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[EX-LIBRIS] Vatican II. Une histoire à écrire (5/5)

La quatrième session (1965) et l’immédiat après-concile

« La Religion catholique détruira la Religion protestante, et, ensuite, les Catholiques deviendront Protestants (Montesquieu). »

Après avoir étudié en détail l’avant-concile et les premières sessions de Vatican II, il nous faut consacrer un long article à la quatrième et dernière session, tenue en 1965, et aux conséquences immédiates du concile dans les années qui suivirent, toujours sous le pontificat de Paul VI.

La liberté religieuse, les sources de la Révélation et la morale encore sur la table…

Après une année de séparation, les pères conciliaires étaient pour l’essentiel toujours les mêmes, tout comme leurs antagonismes et leurs tendances. On retrouvait des groupes identiques et des points de vue inchangés. On rediscuta d’emblée le thème de la liberté religieuse, abordant au passage la franc-maçonnerie, que plus de deux cents documents du Saint-Siège avaient condamnée depuis le XVIIIe siècle. Comme de coutume, les débats furent houleux, et le souverain pontife se décida contre toute attente à intervenir :

« Le soir du 20 septembre [1965], les organes directeurs du Concile (modérateurs, conseil de Présidence, commission de Coordination), réunis en séance plénière, décidèrent, à l’issue d’une discussion animée, qu’attendu les critiques violentes autant qu’éminentes envers le document, il valait mieux mettre de côté le thème de la liberté religieuse. Mais la réaction fut violente, surtout de la part des organes de presse les plus connus. Le 21 septembre, il se passa donc ce à quoi personne ne s’attendait : Paul VI décida d’intervenir dans cette affaire agitée, donnant l’ordre péremptoire que les Pères soient conviés le matin même à se prononcer sur le texte. On alla voter, et par ce mystérieux mécanisme psychologique qui liquéfiait les oppositions, les placet, sur 2 220 présents, furent 1 997, contre 224 non placet et un bulletin nul. Le résultat de ce premier vote annonçait déjà l’issue du débat lors de la congrégation générale qui devait suivre. Au cours d’une audience accordée à De Smedt, Paul VI manifesta sa satisfaction sur le texte, en ajoutant : “Ce document est capital. Il fixe le comportement de l’Église pour plusieurs siècles. Le monde l’attend [1]. »

Le secrétariat pour l’Unité des chrétiens se faisait le principal apôtre de cette liberté religieuse, mais il l’entendait dans un sens plus qu’hétérodoxe, la neutralité de l’État en matière religieuse étant selon lui un idéal à atteindre, sans autre coopération particulière entre Église et État. L’histoire échappait à ses pontes. Ce qui ne paraît pas étonnant quand on sait que plusieurs pères conciliaires firent dans l’aula l’éloge de Lamennais, de Freud, de Darwin, de Marx et de Teilhard de Chardin, dont l’évolutionnisme cosmique a été identifié par Marsaudon au point de rencontre entre (pseudo-)christianisme et franc-maçonnerie. De fait, un schéma soutenu par des intentions aussi spécieuses ne pouvait qu’être équivoque et importun :

« D’après Dignitatis Humanae, la personne humaine a le droit, au nom de sa dignité, de ne pas être empêchée de pratiquer son culte religieux, quel qu’il soit, en privé ou en public, à moins que cela ne trouble la tranquillité et la moralité publique ; le droit à la liberté humaine se base sur cette dignité même de la personne humaine (n° 2). Il ne s’agit pas d’un droit “affirmatif” à la liberté de conscience, mais d’un droit “négatif” à ne pas être empêché de l’exercer : c’est-à-dire un droit à l’“immunité de toute coercition en matière religieuse” dans le culte public et privé (n° 4). C’est ainsi qu’était anéantie la distinction fondamentale entre le “for intérieur”, qui concerne le salut éternel de chaque fidèle, et le “for extérieur” qui concerne le bien public de la communauté des fidèles. L’Église a toujours enseigné la liberté religieuse en for intérieur, car nul ne peut être contraint à croire. Mais cette liberté intérieure que, en tant que telle, aucune force extérieure ne peut contraindre, n’implique pa[s] la liberté religieuse en for externe, c’est-à-dire le droit de pratiquer n’importe quel culte et de professer n’importe quelle erreur. La liberté religieuse fut invoquée, après Dignitatis Humanae, pour supprimer toute forme de “protection” par les États de l’Église catholique ; mais le renoncement de la part de l’autorité civile à reconnaître la mission et le rôle de l’Église, ainsi que l’existence d’une loi naturelle, objective à protéger, a ouvert en même temps la voie à la diffusion du relativisme et à celle d’autres religions, à commencer par l’islam. Le relativisme s’affirmait en refusant aux États toute forme de censure religieuse et morale à l’égard de la déchristianisation déferlante. L’islamisme, au nom de la même liberté religieuse, a prétendu la construction de mosquées et de minarets, destinés à dépasser en nombre les constructions des églises, abandonnées ou transformées en hôtels et en supermarchés [2]. »

On débattit ensuite, une nouvelle fois, de morale et de « contrôle des naissances », les cardinaux Suenens, Léger et Colombo – parmi d’autres – souhaitant en finir avec l’enseignement de l’Église, récemment encore résumé dans l’encyclique Casti Connubii de Pie IX et dans diverses allocutions de Pie XII. Culturellement, ils prirent le dessus, et on sait l’inflexion que ces idées mortifères ont eue sur les mœurs. C’est au même moment que le pape Paul VI intervint devant l’ONU. Ce discours pouvait être interprété comme une façon de reconnaître la légitimité ou le bien-fondé de cette curieuse institution internationale, mais cela ne doit pas nous empêcher de porter un regard chrétien à son égard :

