM) du régime général avaient une productivité supérieure de 20 % à celle de la LMDE [22].

La Sécurité sociale emploie ainsi une personne pour 30 410 remboursements (chiffres 2011) quand la LMDE a besoin d’un salarié pour 20 040 remboursements. La LMDE serait 34 % moins efficace que celle de la Sécu [23].

La présidente de la LMDE avait relativisé à plusieurs reprises fin 2013 les critiques de la Cour des comptes : « si notre gestion était si catastrophique, cela fait des années que nous aurions coulé et nos comptes n’auraient jamais été certifiés », affirmait-elle alors [24] que la mutuelle était peu après placée sous « surveillance spéciale » par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) [25] puis placée jeudi 3 juillet 2014 sous administration provisoire par l’ACPR pour manque de fonds propres [26].

Dernier rebondissement dans cette affaire, La MGEN souhaite finalement renoncer au plan d’adossement qu’elle avait proposé pour aider la LMDE à se sortir de ses difficultés [27].

Historique : le scandale de la Mnef

« La LMDE a été créée en 2000 pour prendre le relais de la Mnef. Cette dernière s’est vu retirer sa délégation de service public et a été dissoute la même année, suite à de graves carences dans sa gestion. Relevées dès 1982 par la Cour des comptes, elles avaient entraîné en 1998 ­l’ouverture d’une ­enquête pour abus de biens sociaux, ­détournements de fonds publics et abus de confiance. Les dirigeants de la mutuelle vivaient sur un grand pied et ­accordaient des emplois fictifs à des militants de l’Unef ou du parti ­socialiste. De fortes amendes parfois ­accompagnées de peines de prison avec sursis ont été prononcées dans cette affaire contre 17 prévenus, dont ­l’ancien directeur de la Mnef, Olivier Spithakis, son ancien président, Jean-Michel Grosz, et l’élu socialiste Jean-Christophe Cambadélis. » [28].

« La MNEF, bras armé de l’Unef » titrait le Nouvel Obs résumant le scandale de la MNEF de cette manière : « Emplois fictifs, détournements d’argent, lien incestueux avec le PS… Le scandale de la gestion de la MNEF depuis le début des années 1980 éclate au grand jour. Les révélations concernent notamment le salaire - 100.000 francs par mois - et les émoluments du trésorier Olivier Spithakis ; l’embauche prioritaire des militants de l’Unef-ID liés au mouvement trotskiste, puis intégrés au PS, comme Jean-Christophe Cambadélis ou Marc Rozenblatt, président de l’Unef-ID ; ou encore les filiales créées pour rémunérer des emplois fictifs, produire des fausses factures, créer des montages financiers... En novembre 1999, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’Economie du gouvernement Jospin, impliqué dans l’affaire, présente sa démission. Il sera relaxé » [29].

Des mutuelles politisées

Autre critique, ces organismes seraient trop proches du monde politique. Les treize membres du bureau de la LMDE appartiennent tous, à des degrés divers, à l’Unef, syndicat étudiant proche du Parti socialiste. Le réseau EmeVia s’affiche, lui, apolitique. « Chez EmeVia, les liens politiques sont moins évidents, mais ils existent à droite », assure pourtant Mathieu Escot, chargé du dossier santé à l’UFC-Que choisir [30].

« Ces mutuelles servent de financement à certains syndicats étudiants, par l’intermédiaire des subventions aux associations proches, explique un bon connaisseur du système, qui réclame l’anonymat. Aux élections de la LMDE, seule l’UNEF présente des listes […]. Et c’est pareil pour les mutuelles régionales, on ne sait pas toujours quand ont lieu les élections. Il n’y a jamais de campagne. » [31].

La LMDE a conclu au fil des années plusieurs conventions réglementées avec des associations, au premier rang desquelles figurent l’UNEF ou le syndicat lycéen UNL. La mutuelle consacrerait à ces partenariats une enveloppe annuelle de 200 000 euros environ, selon les déclarations de la présente de la LMDE en février 2013. « Ils la conduisent par exemple à sponsoriser les congrès annuels de l’UNEF, en échange de coups de main du syndicat sur le terrain, allant de la distribution de préservatifs à l’affichage de publicité dans ses publications internes. Un budget "peu important" que la présidente de la LMDE se refuse à détailler et met sur le compte de la mission de prévention santé dévolue aux mutuelles. » [32].

