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[EX-LIBRIS] Vatican II. Une histoire à écrire (3/5)

1963 : la deuxième session

Nous avons suivi avec un grand intérêt le cours des préparatifs du concile Vatican II et le contexte qui présida à sa convocation. Dans un second article, nous avons découvert, non sans surprises, quel fut le dénouement de sa toute première session, dès l’ouverture, en 1962. En nous fiant toujours à notre guide, Vatican II. Une histoire à écrire [1], donnons ensemble un éclairage sur la deuxième session (1963) de la vénérable assemblée.

D’un souverain pontife l’autre

Jean XXIII eut le temps de signer, le 6 janvier 1963, en la fête de l’Épiphanie, une lettre invitant les pères conciliaires à poursuivre leurs travaux et leurs recherches en attendant la deuxième session devant s’ouvrir à la fin de la même année. Le pape avait atteint un âge plus qu’honorable. Sa santé déclina, jusqu’à ce qu’il s’éteignît le lundi 3 juin 1963 à dix-neuf heures quarante-cinq. Les funérailles eurent lieu le 6 juin, l’inhumation se fit le 7, et le conclave commença le 19 juin, après une rencontre entre différents cardinaux de renom (Frings, Suenens, König, Alfrink, Léger, Liénart) la veille. Ce pré-conclave aurait valu à Montini le soutien des électeurs d’Europe centrale. Dans tous les cas, celui-ci devint pape en prenant le nom de « Paul VI ». Laissons le professeur de Mattei nous résumer son parcours ecclésiastique :

« Grâce à l’appui du secrétaire d’État Pacelli [le futur Pie XII], Montini fut en décembre 1937 promu substitut aux Affaires ordinaires, succédant ainsi à Mgr Tardini, qui fut le jour même nommé secrétaire de la congrégation pour les affaires [e]cclésiastiques. Il n’avait pas eu d’expérience diplomatique, sauf une courte période de six mois passée à la nonciature de Varsovie, mais il travailla de façon presque ininterrompue à la Secrétairerie d’État, jusqu’en 1954, lorsque Pie XII le nomma archevêque de Milan, mais sans le chapeau cardinalice.
Cette promotion fut [donc] de fait une destitution dont les motifs ne sont pas encore clairs [c’est nous qui mettons en avant ce passage, et ce dans toutes les citations]. Selon certains, Mgr Montini fut impliqué dans la trahison du père Alighiero Tondi [un jésuite ayant défroqué en faveur du communisme et pour une femme]. D’après le cardinal Siri, il fut envoyé à Milan suite au jugement négatif exprimé par une commission secrète instituée par Pie XII, qui avait perdu confiance dans le substitut, à cause de la protection que ce dernier avait accordée au président de la Jeunesse d’Action catholique (Gioventù di Azione cattolica), Mario Rossi, qui se battait pour une Église engagée à gauche. Le cardinal Casaroli confia à son tour à Andrea Tornielli que les rapports du [p]ape avec son principal collaborateur “commencèrent à se détériorer essentiellement à cause des contacts que Montini avait eus avec les milieux de la gauche politique italienne à l’insu de Pie XII.” De la correspondance entre Mgr Montini avec don Giuseppe De Luca, on peut par ailleurs déduire que le substitut, par l’intermédiaire du prêtre romain entretenait des rapports avec les catholiques communistes et certains secteurs du Parti communiste italien. Andrea Riccardi rappelle au contraire que certaines nominations d’évêques en Lituanie, intervenues “de manière si ce n’est mystérieuse, du moins fumeuse”, avaient fait courir des bruits sur une infidélité de Montini dans les questions soviétiques. Ces voix remontent à un “rapport secret” du colonel français Claude Arnould, catholique et anticommuniste, qui avait été chargé d’enquêter sur le passage d’informations confidentielles en provenance de la Secrétairerie d’État à destination des gouvernements communistes de l’Est. Arnould avait retrouvé que la responsabilité de la fuite d’informations revenait à Mgr Montini et à son entourage, ce qui avait alarmé le Vatican. Andrea Tornielli a mis en lumière certains documents qui semblent prouver la fiabilité d’Arnould, qui jouissait d’une totale confiance amicale de la part du cardinal Tisserant et qui en France était introduit dans les plus hautes sphères de l’État et de l’Église [2]. »

C’est donc une personnalité difficile à cerner, autour de laquelle les avis sont aussi nombreux que divergents. Mais, quand on accède à la tiare – s’il y en a une ? –, des grâces d’état peuvent venir se greffer sur la nature pour la dépasser. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne le successeur de Pierre et de Paul. Dans notre premier billet, nous avons vu quelle fut la réaction de Jean XXIII au sujet de Fatima. Voici l’attitude du nouvel élu :