« Pie XII avait opposé à l’O[NU], comme modèle d’organisation internationale, l’Église catholique, source d’un droit authentique et de vraies valeurs. Sous son [p]ontificat, la revue des jésuites Civiltà Cattolica avait dénoncé l’équivoque institutionnelle de l’O[NU], qui admettait l’URSS, avec un droit de veto, dans son Conseil de Sécurité, et excluait l’Espagne du général Franco, en la condamnant dans sa deuxième Assemblée [3]. »

La question du communisme

Mais revenons à nos moutons, Les débats ne cessaient jamais dans l’aula, et l’on remit sur le tapis le schéma De fontibus revelationis de la constitution Dei Verbum, avant de reparler du communisme – le passage du pape près l’ONU n’y était peut-être pas tout à fait étranger. Les rédacteurs du document où il aurait pu – ou – être question du communisme (le schéma XIII) désiraient conserver au concile Vatican II son « caractère pastoral », et donc ne procéder à aucune sorte de condamnation. Il s’agissait de pouvoir entamer un « dialogue » avec les États socialistes, le communisme étant de ce point de vue traité de la même manière que le protestantisme ou que les schismatiques cérulairiens-photiens. Nous ne pouvons cependant que donner notre assentiment à ces paroles du cardinal Antonio Bacci :

«  Chaque fois qu’un Concile œcuménique s’est réuni […] il a toujours résolu les grands problèmes de l’époque qui s’agitaient, et condamné les erreurs d’alors. Je crois que se taire sur ce point serait une lacune impardonnable, et même, un péché collectif. […] Voilà la grande hérésie théorique et pratique de notre temps ; et si le Concile ne s’occupe pas d’elle, il peut faire figure d’un Concile manqué  [4]  !  »

Il eût fallu détromper les esprits naïfs qui pensaient pouvoir devenir communistes tout en restant chrétiens, ou encore christianiser le communisme, comme si ce dernier n’était pas « intrinsèquement pervers ». Le plus grave sans doute – et c’est ce qui se passa en de nombreux points du globe –, c’est que ce silence du concile, ce péché par omission, pouvait être interprété d’une façon extrêmement grave, comme le signalait un appel lancé en octobre 1965 par le Coetus Internationalis Patrum, d’une lucidité incroyablement prophétique :

«  Si le Concile se taisait sur le communisme, ce silence, dans l’esprit des fidèles, équivaudrait, par une injuste, certes, mais fatale conséquence, à une abrogation tacite de toute ce que les Souverains Pontifes ont dit et écrit contre le communisme , ainsi que des condamnations plusieurs fois prononcées par le Saint-Office. Le dommage psychologique qui en résulterait, ainsi que le mépris pour le Magistère de l’Église, serait d’une immense gravité […] Le communisme convoite ardemment et attend un silence de la part du Concile  : et ceci a certainement une très grande importance. Il ne fait aucun doute que le communisme, par une gigantesque propagande, retournerait en sa faveur le silence du Concile, établissant auprès des fidèles une terrible confusion [5]. »

Cet appel était doublé d’une pétition, qui fut signée par 435 des pères conciliaires – ce n’est pas rien ! On n’allait cependant faire, dans les hautes sphères, le choix de la facilité, car une condamnation détaillée en bonne et due forme n’est pas aussi facile à réaliser que l’on pourrait le penser, surtout si l’on veut faire primer des impératifs de pastorale et de dialogue… Ce qui se passa alors à Rome frise de nouveau – pour demeurer poli – le scandale :

« La pétition parvint le 11 octobre entre les mains de Mgr Achille Glorieux, Secrétaire de la commission mixte responsable de la préparation et de la révision du schéma sur l’Église dans le Monde [m]oderne, ainsi que correspondant romain du quotidien catholique français La Croix. Or celui-ci ne transmit pas la pétition aux commissions qui travaillaient sur le schéma, prétextant ne pas vouloir gêner leur travail. Le document avait été soussigné par 454 prélats de 86 pays [en moins de trois jours], qui restèrent stupéfaits lorsque, le samedi 13 novembre, ils reçurent le nouveau texte, dans l’aula, un texte sans aucune référence à leurs demandes. “ Le fait qu’un seul homme ait pu empêcher à un document tellement important d’atteindre la commission conciliaire à laquelle il était officiellement adressé est l’une des plus grandes tragédies du concile Vatican II, et pourrait passer à l’histoire comme le plus grand scandale qui ait entaché les graves délibérations de cette assemblée sainte ”, comme le commenta sur l’agence Divine World le père Wiltgen [6]. »

Le Vatican devait respecter son engagement pris lors de l’« accord de Metz », où Jean XXIII avait donné sa parole au patriarche Nikodim, par l’entremise du cardinal Tisserant, de ne pas condamner le communisme soviétique. Si tout accord de ce genre est introuvable dans les archives officielles de l’assemblée, Paul VI a en revanche publiquement mentionné que le fait de « ne pas parler du communisme » figurait parmi les différents « engagements du concile ».

Les dernières provocations de la Bête

Les dernières séances du concile n’étaient pas appelées à être les plus calmes, ni les plus orthodoxes. De déplorables projets y furent hasardés, soit publiquement, soit dans les couloirs. Il y eut tout d’abord un certain nombre de pères conciliaires qui firent savoir leur hostilité à l’égard du célibat ecclésiastique… Fort heureusement, Paul VI s’exprima par écrit le 12 octobre 1965, en disant que cet impératif touchant aux mœurs devait au contraire être renforcé.