De fait, la question de la LMDE est très politique. « Elle concerne de près l’Unef, premier syndicat étudiant, proche du parti socialiste qui tire une partie de ses revenus de la gestion de la LMDE. » [33].

Les cadres de la LMDE sont souvent choisis sur des critères politiques, selon l’UFC-que-choisir qui n’hésite pas à les présenter comme des « administrateurs militants, étudiants ou pseudo-étudiants » : « Tout le monde sait que la LMDE sert de point de chute à de nombreux syndicalistes de l’Unef. » Ils ont passé leurs années de fac à militer, ils arrivent à la trentaine, il faut leur trouver un poste » [34]. « On le sait, on connaît les attaches qu’ont certains membres, anciens comme actuels, du gouvernement avec les mutuelles étudiantes. Ce sont des pouponnières de certains partis politiques » déclarait lui aussi le président de la FAGE, faisant référence à la proximité de l’Unef avec la LMDE [35].

Les hommes politiques sont pourtant conscients du problème : « Pour nous, de toute façon, ce serait politiquement incorrect de poser la question de la gestion de la LMDE », s’amuse une députée socialiste. Le Monde, confirmant ces propos, rapporte que « L’UNEF, et par extension la LMDE, sont historiquement très proches du PS. Dernier exemple en date, le directeur général de la LMDE va devenir, le 1er janvier, secrétaire général administratif du PS. » [36]

Autre anomalie, alors que La LMDE est en partie adossée à la MGEN, la proximité entre ces deux structures entraine des pratiques étonnantes. La Cour des comptes révèle ainsi que les enfants de fonctionnaires adhérents de la MGEN bénéficient "d’un traitement prioritaire" de leurs courriers et appels lorsqu’ils choisissent la LMDE, ce qui est en "contradiction avec les principes du service public" [37].

Copinage et avantages financiers

La Cour des comptes pointe aussi les coûts de gestion élevés de la LMDE tandis que sa productivité est faible. Elle dénonce un mode de rémunération trop avantageux et en augmentation qui ne pousse aucunement aux efforts [38].

Elle vise ici les indemnités versées à la vingtaine d’administrateurs délégués de la mutuelle, tous issus de l’UNEF. Le rapport dévoile que « la vingtaine d’étudiants se sont partagés en 2011 près de 250 000 euros – un montant équivalent aux pertes de la mutuelle, hors éléments exceptionnels. Chaque "bénévole" perçoit en moyenne 1 200 euros par mois, les mieux lotis atteignant 2 200 euros. Une pratique autorisée mais pas obligatoire dans les mutuelles, en contradiction avec la "gratuité" des fonctions proclamée dans les statuts de la mutuelle. » [39].

Autre pratique étrange, en 2011, un plan social avait abouti au départ de 130 des 640 salariés, moyennant « des indemnités importantes », note la Cour. Alors même que ces départs ont tous été remplacés « quelques mois plus tard » [40].

Autre aspect de la rémunération des « salariés » de la LMDE, le rapport dénonce un dispositif d’intéressement « injustifié » et en augmentation : « Il n’y a pas d’intéressement dans les mutuelles étudiantes sauf à la LMDE. Les efforts des salariés de la mutuelle doivent, pour maximiser l’intéressement, se focaliser sur la progression de la vente de garanties complémentaires sans aucune prise en compte de la qualité de service délivrée aux affiliés au titre de la délégation de gestion de l’assurance maladie obligatoire.
Alors que la mutuelle a constaté un résultat net négatif de près de 3,8 M€ sur la période 2007-2011, elle n’en a pas moins versé plus de 2,2 M€ d’intéressement, soit en moyenne 700 € par an et par personne. Les modalités de calcul de l’intéressement ont été modifiées en 2011 et ont permis de verser aux salariés un intéressement de plus de 600 000 € au lieu de moins de 200 000 € si l’on avait continué d’appliquer la formule précédente »
 [41].

