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Face a l’imposition d’une mythologie artificielle et hors-sol, la nécessité de convoquer les héros médiévaux

Le super-héros et la modernité

Un paradoxe touche notre société française, un paradoxe discret mais qui pourtant est lourd de sens : on observe depuis environ 2005-2008 (Sorties respectives des films Batman Begins et Iron Man), une sur-médiatisation, une sur-représentation du super-héros, sorte de surhomme, d’évolution moderniste du héros antique et mythologique, et, à l’opposé, une mise en retrait, voire une condamnation du héros national et historique. Le héros aseptisé des studios Marvel et DC Comics, apparaît comme conforme à la volonté moderniste d’uniformiser les représentations traditionnelles, les références historiques d’une population. Marc Tourret, professeur agrégé d’histoire, résume le héros comme étant « aux yeux des philosophes une incarnation morale du bien, quand les anthropologues voient en lui un ancêtre légendaire, une figure totémique ». On demande donc aux héros d’être des modèles, des êtres-acteurs du bien, tangibles et auxquels se raccrocher, on pourrait également, en citant Malraux dans L’Espoir, ajouter comme caractéristique, la nécessité d’être reconnu comme tel par une population réunie en civilisation : « Il n’y a pas de héros sans auditoire ». Le super-héros américain ne répond pas à ces exigences : on nous impose ce héros, les scores du film au box-office ou les chiffres de vente des produits dérivés ne légitiment pas cette reconnaissance. Et si ces héros sauvent Manhattan ou même bien souvent la Terre entière, c’est non pour un Bien Commun, mais bien pour un « bien » subjectif, pour établir un monde libre (libéral ?) et mondialisé marqué par le sceau de la bannière étoilée. On est bien loin du héros européen, de la référence historique touchant le spectateur, qui se sentirait alors héritier et pourrait être marqué par un devoir d’honorer par des actions d’éclat et une vie vertueuse, tournée vers le service.

Ce constat fait, il convient d’agir, de se rappeler qui sont nos vrais héros. Le premier réflexe serait la tentation antique et mythologique, mais cela en vaut-il le coût ? Nous connaissons Ulysse, Jason ou Persée et plusieurs problèmes et limites les touchent. Il est, premièrement, à regretter l’impossibilité, tout du moins la difficulté, pour un jeune français de se référer à ces héros lointains, ancrés dans un univers certes méditerranéen, peut-être latinisé, mais trop exotique pour l’idée d’enracinement, du rapport à l’ancêtre qu’on demande aux héros.

Mais c’est surtout l’hybris, touchant bien souvent ces héros, qui pose problème. Achille, figure du héros militaire, se battant pour son honneur, pour entrer dans l’Histoire et donc dans la légende, est orgueilleux, se croyant invincible, il périra, et Ulysse, visitant les Enfers retrouvera son compagnon d’armes et ne pourra que constater la tragédie qui touche le Myrmidon lucide sur sa fin. Achille est immortel dans la littérature grâce à Homère, dans les mémoires, mais il sera à jamais vu comme l’homme qui a été frappé de cette hybris, dans cette démesure, de cet individualisme (combattre seulement pour sa gloire personnelle) qui est un trop grand mal pour notre société. A cela s’ajoute la désignation quasi-divine du personnage grec, ainsi de Thésée – à moitié fils de Poséidon – de Persée – fils de Zeus – ou d’Achille – fils de la Néréide Thétis. La divinité panthéonique de ces héros les éloigne indéniablement de l’individu sceptique d’aujourd’hui, qui ne peut se sentir gouverné par ces morts glorieux, qui ne peut s’en sentir héritier. Il est alors vital de convoquer une figure dont, nous, Français, sommes directement descendants et tributaires : le héros médiéval ancré dans l’histoire et la tradition de ce pays.