L’autre point, plus physiquement révolutionnaire, concernait l’habit clérical. Alors que le concile était en cours, la quatrième session fut témoin, dans ses à-côtés, de la présence de présence de prêtres et autres cardinaux (tels Suenens et Léger)… en clergyman. C’était se prendre un droit dont un clerc catholique ne dispose pas, et c’était imposer une déviance par la tactique du fait accompli.

La journée du 7 décembre vit la promulgation des derniers documents de Vatican II, et notamment de la constitution Gaudium et Spes dans son intégralité. C’était dans ce texte fameux que manquait toute condamnation du communisme [7], mais où l’on trouvait en revanche de très graves erreurs, voire des doctrines hérétiques, pointées du doigt par monseigneur Brunero Gherardini, éminent théologien de l’École romaine :

«  Renversant la pensée de saint Thomas d’Aquin, selon laquelle Dieu ne peut créer en vue de fins étrangères à sa propre réalité, Vatican II fit de l’homme “la seule créature que Dieu a voulue pour elle-même” (GS, n° 24) […] On avait enfin atteint les limites extrêmes de l’anthropocentrisme idolâtrique. La question n’était plus de savoir si l’homme croyait ou non, il suffisait que “tout sur [t]erre soit ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet” (GS, n° 12), que toutes les valeurs cré[é]es soient voulues et ordonnées par Dieu à son service car “la culture doit être subordonnée au développement intégral de la personne” (GS, n° 59) [8]. »

Ce point de vue était tout sauf clairvoyant. Seul l’opportunisme l’avait dicté, et les conséquences en seraient – et en sont toujours – désastreuses. Le christianisme conciliaire était voué à ne plus être un signe de contradiction, mais un organisme « collabo » vis-à-vis du Prince de ce monde. Pourtant, pour pouvoir sauver les âmes, l’homme de Dieu – à l’instar de Notre-Seigneur Jésus-Christ – ne doit pas être de ce monde. Il lui faut même accepter d’en être méprisé, insulté, et ce jusqu’au martyre, suprême témoignage de foi, d’espérance et de charité. Là-dessus, le professeur de Mattei relève les deux compromissions les plus graves de Vatican II. La première concerne justement cette attitude à avoir vis-à-vis d’un monde déchu, avec toutes les implications que cela peut avoir à l’égard de la notion de péché – et donc de morale :

« La modernité était en réalité à la veille d’une crise profonde, qui allait manifester ses premiers symptômes, quelques années plus tard, dans la révolution de Mai 68. Les Pères conciliaires auraient dû accomplir un geste prophétique, défiant la modernité plutôt que d’en embrasser le corps en décomposition, comme ce fut malheureusement le cas [9]. »

Les progressistes s’étaient trompés en pensant que l’humanité de la décennie 1960 était une espèce d’humanité aboutie, alors qu’elle ne faisait que s’enfoncer plus profondément encore dans sa fange d’orgueil. Le sens de l’histoire, fumeux et marxiste, avait trompé ces hommes qui se croyaient visionnaires – non, extralucides, car il y a encore trop de « superstition moyenâgeuse » dans le mot visionnaire [10]. C’étaient ces ingénus qui, lors des derniers « remembrements » en Europe occidentale et méridionale, pensaient que la ville et ses tentations étaient une panacée, devant irrémédiablement balayer la place des campagnes, avec leurs traditions et leur esprit si humain, aussi bien quantitativement que qualitativement.

Cette cécité concernait aussi les moyens et les méthodes employés. Si les rouages conciliaires étaient parfaitement adaptés à une mentalité catholique, ils le semblaient moins à un esprit moderne. Des logiques fort peu ecclésiastiques s’y greffèrent, au point que l’opposition aux progressistes s’était comme auto-muselée, alors que cela n’avait jamais été le cas, au grand jamais, au cours des vingt autres conciles œcuméniques des temps passés (nous pourrions aussi rajouter les conciles généraux qui ne sont plus aujourd’hui considérés comme étant « œcuméniques », et différents synodes provinciaux ou nationaux) :

« Pour mener jusqu’au bout la résistance aux décisions conciliaires, il aurait peut-être fallu, outre une excellente connaissance théologique de la nature des actes du Magistère, une attitude “prophétique”, comme celle qu’avait évoquée l’abbé de Nantes, qui affirmait, à la veille de la quatrième Session, qu’un seul évêque aurait pu faire faillir l’aggiornamento de Vatican II : “Il suffirait – écrivait-il – qu’un seul des Pères conciliaires – et je l’ai rappelé à certains d’entre eux – se lève et proteste à la face de tous que la foi leur interdit de tenir telle proposition, il suffirait qu’il brave leur immense stupeur, qu’il menace de quitter un Concile […] si une telle proposition était votée, acceptée, promulguée […]. S’il se trouvait demain au Concile un tel homme, son appel à la Vérité révélée de Dieu, à cette Valeur transcendant les volontés des masses : les “exigences du Monde”, cela suffirait à bloquer toute la machine de la subversion [11]  ! »