Le régime complémentaire

« Pour une mutuelle, gagner des adhérents, c’est gagner du poids, et c’est l’occasion de vendre des complémentaires santé. Les mutuelles étudiantes, en effet, cumulent une délégation de service public et une activité d’assureur ordinaire, à but lucratif » déclare l’UFC-Que-Choisir qui dénonce les « mensonges éhontés servis à des premières années qui ne comprennent rigoureusement rien à la différence entre régime obligatoire et régime complémentaire, qui ignorent l’existence de plusieurs mutuelles, ainsi que la possibilité de choisir entre elles. » [42].

Plus grave, « près de quatre nouveaux étudiants sur dix pensent que les complémentaires santé qu’elles proposent sont obligatoires… » [43]. Tandis que la FAGE déclare que 47,7% des étudiants estiment que les mutuelles ont trop insisté pour vendre leurs produits privés [44].

Pourtant, les étudiants pourraient trouver ailleurs des tarifs plus compétitifs. L’UFC-Que choisir estime qu’une complémentaire santé sur Internet peut être 30% moins chère. [45].

Le rapport de la cour des comptes confirme cette analyse et déclare que « l’adhésion au régime complémentaire étudiant est donc financièrement peu intéressante pour les étudiants et elle l’est d’autant moins qu’ils bénéficiaient comme ayants droit de leurs parents, avant d’être affiliés à la sécurité sociale étudiante, d’une tarification familiale avantageuse. » [46].

Une autre étude réalisée par Capital confirme elle aussi que cette option est souvent gagnante : « Les étudiants l’ignorent souvent, mais s’ils doivent systématiquement passer par une mutuelle étudiante pour le volet sécurité sociale, la souscription à ces organismes pour le volet complémentaire n’a absolument rien d’obligatoire.[…] En faisant jouer la concurrence avec les mutuelles généralistes, [...] un étudiant de 20 ans peut souscrire une complémentaire de base, à partir de 20 euros par mois. Soit, effectivement 30% moins cher qu’un contrat LMDE, par exemple. A cet âge où les problèmes de santé sont souvent rares, ce type de contrat suffit ». [47].

« Des besoins spécifiques ». Vraiment ?

Les dérives sont telles que les rapporteurs du Sénat, Ronan Kerdraon (PS, Côtes-d’Armor) et Catherine Procaccia (UMP, Val-de-Marne), ont estimé qu’il est temps de mettre fin à la concurrence à laquelle se livrent les deux organismes gérant la "Sécu" des étudiants [48].

Un avis partagé par l’UFC-Que Choisir, qui demande une reprise en main directe par l’assurance maladie [49], et par la Cour des comptes, qui préconise ainsi « de permettre aux étudiants d’opter chaque année entre le maintien du rattachement au régime de leurs parents et l’affiliation à la sécurité sociale étudiante. 69 millions d’euros d’économies pourraient ainsi être réalisées par l’assurance maladie » [50].

Selon l’UFC-Que Choisir, la solution la plus appropriée à l’intérêt des étudiants serait une remise à plat complète, avec gestion directe par l’assurance maladie, leur permettant ainsi de bénéficier de la même couverture, tout en supprimant des structures « dont la valeur ajoutée est très relative, quand elle n’est pas, comme dans le cas de la LMDE, franchement négative. » [51].

Propositions qui ont bien évidement fait bondir syndicats et mutuelles étudiantes. « Il faut maintenir un régime : les étudiants ont des besoins de santé spécifiques qui doivent être gérés par les étudiants », explique l’administrateur de la LMDE chargé de la presse, Julien Ballaire, par ailleurs syndiqué à l’UNEF [52]. Quels sont ces « besoins spécifiques » de santé qui apparaitraient à l’instant où les étudiants arrivent à l’université et disparaissent dès qu’ils commencent à travailler ? Mystère.