Un appel au héros de maintenir son rôle de héraut

Le héros se doit de symboliser un combat, la défense de valeurs, il est un porte-étendard, la manifestation humaine d’une transcendance, d’un idéal. On ne peut parler des chevaliers du mythe arthurien sans mentionner leurs recherches d’exploits mais surtout leur volonté de vivre avec exemplarité, non pas d’acquérir des richesses.

La figure du héros médiéval est infiniment liée à celle du chevalier. On pourrait étendre sa caractérisation à d’autres modèles comme les saints de l’Église catholique (sur lesquels on reviendra ultérieurement), les penseurs anciens ou des personnalités aux vies ou faits héroïques (Jeanne Hachette ou le Grand Ferré), mais on rapproche souvent le héros traditionnel (selon l’expression mythologique et antique) d’un combattant, qui durant toute sa vie, a réalisé exploits et hauts faits en faveur du Bien. L’étymologie de ce mot est obscure, le grec hêrôs ( traduit en ’chef de guerre’ chez Homère, ’demi-dieu’ chez Hésiode) est passé au latin classique avec le sens de demi-dieu puis d’homme de valeur supérieure. Sa transcription française ne date que du XIVe siècle et désigne un « demi-dieu » (tel Hercule/Heraclès, fils de Zeus et d’Alcmène), puis un individu qui se distingue par ses exploits ou un courage extraordinaire, particulièrement dans le domaine des armes. Il ne peut alors être question que du chevalier, pour le Larousse, un combattant à cheval, noble admis dans l’ordre de chevalerie au Moyen Âge. Ce qui faisait d’un homme un chevalier, c’était ce serment de servir, pour l’entièreté d’une vie, de défendre le faible, et de servir Dieu et son Roi (ou seigneur pour la féodalité). Des valeurs aujourd’hui essentielles mais bien trop souvent mésestimées.

Le propos de ce texte n’est pas de réaliser une chronologie des héros médiévaux, ni de l’évolution de sa perception, encore moins d’un travail biographique. Focalisons-nous sur trois bénéfices à tirer de la contemplation de ces grands hommes, illustrés comme il se doit. Commençons, logiquement, par ce qui fait le héros : son héroïsme. Le chevalier français du Moyen-Age est porteur de valeurs fortes, par son serment, il s’engage à vivre dans la grandeur de l’engagement. Il pourfend les injustices et érige certains comportements en vertus.

Dans sa Vita Karoli Magni, le moine Eginhard, conte, sur le modèle de la Vie des Douze Césars de Suétone, la vie de Charlemagne, Empereur d’Occident et Roi des Francs. S’il est bien question des hauts faits d’armes du seigneur-chevalier, il est aussi question de son caractère, sa piété, son sens de la justice. Texte probablement écrit pour l’éducation de Louis le Pieux, fils de l’Empereur, son intérêt réside dans sa dimension novatrice mais également dans la place donnée à la personne intérieure du monarque. Charlemagne, désigné comme héros médiéval des Neuf Preux de Jacques de Longuyon, sorte de panthéon héroïque, est montré comme un fin stratège, un fier combattant mais également comme un vrai chevalier chrétien, juste et noble, qui, à la différence d’Achille, laisse un héritage autant littéraire ou esthétique, que juridique, institutionnel ou géographique. Charlemagne a bâti sa légende mais également un héritage. Il est à l’opposé d’une vision nihiliste et individualiste où la réussite personnelle prévaut, c’est un bâtisseur d’éternité.

L’art fourmille de ces exemples héroïques, autant par la voie picturale – pensons à la Tapisserie de Bayeux célébrant la conquête, par Guillaume le Conquérant, de l’Angleterre et son combat – que littéraire. Le héros n’est finalement qu’un homme, c’est sa célébration qui fait sa légende et dont on tire des enseignements, il faut immortaliser ces vies, ces victoires, et l’écrit, à la suite de la tradition orale du troubadour, réalise ce vœu. Ainsi, dans ce qui représente la quintessence de l’écrit héroïque, la Chanson de Roland (XIIe siècle), le chevalier franc Roland meurt à la bataille de Roncevaux, le 15 aout 778, en protégeant l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne. Dans un dernier effort, le chevalier sonne son oliphant pour prévenir son suzerain et projette son épée qui viendra se figer dans la pierre à Rocamadour.