Alors que la séparation de l’Église et de l’État était consommée dans la plupart des nations anciennement catholiques, beaucoup d’ecclésiastiques – se targuant pourtant de défendre la « laïcité » et de lutter contre le « cléricalisme » – versaient dans la politique et dans le temporel, au point de perdre de vue leur vie contemplative et leurs devoirs spirituels. L’action politique s’était invitée dans l’aula, sous-tendue par une longue – et sinistre – histoire révolutionnaire de la pensée. Figurons-nous bien qu’un monseigneur Marcel Lefebvre, pour ne citer qu’un exemple, mais parmi les plus illustres, finit par voter en faveur des textes qu’il avait dénoncés et qu’il condamnerait par la suite :

« Le concile Vatican II a semblé vouloir remplacer le modèle “absolutiste” du concile de Trente et de Vatican I par un nouveau modèle “démocratique” qui, à la volonté suprême du Pontife romain, substituait celle de l’assemblée, même si elle est unie au Pontife. À la vérité de la Tradition, se substituait une “volonté sociale”, élaborée collectivement et reconnue socialement. La volonté de l’Assemblée conciliaire équivalait à la “volonté générale” de Rousseau : une volonté sacrée et absolue, à laquelle les Pères, respectant les lois qu’ils s’étaient données, se sentaient obligés en conscience de subordonner leurs idées et leurs opinions [12]. »

Le renvoi de la foultitude mitrée et le déchaînement de la Révolution

Le concile Vatican II devait se terminer par la session publique du 7 décembre suivie d’une messe concélébrée. Peu avant l’office solennel, un acte pratique d’« œcuménisme » fut effectué au su et au vu du monde entier : « le Secrétaire pour l’Unité des chrétiens, Jan Willebrands, monta sur l’estrade et lut en français le texte d’une déclaration commune, dans laquelle l’Église catholique et l’Église “orthodoxe” de Constantinople décidaient de “déplorer” les sentences réciproques d’excommunication et les événements ultérieurs qui avaient conduit à la rupture de la communion ecclésiale [13] », ces deux institutions – orthodoxe et schismatique, et non l’inverse – étant par le fait même mises sur un pied d’égalité, aussi bien sur le plan des responsabilités qu’au niveau de leur degré d’autorité…

Lors de l’homélie prononcée par le souverain pontife pendant la messe de clôture qui suivit, Paul VI donna son interprétation du concile, le consacrant dans le sens d’un humanisme retrouvé, sous les hourras du père Congar (lequel s’attribue, dans son Journal, une paternité totale ou partielle sur les documents Lumen Gentium, De Revelatione, De ecumenismo, Déclaration sur les Religions non chrétiennes, le schéma XIII, De Missionibus, De Libertate religiosa, De Presbyteris – ce qui n’est pas pour nous rassurer) : « la religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu ».Ce comportement vis-à-vis du monde était depuis des siècles inédits pour le Saint-Siège, comme le note rapidement Roberto de Mattei :

« Comme Paul VI, le pape Sarto [id est saint Pie X] avait reconnu que l’esprit de l’homme moderne est un esprit d’indépendance, qui consacre à lui-même tout le créé. Mais si le diagnostic des deux Pontifes est identique, le jugement de valeur que les deux pontifes portent sur la modernité est divergent, pour ne pas dire opposé [14]. »

D’un point de vue strictement factuel et mathématique, voici le bilan global qui peut être fait au sujet du concile :

« Au total, l’Assemblée conciliaire a tenu 168 congrégations générales, approuvant, au cours de cinq Sessions distinctes, seize documents : quatre constitutions, neuf Décrets et trois déclarations, avec l’intervention, pour les travaux, de 3 058 Pères conciliaires. Dans toutes les délibérations conciliaires, les plus grandes concessions ont été faites dans le but d’attirer la bienveillance de ceux qui se trouvaient séparés de l’Église [15]. »

La cérémonie de clôture, avec messe concélébrée et force couverture médiatique, semble être une préfiguration des JMJ du pontificat de Jean-Paul II, des danses eucharistiques et autres phénomènes de festivisme – ou de cet hyperfestivisme tant fustigé par Philippe Muray :

« La cérémonie, comme le rappelle avec une certaine amertume l’historien des Conciles, Hubert Jedin, dans ses Mémoires, “ne correspondait pas au concept que j’avais de la solennité propre à un Concile œcuménique. Ce fut une manifestation, et en tant que telle, une concession à l’époque des masses et des mass media [16]. »

Le dernier mot revint au souverain pontife qui, pour l’occasion, démontra par le fait même, à la face des fidèles, qu’un pape peut se tromper, et ce en public : il « rappela “la nécessité pour l’Église de s’ouvrir” au monde, en y voyant l’essence du “dialogue”, et nia l’existence d’une crise de l’Église. “Le Concile démontre justement qu’à côté de la crise de la foi du monde, il n’y a heureusement pas de crise de l’Église [17]. » S’il n’y avait pas de crise dans l’Église, alors aucune réforme n’était nécessaire… et encore moins un concile. Le plus grave, c’était que ce dernier n’avait rien résolu, mais n’avait fait au contraire que renforcer les causes et les symptômes de cette crise. Aujourd’hui encore, beaucoup d’évêques ou prêtres veulent se cacher cette réalité, en ayant recours à une politique de l’autruche. C’est à se demander pourquoi, alors, les églises, les confessionnaux et les séminaires sont vides… Mais le plus gros de la Révolution était encore à venir, et la tempête allait souffler dans toute sa vigueur.

