L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
le fasciste est celui qui ne me lit pas [1].
Peut-on encore parler d’Anders Breivik ? Est-il seulement permis de le nommer ? Non, pas si l’on travaille au sein d’une maison d’édition qui fait dans le bien-pensant et le maladroit. Richard Millet en sait quelque chose… et pitoyable est la manière dont il a été congédié des comités de lecture de Gallimard.
Le romancier français (espèce rare en ces temps troublés) revient sur l’affaire, encore récente, qui a ruiné sa situation tout en assurant, à son plus grand dam, sa célébrité médiatique. Une célébrité fulgurante, juste le temps d’être insulté et outragé par tous les bobos télévisuels et radiophoniques. Après la tempête, rien de mieux qu’un petit ouvrage pour s’expliquer. C’est bien le dessein de la Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes [2].
C’est de la littérature que voulait parler Millet en publiant son Éloge littéraire d’Anders Breivik. Personne n’ayant lu ce livre (le titre a arrêté les pusillanimes, qui sont légion), personne ne le sait. Il était donc opportun de faire valoir encore quelques théories littéraires, avec toujours moins de langue de bois.
Avant tout, l’écrit est politique ou, plutôt, métapolitique. C’est à l’aune religieuse, également, que s’explique la déliquescence littéraire française contemporaine. Pourquoi n’y a-t-il plus de style, y compris – et surtout – dans les meilleures ventes des libraires ? Pour des impératifs d’égalité : il n’est plus moralement permis d’avoir du style, car ce serait se démarquer, dominer ses confrères… bref, être « de droite » (p. 11). Le médiocre, le minable, sont plus faciles à atteindre. C’est évident ! Quoi qu’il en soit, en fait de style, la plume de Richard Millet se fait apprécier au fil des pages, même si ces dernières ne sont pas très nombreuses. L’un de nos derniers auteurs…
Inversement, si le métaphysique et le politique expliquent le littéraire, le littéraire explicite le politique et le métaphysique : « je crois que la France, comme la plupart des nations, est entrée en décadence, que les motifs de cette décadence sont en grande partie littéraires, sinon liés à un désenchantement, que les vrais écrivains sont rares, et que cette raréfaction n’est admise par personne, officiellement, du moins, car en privé chacun reconnaît ne guère lire de romans français » (p. 29-30).
Renouant avec un Julien Gracq, celui de La Littérature à l’estomac, Millet critique l’industrie du prix littéraire. Des esprits narquois y verront complexe, jalousie, envie, aigreur, et tout le reste. Et, pourtant, son analyse est convaincante : « les prix qui sont l’accomplissement du cérémonial n’étant plus institués pour couronner des livres ni des œuvres mais pour valoriser les prix eux-mêmes, et à travers eux le système qui les décerne » (p. 16).
Les théologiens scolastiques de l’ère médiévale avaient la franchise et l’honnêteté de proclamer haut et fort d’où ils parlaient. Aujourd’hui, cela n’est possible que si l’on est de gauche ou d’extrême-gauche (à l’Université, par exemple, seul l’étudiant-chercheur apparemment « de droite » sera taxé d’avoir choisi un sujet « militant », alors que l’encarté du PCF ou d’Act Up ne se verra jamais reprocher sa pertinence « scientifique » : peur des représailles, peut-être ?). À moins d’avoir un peu de courage et quelques tripes… ce qui, sur la scène sociale, ne réussit pas : Richard Millet en sait quelque chose, paria de la société littéraire francilienne. Mais il peut être fier d’être outragé pour avoir proclamé ce qui lui semblait être la vérité.
De la même façon, notre auteur ne cache pas être catholique, en plus que d’être « de droite ». Et cela lui permet de faire la part des choses entre les agneaux et les loups : « les plus nuisibles, en fin de compte : ces chrétiens de gauche qui voudraient être protestants tout en lorgnant vers l’islam » (p. 20-21). Oui, il pointe du doigt la France qui se désintègre, qui s’auto-désintègre. Comble de perversité ! Voici encore une citation éclairante quant au personnage : « je suis catholique et plus soucieux de mes frères orientaux que des catholiques en mal de socialité » (p. 25). Des « catholiques en mal de socialité » ? Il s’agit, par exemple, de « Mgr » Dagens qui, sans doute parce qu’il s’était senti obligé de faire allégeance à ses maîtres-chiens en raison de son appartenance à l’Académie française, en prend pour sa calotte à cause des inepties et autres imbécillités qu’il a posées, il y a quelques mois, à propos de la Syrie : « les pires ennemis sont à l’intérieur » (p. 59). Enfin, la décadence de l’Europe est très simple à expliquer : c’est sa déchristianisation (p. 58). Point barre.
Richard Millet s’en charge lui-même. L’amalgame qui a été fait – assez grossier il faut le dire – a voulu faire de ce romancier infréquentable un suppôt d’Anders Breivik et, à travers lui, appliquer ce traitement à tout blanc-bec racisto-xénophobe. Bref, une horreur. Mais cela n’aurait été qu’un prétexte pour cacher le véritable élément perturbateur : les thèses littéraires soutenues par Millet, en dépit de son appartenance au milieu de l’édition, malgré une place de nanti donc – chez Gallimard qui plus est ! C’est pour cela qu’il fallait le liquider, dans les milieux gauchistes de la culturasserie : « c’est bien ce que je dis de la littérature qui me rendait détestable » (p. 47). Et oui, il n’était pas permis d’affirmer que le Livre était lui aussi une victime, une victime de Breivik multiples appelés « écrivains » : « la plupart de ceux qui écrivent sont, eux aussi, des écrivains [3] par défaut qui rejoignent, d’une certaine façon, le tueur norvégien par leurs atteintes [ou attentats ? contre la langue, l’histoire, la tradition, la mémoire, l’esprit… » (p. 57). Pour le reste, nous vous laissons en compagnie de Richard Millet…
[1] Page 10 de l’ouvrage recensé.
[2] MILLET (Richard), [[Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2014, 96 p., 15,90 €.
[3] Même chose, sans doute, pour les bons vieux « intellectuels ».
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