« Au cours de cette même [première] semaine, Paul VI voulut prendre connaissance du texte du secret de Fatima, conservé au Vatican, et, ne le trouvant pas, se fit expliquer par Mgr Capovilla, le secrétaire de Jean XXIII, où le texte avait été conservé. L’enveloppe contenait une note dans laquelle il était dit que Jean XXIII avait vu le texte et laissait aux autres la tâche de le publier. “Le 28 juin – comme le rappelle Mgr Capovilla – le Pape Paul m’appelle et me demande qui a dicté les lignes sur l’enveloppe. Je lui explique que c’est le Pape lui-même qui a voulu signaler quelles ont été les personnes qui ont eu connaissance du texte. ’Le Pape Jean ne vous a rien dit d’autre ?’ me demande Paul VI, ’Non, Saint[-]Père, il a laissé la décision à d’autres’. ’Moi aussi, j’en ferai autant’, répondit le Pape Montini. Il a refermé l’enveloppe et on n’en a plus reparlé [3]. »

Dans la première citation, assez longue, que nous avons reproduite en guise de portrait de Mgr Montini, il ressort que ce prélat s’intéressait de près aux questions temporelles et politiques. Cette préoccupation devait aussi être celle de Paul VI, pendant le concile comme dans les années qui suivirent (nous le verrons, bien désolés, au sujet de la loi autorisant en 1978 l’avortement en Italie, promulguée par un exécutif – c’est-à-dire le président du Conseil et le président de la République –.« démocrate-chrétien »). En effet, ce dernier donna son soutien au tournant à gauche de la démocratie-italienne, laquelle acceptait finalement de coopérer un tant soit peu avec les communiste, avec l’avènement d’un gouvernement de centre gauche en Italie.

La deuxième session et son ordre du jour

Ce fut donc ce nouveau pape qui ouvrit, le 29 septembre 1963, la deuxième session du concile Vatican II, laquelle avait pour objet quatre points précis : 1° une définition et méditation autour de la constitution et de l’essence de l’Église ; 2° un renouveau de l’Église par le réveil de ses forces spirituelles et morales ; 3° promouvoir l’unité des chrétiens ; 4° dialoguer avec l’homme moderne au-delà des horizons du christianisme. On aurait également dû ajouter à cette liste un schéma sur la Sainte Vierge Marie (nous en reparlerons à l’occasion de la troisième session) : le dogme de Marie médiatrice de toutes grâces attend toujours d’être solennellement et publiquement promulgué par un magistère infaillible, confirmant ainsi une vérité universellement confessée. La théologie se déchira alors entre « maximalistes » et « minimalistes », ces derniers remportant la lutte. Non seulement il ne fallait pas condamner le communisme, mais, manifestement, rien ne devait être fait pour faire briller la Vierge Marie selon la place qui lui revenait – et qui lui revient toujours. L’« Alliance » progressiste était encore plus forte et bien en place, se donnant pour but (conciliabules Suenens-Câmara) : 1° remplacer les présidents des commissions conciliaires liés à la Curie ; 2° préparer une mutation de la curie romaine ; 3° organiser la collégialité épiscopale aux niveaux national et international.

En face de ce noyautage en bande organisée, des pères conciliaires intégralement catholique formèrent une espèce de contre-révolution, bien tardive, sous la bannière du Coetus Internationalis Patrum. La question de la primauté pétrinienne et de la collégialité épiscopale fut au cœur des débats. Ainsi, les « conservateurs » furent contraints de soutenir l’autorité d’un souverain pontife qui en ferait par la suite usage pour les faire plier contre leur conscience et leur foi [4]. C’est un clin d’œil… peut-être plus prémédité que l’on pourrait le croire ! Papolâtrie et collégialité devaient en réalité être renvoyées dos à dos. Quoi qu’il en soit, l’abbé Berto – théologien personnel de monseigneur Lefebvre pour l’occasion – donna en ces années son avis au sujet de la collégialité :

« Berto explique que la collégialité “est mortelle pour l’ ’amour du Pape’, parce qu’il détruit Sa paternité”. “La relation paternité-filiation est une relation entre deux personnes physiques immédiatement conjointes. Si le Pape est le chef de l’Église, seulement parce qu’il est le chef du Collegio Episcoporum, alors le vrai Souverain de l’Église est ce collège, c’est-à-dire une personne morale […]. Que ceux du collège me disent : qui donc aimerait une personne morale ? Qui donc aimerait filialement un collège en pensant dans son cœur : le collège est mon père et je suis son fils ? […] Et qui donc pourrait croire que la paternité de Dieu ’ex quo omnis paternitas in cælo et in terra nominatur’ est représentée, figurée, vécue, par un organisme collégial, au plus haut degré des choses créées, c’est-à-dire dans Son Église [5]  ? »

Tandis que l’on parle encore de nos jours d’apporter toujours davantage de modifications à une curie romaine formée par l’expérience de siècles plus ou moins sages et saints, différents prélats prirent sa défense et firent l’exégèse des intentions des novateurs qui souhaitaient la mettre au pas ou en diminuer les pouvoirs et les prérogatives (ce qui n’empêcherait pas de nombreux abus d’autorité pour imposer des novelletés dans les années qui suivirent) :