Il est évident, et indéniable, que Vatican II marquait une rupture – et probablement la seule – dans l’histoire de l’Église. Tous les contemporains lucides, dans un sens ou dans l’autre, progressistes et conservateurs, l’observèrent. Il faudrait être aveugle pour nier l’évidence. Quoi qu’il en soit, il y avait plusieurs raisons à ces bouleversements et à cette révolution apparente. Tout d’abord, on crut que des doctrines immuables pouvaient s’accommoder de modifications dans leur formulation, en mettant donc fin à la clarté et à la rigueur du langage thomiste. À la suite de ces mutations langagières, la pratique pastorale tendit elle aussi à modifier la signification de la doctrine dans les faits. C’était un cocktail purement révolutionnaire, peu avare de conséquences sur le plan théologique, comme put le remarquer le philosophe belge Marcel De Corte :

« On ne change pas en effet de langage comme de vêtement […] En refusant d’utiliser le langage de la scolastique, où l’effort naturel de l’esprit humain lancé à la recherche de la vérité est parvenu à un point de perfection inégalé, le Concile s’est délesté du même coup de ce réalisme dont l’Église avait toujours eu la charge jusqu’à lui. Dans l’outre vidée, ce n’est pas un vin nouveau qui fut versé, mais le vent de toutes les tempêtes de la subjectivité humaine, dont nous voyons avec une horreur stupéfaite les ravages dans l’Église et dans la civilisation chrétienne. En répudiant le langage, signe des concepts, on a répudié les choses, et en répudiant les choses, on est entré d’un seul coup, au grand étonnement des Pères eux-mêmes ou de la plupart d’entre eux, dans la subversion et dans la révolution permanentes [18].

Le moins que l’on puisse dire, en effet, c’est que les textes conciliaires étaient des plus ambigus et avaient besoin d’être interprétés. Ce dernier point marque leur faiblesse et leur perversité : un bon concile – c’est-à-dire catholique – ne devrait entraîner aucune sorte d’« herméneutique », et Vatican II est peut-être le premier concile de l’histoire à avoir déclenché de telles batailles entre les tenants de la « continuité » et ceux de la « rupture », sans omettre différentes voies moyennes. Mais qui doit interpréter quoi ? Et qui peut réinterpréter le premier interprète ? Le problème est foncièrement insoluble.

Cette révolution mitrée se doubla de la démolition de la curie romaine, d’un coup d’État des conférences épiscopales nationales, du démantèlement du Saint-Office, de la mise au pas des cardinaux « conservateurs » (les vieux chapeautés créés lors des pontificats précédents n’avaient plus, pour la plupart, voix au conclave) et de la suppression de l’Index librorum prohibitorum (1966), erreur notoire qui permit aux théologiens les plus orgueilleux de se poser – comme légitimement – en hérauts de la « réforme ». La refonte de la Curie était d’une gravité immense, dans la mesure où les membres des dicastères voyaient – normalement – leur mandat limité à cinq années, tandis que tous étaient automatiquement démis de leurs fonctions à l’élection d’un nouveau souverain pontife. Ainsi, il n’y avait – presque – plus aucun lien formel et institutionnel de continuité d’un pontificat à l’autre, et l’on n’aurait pu trouver meilleur moyen de chasser les derniers éléments intransigeants de la curie romaine. En outre, c’était faire du Saint-Siège une instance politique démocrate-chrétienne pareille à n’importe quelle autre, comme on le peut voir dans les guérillas de l’herméneutique conciliaire ou dans la qualification par la presse des papes (gauche, droite, traditionaliste, progressiste, etc.), à l’instar des Premiers ministres européens les plus profanes – mais ce dernier qualificatif ne les concerne peut-être pas tant que ça…

La crise bat son plein

L’excellent – mais très grinçant et attristant, écrit dans un style admirable – roman de Michel de Saint Pierre Les Nouveaux Prêtres fut publié dès février 1965, vendu rapidement à 200 000 exemplaires. Une situation ecclésiale connue par tous les fidèles y était décrite. Ce n’était qu’une image parmi d’autres du désordre ambiant.

On peut considérer que le gros de la crise éclata aux Pays-Bas l’année suivante, le « nouveau catéchisme hollandais » présentant des affirmations hétérodoxes au sujet du péché, de la Rédemption, de l’Eucharistie, de la Vierge Marie, de la papauté et de l’Église. Parallèlement, le cardinal Alfrink et huit autres évêques invitaient leurs ouailles des Pays-Bas à refuser l’enseignement de l’encyclique Humanæ Vitæ promulguée par le pape Paul VI [19]. En bref, on refusait ouvertement et frontalement la seule chose traditionnelle qui ait été ré-enseignée [20] en ces années infernales… Comble de malice, des pères conciliaires, parmi les plus influents, à l’image de Suenens, Alfrink, Döpfner, König et Heenan, se réunirent en septembre 1968 à Essen pour exiger, en présence d’un légat pontifical, la révision d’Humanæ Vitæ, rien que cela ! Normalement, on doit corriger son supérieur quand il se trompe ou enseigne des novelletés, et non quand il ne fait que rappeler des doctrines connues et enseignées depuis toujours…

Le jugement porté par Roberto de Mattei sur l’ultra-progressisme hollandais et ses conséquences est impitoyable :

« Les résultats de la déclaration d’Indépendance de la Hollande à Rome furent désastreux. Les Hollandais qui déclaraient en 1966 être affiliés à l’Église catholique, l’année de la publication du Nouveau Catéchisme, étaient 35 %. En 2006, le chiffre était plus que divisé par deux et se trouvait réduit à 16 %. Actuellement, la Hollande est le pays où l’identité chrétienne est la plus dissoute, et la présence musulmane la plus agressive et la plus envahissante [21]. »

Comment ne pas songer à une phrase célèbre de Montesquieu reprise par Louis Salleron : « La Religion catholique détruira la Religion protestante, et, ensuite, les Catholiques deviendront Protestants » ?