Son acte final magnifie son engagement, non pour aboutir fatalement au don de sa vie, mais plutôt s’offrir pleinement à une juste cause. Le courage, la hardiesse sont des caractères glorifiés par Roland. Ajoutons que convoquer Roland par le biais de sa Chanson, c’est aussi célébrer la première véritable pièce de la littérature française. On peut dire que le roman français est donc né pour célébrer un héros national.

Bien d’autres seraient à convoquer, par la plume de Chrétien de Troyes, par la Matière de France avec notamment le Charroi de Nîmes, ou par la vie d’un des plus grands chevaliers de l’histoire de l’Occident : Pierre Térail de Bayard – le Chevalier Bayard – dont la devise résume le caractère du personnage, qui a marqué plusieurs générations. Le bon chevalier sans peur et sans reproche incarne l’humilité, la sagesse, la courage et la bonté. Ainsi, lors de la bataille de Garigliano (1503), Bayard se distingue, non par sa force sur le champ de bataille, mais par son refus de céder le pas lors de la retraite des troupes françaises, et d’engager son corps pour permettre le repli de ses hommes, il incarne alors la force d’âme, une des quatre vertus cardinales, qui consiste à agir « avec fermeté devant le risque reconnu, c’est-à-dire en dernier ressort devant la mort » [1].

De cet héroïsme chevaleresque découle donc l’idée de service, qui était, pour les Anciens, intimement liée à Dieu, au bien commun. On défendait le faible, on reprenait Jérusalem, non uniquement pour sa légende ou son enrichissement, mais aussi pour son Salut, pour atteindre ce Royaume des Cieux, le chevalier était avant tout le serviteur de Dieu, le miles christi cherchant à vivre vertueusement. L’Église ne s’est pas trompée en canonisant Georges de Lydda. On ne retient pas aujourd’hui le saint Georges martyr, mais bien le saint patron de la chevalerie occidentale, le pourfendeur du Diable (le Dragon). Au chapitre des saints chevaliers, nous retrouvons également saint Louis, roi de France, mais également chevalier, qui pour sa vie et son combat pour la défense de la Terre Sainte mais aussi pour sa grande humilité et sa foi inébranlable, fait partie des rangs des saints.

Il ne faut pas se méprendre, tout chevalier n’est pas un saint, mais pour être qualifié de héros, le combattant médiéval doit avoir été au service du bien commun. Comment alors ne pas citer Saint Jeanne d’Arc, personnage féminin unique dans une période militaire dominée par le masculin. Il n’est pas nécessaire de revenir sur le parcours spirituel et guerrier de la sainte de Domrémy, c’est son legs qui compte ici. La Pucelle d’Orléans a placé sa vie, et donc son combat, dans les mains du Christ, ce sont ses « voix », qui la guident vers la libération du royaume de France. Son aura est immense, ses faits d’armes légendaires mais c’est sa sainteté quotidienne qui fait d’elle un héros – ou héroïne – immortel, toujours gardé comme modèle de vertu. Le 16 mai 1920, elle est canonisée, et dans la lettre apostolique Galliam, Ecclesiae filiam primogenitam du 2 mars 1922, Benoit XV fait de Sainte Jeanne d’Arc la sainte patronne secondaire de la France, qui entreprit d’un cœur viril une grande œuvre, et demeura sans peur en face des épées dégainées et sans tache au milieu de la licence des camps, délivrant sa patrie du suprême péril et rétablissant la liberté de la France. C’est après en avoir reçu le conseil de ses voix célestes qu’elle ajouta sur son glorieux étendard le nom de Marie à celui de Jésus, vrai Roi de France ». Le vocabulaire guerrier et chevaleresque est de mise (« patrie », « épées dégainées », etc.) et l’esthétique héroïque est mis en exergue. L’exemple de Jeanne d’Arc est essentiel face à notre modernité. C’est une enfant qui s’engagea pour Dieu et pour la France, qui subit le martyr mais jamais ne renia son combat, ni sa foi. Dans un monde désincarné, la sainte est un phare, une source d’espérance et d’exemplarité.