« Mgr Gomez affirma que la Curie romaine a eu des hommes excellents de par leur sainteté, leur sagesse, leur prudence et leur charité, et bon nombre d’entre eux ont été élevés à l’office du pontificat suprême. La Curie romaine est formée d’hommes “choisis dans toutes les nations”, ajouta l’évêque espagnol, soulignant que, “parce que les Saintes congrégations sont l’instrument que le Pape emploie pour gouverner l’Église, nous devons nous rendre compte que quoi que l’on dise contre la Sainte Curie romaine, c’est d’une certaine manière contre le Pontife de Rome lui-même qu’on le dit. [6] »

Ce qui dérangeait en fait les progressistes les plus avancés, c’était que cette Curie avait longtemps été un moyen de contenir la prolifération et la divulgation de leurs thèses douteuses ou hétérodoxes. En bons opportunistes, ils souhaitaient pouvoir faire main basse sur ses rouages, et, à défaut, utiliser d’autres moyens, plus profanes mais sans doute plus efficaces aussi, de parvenir à leurs fins, à la manière des méthodes subversives employées par plus d’un groupement révolutionnaire ayant réussi à s’emparer des rênes du pouvoir d’un État ou d’un autre. « Les progressistes dénonçaient le pouvoir répressif du Saint-Office, héritier de la Sainte Inquisition romaine ; pourtant le pouvoir de censure qu’eux-mêmes exerçaient par le biais du nouveau tribunal médiatique [ou par leurs agents en différentes ramifications de l’Église visible] était encore plus envahissant [7]. »

Résultats concrets des deux premières sessions

C’est avec cet arrière-plan intellectuel et oratoire que fut discuté le thème de l’œcuménisme. Dans les faits, ce dernier était intrinsèquement lié à la question liturgique, déjà traitée au tout début de la première session du concile, et en cours de développement sous la houlette d’un Consilium fameux. Mais il restait encore à interpréter et à mettre en œuvre les résolutions du décret conciliaire. Beaucoup de commentateurs, contemporains aussi bien que postérieurs, ont parlé de trahison à son égard. Loin d’être isolé, Roberto de Mattei dissipe cette illusion à partir des données historiques désormais disponibles : « On a voulu faire de Bugnini l’“artisan” de la réforme liturgique, contre la volonté de Paul VI. En réalité, comme en témoigne Bugnini lui-même, la réforme liturgique est née d’une étroite collaboration entre le religieux lazariste et Paul VI [8]. » Dans la même veine, beaucoup de catholiques ont voulu, non seulement déconnecter tous les abus liturgiques de la constitution conciliaire qui a lancé et permis ce vaste chantier, ce qui est encore très compréhensible, mais aussi en dédouaner le Consilium ad exsequendam…, allant parfois à rendre certaines positions prises par ce dernier illégitimes à l’égard de la constitution Sacrosanctum Concilium de 1962 – pourtant, dans La riforma liturgica, monseigneur Bugnini ne cesse de se justifier à partir de ce même texte. Quoi qu’il en soit, le décret conciliaire demandait explicitement la « révision » de certaines choses :

« La constitution Sacrosanctum Concilium était une “loi-cadre” qui impliquait toutefois, comme l’a souligné Jean Vaquié, une transformation fondamentale de la liturgie catholique. Elle annonçait notamment la révision du rituel de la Messe (n° 50), un rite de concélébration nouveau (n° 58), la révision des rites du baptême (n° 66), de la confirmation (n° 71), de la pénitence (n° 72), des ordinations (n° 76), du mariage (n° 77) [9]. »

Cette deuxième session allait prendre fin, ayant causé moins de remous que la première, l’effet de surprise étant probablement passé, et ayant pris des décisions qui semblent à bien des égards plus anodines. Au cours des dernières séances, certains pères conciliaires essayèrent simplement de remettre le thème du communisme à l’ordre du jour, sans succès. Au contraire, après la crise de Cuba en 1962 et au moment de l’assassinat de John F. Kennedy, le Vatican donnait lui aussi en direction de la détente et de l’Ostpolitik, contre une certaine tolérance – très relative toutefois – dans une poignée d’États communistes. Les nerfs purent se détendre, au moins pour quelques mois, le 4 décembre 1963, avec la clôture officielle de la session, cérémonie qui précéda le départ de Paul VI pour la Terre sainte, généreusement suivi par les médias de masse de l’Occident.

Pendant ce temps, la préparation de la réforme liturgique suivait son cours, à l’instar des travaux de toutes les commissions et sous-commissions du concile.


[1MATTEI (Roberto de), Vatican II. Une histoire à écrire, Paris, Muller Éditions, 2013, 500 p., 25 €.

[2Ibid., p. 181-182.

[3Ibid., p. 183.

[4Plus loin, le professeur Roberto de Mattei remarque avec humour, mais perspicacité : « À l’égard du Pape, comme de la Sainte Vierge, les évêques “romains” pratiquaient le “maximalisme”, sans se poser la question des limites morales de l’obéissance » (ibid., p. 325).

[5Ibid., p. 211.

[6Idem.

[7Ibid., p. 213.

[8Ibid., p. 219.

[9Ibid., p. 220.

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