Plusieurs historiens ont vu une conséquence du concile Vatican II dans les remous qui ont agité de nombreuses nations catholiques, dont « Mai 68 » fut le principal avatar. On croyait encore au progrès et à la libération de l’homme – sans l’autorité de la loi du Christ, cela va sans dire – après des meurtres de masse sans fin. Le professeur de Mattei voit dans ces événements, non le commencement d’un cycle, mais l’aboutissement d’un long processus historique, aboutissement en grande partie permis et accéléré par « l’esprit du Concile ».

Une autre vanne ouverte par les maîtres d’œuvre du concile concerne la bien connue « théologie de la libération », qui avait désormais droit d’expression et droit de cité. La conférence de Medellín, rassemblant dans le courant de l’été 1968 l’épiscopat latino-américain en corps, en fut l’apothéose visible. Bien qu’elle fût de mode et conforme à la préoccupation marxisante des médias et des pseudo-intellectuels, cette école de pensée n’était qu’une supercherie aux pieds d’argile, reposant sur des principes erronés : « l’erreur de fond de la théologie de la [l]ibération résidait dans le fait d’avoir fait [sic] de l’“option pour les Pauvres” son axe principal, ou son centre épistémologique, détrônant ainsi de fait [sic] le primat transcendant de Dieu [22] ».

Face à ces explosions de mauvaise foi, il était difficile de nier la réalité des choses. Jacques Maritain lui-même, qui avait versé dans les erreurs modernes après s’être fait un certain temps le chantre du thomisme le plus classique (les études données par le révérend père Calmel à son sujet sont lumineuses), revenait vers des positions plus lucides et moins « tendances » : dans son Paysan de la Garonne paru en 1966, le philosophe « écrivait que le modernisme de l’époque de Pie X faisait figure de “modeste rhume des foins” par rapport au néomodernisme contemporain [23] ». De même, « Paul VI demanda à Journet son jugement sur la situation de l’Église. “Tragique” : voilà quelle fut la réponse lapidaire du cardinal suisse [24] ». Pourtant, le cardinal Journet, s’il avait donné des enseignements remarquables, lesquels peuplent par exemple plusieurs étagères de la bibliothèque de l’abbaye Sainte-Madeleine au Barroux, soutint certaines opinions qui parurent hétérodoxes aux analystes de la Revue thomiste ou d’Itinéraires. Le pape lui-même, après avoir refusé de rencontrer lors de son « voyage » au Portugal la sœur Lucie et de révéler le troisième secret de Fatima, parla de « fumée de Satan » à l’intérieur de l’Église – sans pour autant se départir de « son optimisme de fond »… L’historien Hubert Jedin en personne, expert du cardinal Frings lors de l’auguste assemblée, après avoir nié l’existence d’une « crise de l’Église », finit par faire amende honorable en regardant les choses en face. Le jésuite Henri de Lubac – peu suspect d’« intégrisme » – donna une conférence sur le sujet le 29 mai 1969 dans le Missouri :

«  Pour ce qui concerne la constitution Dei Verbum, voici que se développe un biblicisme étroit qui fait fi de la [T]radition et qui se dévore lui-même, élaborant la notion d’une “foi en l’avenir” dont on ne voit plus ce qu’elle conserve de l’Évangile de Jésus-Christ. La constitution Lumen Gentium est interprétée pour transformer l’Église en une vaste démocratie et critiquer l’Église, qui s’appelle “l’Église institutionnelle” au nom d’un idéal de “christianisme amorphe”, qui atteint la constitution divine de l’Église. L’ouverture au monde de Gaudium et Spes devient un éloignement de l’Évangile, un rejet de la Croix du Christ, une marche au sécularisme, un laisser-aller de la foi et des mœurs, bref, une dissolution dans le monde, une abdication, une perte d’identité, c’est-à-dire la trahison de notre devoir envers le monde […] On sait aussi combien le décret sur la liberté religieuse est faussé lorsque, au rebours de son enseignement le plus explicite, on en veut conclure qu’il n’y a plus désormais à annoncer l’Évangile  [25]. »

L’une des choses les plus remarquables du concile était peut-être que ses opposants et contempteurs les plus farouches l’eussent dans un premier temps accepté, ayant même voté en faveur de tous ses textes, bien qu’en les ayant vigoureusement discuté et disputé auparavant ! Mgr Lefebvre lui-même fut dans ce cas, et mit un certain temps à réagir, alerté et stimulé par les demandes toujours croissantes de fidèles, de séminaristes, de prêtres et de religieux. Mgrs Antonion de Castro Mayer et Geraldo de Proença Sigaud avaient suivi une trajectoire identique, comme en témoignait une demande faite depuis Rome en 1968 par Mgr Lefebvre à son confrère de Campos :

« Le moment n’est-il pas venu de dire ce que nous pensons du Concile, de faire une étude sur chaque schéma, et en montrer les équivoques, les tendances néfastes, de demander qu’une commission d’interprétation et même de révision soit nommée ? Personnellement je n’hésite plus à le dire dans toutes mes conversations. Je me prépare à écrire un article sur le sujet suivant : l’esprit post-conciliaire n’a-t-il rien à voir avec le Concile ? […]