Enfin, il convient de chercher en nos héros l’enracinement. Comme indiqué plus tôt, la figure antique fait preuve de bravoure et de courage, mais il est lointain, il s’inscrit dans un univers méditerranéen, grec, quasi oriental sous certains aspects, le rapprochement comme ancêtre glorieux est plus ardu. Le chevalier français est donc beaucoup proche de nous, autant par sa caractérisation et rattachement géographique, que par son environnement d’action. Ainsi, autant Charles Martel – figure identitaire traditionnelle – en 732 à Poitiers, que Philippe-Auguste à la bataille de Bouvines en 1214, sont intimement liés au territoire national, à la géographie française. Le lien à la terre est extrêmement fort, il incite à réitérer l’exploit de l’ascendant pour perpétuer son œuvre. Le chevalier a toujours représenté la quintessence de l’héroïsme, l’homme qui s’engage par noblesse d’esprit, Maurice Barrès ne s’éloignait pas de cette symbolique lorsqu’en 1897, dans son chef-d’œuvre Les Déracinés, désignant ses protagonistes cherchant une vie d’éclat, il les décrit, en les comparant à deux camarades en perdition : « Encore ceux-là, Racadot, Mouchefrin, sont-ils, affamés d’argent ; mais le but de leurs amis ? Ils vont batailler pour rien, pour le plaisir. Eh quoi ce sont de jeunes Français. Des animaux d’une espèce particulière ; non pas des Slaves, ni des Anglo-Saxons : des chevaliers, des gentilshommes, des amateurs d’aventures glorieuses ». Pour l’écrivain, le chevalier est profondément lié à la France. Dans son livre, Barrès s’insurge contre le déracinement de la jeunesse française, il pointe le chevalier comme un gage d’enracinement, d’attachement à son pays, à sa terre. Et compilant presque les qualités du combattant médiéval convoquées plus tôt, le chantre du nationalisme rappelle alors l’importance de cette figure tutélaire.

N’oublions pas la chevalerie

Le héros médiéval n’est pas exempt de défaut, ce n’est pas toujours un saint homme, protecteur de la veuf et de l’orphelin. Mais il n’est pas question ici d’agir en pur historien, de traiter scientifiquement de personnages historiques, il est parfois utile de céder à l’attrait de l’image d’Epinal, de s’accrocher à des mythes et des légendes, qui nous marquent profondément et ont un impact sur notre civilisation, sur notre héritage. Nous sommes des héritiers, et nous avons soif d’un ré-enracinement : ces grands hommes, et parfois femmes, nous élèvent, et nous exhortent à nous engager pour le Bien, à combattre le Mal, à ne pas céder aux sirènes de héros américain aseptisé et au nihilisme mais bien d’honorer ces héros. Nous avons besoin d’une transcendance, d’accepter de nous engager pour quelque chose qui nous dépasse car, selon les mots de Robert Redeker dans son essai Les Sentinelles d’humanité, « le culte des héros est le lien le plus solide de la vie collective » [2]. Faisons ce travail de mémoire. Il en va de notre survie, alors faisons nôtre la prière du Pape Léon XIII à l’un des saints-patrons de la France et de ses soldats, descendants directs de ces héros, « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat ».

Guillaume Grenouilleau

[1Métaphysique de l’esprit, de Pierre Magnard, Vrin, 1996, p. 251

[2Les Sentinelles d’humanité, philosophie de l’héroïsme et de la sainteté, de Robert Redeker, Desclée de Brouwer

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