Interrogé en janvier 2014, Le président du réseau EmeVia, Ahmed Hegazy défendant l’existence de son réseau de mutuelles étudiantes déclarait lui aussi que « […] Les missions des mutuelles étudiantes sont beaucoup plus larges […], nous assurons aussi des missions de prévention auprès d’une population en difficulté que sont les étudiants. […] avec une problématique de prévention, d’accompagnement et d’exposition aux risques bien supérieure à celle de l’ensemble de la population » [53].

La LMDE et EmeVia s’accordent donc sur ce point : « la santé des étudiants doit continuer à être gérée par les étudiants eux-mêmes » [54].

Un point de vue totalement balayé par les différents rapports. Cette « spécificité étudiante » est incompréhensible pour l’UFC-que-choisir : « cette histoire de gestion de la santé des étudiants par les étudiants est une fable » [55]. « Compte tenu de son âge (et de l’insouciance qui l’accompagne…), une part importante de la population étudiante voit très rarement le médecin. Les économies réalisées se chiffreraient alors en dizaines de millions d’euros. À coût égal, on pourrait diminuer sensiblement la cotisation étudiante. » [56].

Pour les rapporteurs du Sénat « cette solution ferait disparaître la particularité d’un régime étudiant, mais n’empêcherait aucunement de mener des actions spécifiques envers cette population, écrivent-ils, en rappelant que la France est le seul pays européen à avoir un tel système » [57].

Le nouveau président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) milite lui-aussi pour le rattachement des étudiants au régime général de la sécurité sociale. « Il suffit d’ouvrir le code de la sécurité sociale et d’enlever les articles qui délèguent la sécurité étudiante », explique-t-il. « A la prochaine rentrée, les étudiants continueront de s’affilier sauf qu’il n’y aura plus de changement de régime, allers-retours incessants entre la CPAM et la mutuelle étudiante et plus de problèmes de retards de remboursement ou d’envoi de carte vitale » assure-t-il [58].

Immobilisme politique : la réforme est-elle possible ?

Cette suppression des mutuelles étudiantes et le rattachement des étudiants au régime général sont pourtant recommandés par la cour des comptes depuis 2006 [59]. Mais la classe politique semble réticente à s’emparer du problème.

A l’automne 2012, Marisol Touraine, ministre de la santé, s’était publiquement demandé "s’il fallait séparer le régime des mutuelles étudiantes des autres". Des propos restés sans lendemain, alors même que le ministère promettait l’examen du dossier au premier trimestre 2013 [60].

De même, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, avait annoncé début janvier 2014 une réforme pour le printemps. Réforme qui elle aussi se fait toujours attendre [61].

Fort de ce constat, l’UFC-Que Choisir et la Fage préconisaient fin septembre 2014 d’examiner la proposition de loi sénatoriale déposée en juin 2014 visant à rapatrier la gestion de la Sécurité sociale étudiante auprès de l’assurance maladie. Cette proposition des sénateurs UMP a pour objet de supprimer les mutuelles étudiantes et « prévoit que les étudiants demeurent affiliés, mais de façon indépendante, au régime de Sécurité sociale de leurs parents. » [62]

En octobre 2013, le Parisien notait cyniquement que cette réforme était alors peu probable, jugeant difficile de croire que le gouvernement se risque à faire descendre les syndicats étudiants dans la rue [63].

L’UFC- Que choisir juge, elle aussi, que l’immobilisme politique est fortement lié au pouvoir de nuisance des syndicats étudiants. Comme le souligne un dirigeant de la Mutualité française, « l’Unef a encore les moyens de mettre le feu aux campus » [64].


[3Le rapport et sa synthèse sont accessibles en ligne.

[5Le chapitre complet du rapport annuel sur la sécurité sociale est disponible ici

[7Source

[8Source

[11Source

[13Source

[17Source

[18Source

[19Source

[23Source

[28Source

[30Source

[34Source

[35Source

[41P524 du rapport de la cour des comptes.

[42Source

[43Source

[44Source

[46P515 du rapport de la cour des comptes.

[49Source

[50Source

[51Source

[52Source

[54Source

[55Source

[56Source

[58Source

[62Source

[63Source

[64Source

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