Vous évoquez ensuite un problème très grave que nous ne pouvons plus taire au moins dans nos entretiens privés, c’est l’attitude du Saint-Père dans quelques textes, mais surtout dans ses actes. Comment la définir ? Comment la juger, lorsque toute la Tradition de l’Église la condamne [26]  ? »

Probablement, parmi ces « actes » les plus déboussolants, nous pouvons faire trôner en bonne place l’Ostpolitik vaticane, qui se manifesta en diverses occasions :

« Lors de la rencontre avec Tito, le 29 mars 1971, le pape Montini accueillit son hôte en affirmant que dans la constitution yougoslave figuraient des principes comme ceux de l’“humanisation du domaine social”, du “renforcement de la solidarité et de la collaboration entre les hom[m]es”, du “respect de la dignité humaine” et du “développement général de l’homme comme personne libre”. La conviction était qu’il existait entre le marxisme et le christianisme des valeurs communes, sur lesquelles faire levier pour atteindre l’objectif de la paix internationale [27]. »

Mais le cas le plus poignant est sans doute celui de la Hongrie qui, après avoir été forcée d’abandonner la dynastie des Habsbourg à l’issue de la Première Guerre mondiale, subit une très violente Terreur rouge sous la houlette de Béla Kun. Cette dernière fut relativement courte, et suivie de la restauration d’un royaume de Hongrie… sans roi. Ce cas particulier dura jusqu’en 1946, où, après un semblant d’occupation tudesque, le pays repassa sous une domination communiste, qui allait – pour celle-ci – durer plusieurs décennies. La résistance anticommuniste fut vigoureuse en Hongrie, et l’Église n’était pas en reste : le cardinal József Mindszenty, primat du lieu, passait pour un héros en la matière, ayant croupi dans les geôles socialistes de 1948 à 1956 puis s’étant réfugié en 1972 auprès de l’ambassade américaine après une insurrection hongroise d’inspiration nationale. Comme la plupart de ses subordonnés, il refusait toute politique de compromis ou de conciliation à l’égard des bourreaux de l’Église et des peuples. Paul VI commença par lui demander en 1973 de se démettre de ses fonctions de primat de Hongrie et d’archevêque d’Esztergöm, sommation qui fut logiquement refusée, en conscience, malgré son dépassement d’un âge limite fixé de façon fort moderne et inepte à 75 ans. Dix-sept jours plus tard, le pape relevait autoritairement ce prélat de ses fonctions, déclarant vacant l’archidiocèse primatial et radiant l’intéressé de tout honneur archiépiscopal. Voilà comment on remerciait un martyr des temps modernes qui aura probablement ordonné un certain nombre de prêtres dans les catacombes du XXe siècle, préparant l’actuel renouveau de la Hongrie, qui a renoué avec les vœux de son baptême, digne de l’héritage de son roi saint Étienne Ier. Sur ce, reprenant le point de vue émis par des historiens divers, Roberto de Mattei soutient que cette Ostpolitik a avantagé le communisme moribond en lui apportant un soutien moral et politique nouveau (et précieux), retardant de plusieurs années sa chute finale.

Parallèlement, la réforme liturgique de Bugnini battait son plein et prenait d’assaut toutes les paroisses – ou presque – de la planète. En 1971, cent personnalités culturelles du monde entier – dont Julien Green – adressaient un « memorandum » au Saint-Père pour lui demander « de permettre la survie de la Messe traditionnelle ». Des voix s’élevaient de toutes parts contre La Nouvelle Messe – pour reprendre le titre d’un opuscule de Louis Salleron –, y compris dans des milieux qui n’étaient pas spécialement catholiques (pensons à certaines pages de Philippe Muray, ou encore de Julien Gracq, ancien communiste !), à l’instar du bon sens démontré en août 1976 par le journaliste latin Dino Pieraccioni :

« lorsqu’à la place des cantiques traditionnels (italiens ou latins, peu importe), que tout le peuple connaissait et chantait par cœur, on entend des morceaux et des cantilènes pénibles qui n’ont rien, nous ne disons même pas, de religieux, mais même rien de musical, c’est donc ça appliquer la réforme liturgique et suivre la volonté du Concile [28]  ? »

En matière de liturgie, donnons le mot de la fin au cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, pour qui la réforme liturgique, « dans sa réalisation complète ne fut pas une réanimation, mais une destruction » et d’après qui « la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui dépend en grande partie de l’effondrement de la liturgie ». Curieuse réforme qui n’a rien raffermi et tout fait empiré !

Le résultat des courses

Si Ratzinger pouvait se montrer dépité en face des ravages liturgiques, tout chrétien est en droit de l’être devant, entre autres choses, la crise des vocations et du sacerdoce. En un quart de siècle, de 1939 à 1963, le Saint-Office avait dû donner 563 dispenses pour passer du sacerdoce au célibat laïque. Avec le concile, de 1963 à 1970, ce chiffre a explosé : 3 335 dispenses ! Une belle réforme des mœurs, donc, digne de Latran V…

Ce fut là-dessus qu’éclata l’« affaire Lefebvre ». L’archevêque attendit la fin de l’année 1972 pour juger négativement, enfin, lors d’une intervention à Rennes, à la lumière des faits, l’œuvre du concile. Le Saint-Siège lui refusa alors le droit d’ordonner ses séminaristes, chose qu’il fit malgré tout en 1976, étant aussitôt frappé d’une suspension a divinis par le Vatican. Voici le vrai visage pris à cette époque par la résistance catholique :

« Mgr Lefebvre fut présenté comme le “chef” des traditionalistes. En réalité, il fut seulement l’expression la plus visible et la plus alimentée par les mass media d’un phénomène qui allait bien au-delà de sa personne, et qui trouvait ses racines et sa cause première dans les problèmes soulevés par le Concile et par son application. La résistance à la mise en place des réformes [sic] conciliaires était partie de prêtres et de laïcs, comme cela s’était passé pendant la Révolution française, quand c’étaient les curés et les paysans qui avaient organisé le soulèvement de Vendée et les insurrections antirévolutionnaires en Europe [29]. »

Dans le même temps, en Italie, on assistait – dans un « dialogue avec le monde » qui ressemblait plutôt à une capitulation sans condition – à la légalisation du divorce (secrétariat Bartoletti) à l’occasion d’un référendum sur lequel la Conférence épiscopale italienne refusa de donner des consignes, à la croissance du Parti communiste italien, à la dissolution des associations catholiques engagées dans le service de la cité et du bien commun, à la disparition progressive de l’Action catholique perdant 2 millions de membres en l’espace de cinq années, à l’essor du féminisme libertaire et égalitaire, à un désir d’alliance des démocrates-chrétiens avec les communistes, ainsi qu’à la légalisation de l’avortement, loi signée par un président de la République (Giovanni Leone) et par un président du Conseil (Giulio Andreotti) tous deux démocrates-chrétiens, ayant agi de la sorte d’après les consignes de Paul VI lui-même, au lieu de démissionner ou de résister de tout leur poids et de tout leur prestige contre ce texte mortifère.

Alexandre Soljenitsyne était l’un des rares « intellectuels » à avoir dès cette époque pointé du doigt les causes véritables de tous ces maux, causes qui prolifèrent encore de nos jours. L’émigré russe fustigeait :

« la tendance dangereuse de se prosterner devant l’Homme et ses besoins matériels. En dehors du bien-être physique et de l’accumulation des biens matériels, toutes les autres particularités, tous les autres besoins, plus élevés et moins élémentaires de l’Homme, n’ont pas été pris en considération par les systèmes d’État et par les structures sociales, comme si l’Homme n’avait pas de sens plus noble à donner à la vie. Et c’est ainsi que dans ces constructions, des vides dangereux ont été laissés, par lesquels passaient librement et dans toutes les directions les courants du Mal. […] Si l’homme n’était né, comme le prétend l’Humanisme, que pour le bonheur, il ne serait pas né également pour la mort. Mais puisqu’il est corporellement voué à la mort, son devoir sur cette [t]erre ne peut être que spirituel  [30] ».

Avant la mort de Paul VI le 6 août 1978 à Castel Gandolfo, Plinio Corrêa de Oliveira – fondateur de TFP – porta peut-être le jugement le plus pessimiste qui soit au sujet du concile :

« l’évidence des faits souligne, dans ce sens, le concile Vatican II comme l’une des plus grandes calamités, voire la plus grande de l’histoire de l’Église. C’est à partir du Concile qu’a pénétré dans l’Église, dans des proportions impensables, la “fumée de Satan”, qui se diffuse toujours plus chaque jour, avec la terrible force d’expansion des gaz. Au scandale d’un nombre incalculable d’âmes, le Corps mystique du Christ est entré dans un processus sinistre que l’on pourrait appeler d’autodémolition [31]. »

Ainsi, la crise actuelle, à laquelle on essaie sans cesse de remédier chaque année depuis des décennies à coups de « nouvelle évangélisation », de « souci pastoral », d’« écologie chrétienne », d’« humanisme intégral », de « droits de l’homme », d’« aggiornamento » et de « modernisation » a des racines extrêmement profondes, qui semblent devoir encore attendre une grande et authentique réforme pour, enfin, disparaître et laisser l’Église s’épanouir pour le salut du plus grand nombre…


[1Ibid., p. 293-294.

[2Ibid., p. 295.

[3Ibid., p. 304.

[4Ibid., p. 311.

[5Ibid., p. 313-314.

[6Ibid., p. 314-315.

[7Mgr Helder Câmara écrivait en novembre 1965 : « Le Concile œcuménique Vatican II a dit beaucoup de choses, par ses paroles, et par ses silences ».

[8MATTEI (Roberto de), Vatican II…, op. cit., p. 323.

[9Ibid., p. 234.

[10Nous renvoyons notre lecteur au roman éponyme de Julien Green, auteur américain de langue française, membre de l’Académie française.

[11MATTEI (Roberto de), Vatican II…, op. cit., p. 326.

[12Ibid., p. 324-325.

[13Ibid.,j p. 327.

[14Ibid., p. 328.

[15Ibid., p. 329.

[16Ibid., p. 330.

[17Ibid., p. 331.

[18Ibid., p. 334.

[19Remarquons que, choqué de cette affaire et de nombreux autres rejets publics – comme la déclaration Curran aux États-Unis –, Paul VI n’écrit plus aucune encyclique dans les années qui suivirent.

[20Contre l’opinion de la majorité des « experts » consultés par le Saint-Père dans la rédaction du texte.

[21MATTEI (Roberto de), Vatican II…, op. cit., p. 340.

[22Ibid., p. 348.

[23Ibid., p. 348.

[24Ibid., p. 349.

[25Ibid., p. 351.

[26Ibid., p. 353.

[27Ibid., p. 354.

[28Ibid., p. 359.

[29Ibid., p. 364.

[30Ibid., p. 367.

[31Ibid., p. 369.

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