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Outil central et nécessaire de l’économie moderne, la monnaie ne fait paradoxalement pas l’objet de développements approfondis dans les médias et même au sein des programmes de sciences économiques du secondaire. Son étude est réservée aux spécialistes qu’ils soient universitaires ou acteurs du système bancaire. « Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin », d’après la phrase célèbre d’Henry Ford. Il va de soi que tout système de domination cherche à conserver son ascendant sur la masse en évitant de lui fournir les moyens de son émancipation. Pierre-Étienne Galois, autodidacte en la matière, accomplit donc une œuvre salutaire en proposant au lecteur un ouvrage de vulgarisation sur ce sujet si épineux. Au carrefour de l’histoire économique et de l’anthropologie, l’auteur revient sur les racines de la monnaie afin de mieux expliciter ses enjeux contemporains.
La théorie la plus enseignée sur l’origine de la monnaie nous vient d’Aristote. Elle fut par la suite reprise par le célèbre économiste écossais Adam Smith. Selon cette théorie, le besoin d’échange est né avec la sédentarisation des chasseurs-cueilleurs qui produisaient uniquement pour leur survie. Avec l’abandon du nomadisme, ils accumulent des stocks qu’ils commencent à échanger via le troc contre d’autres produits. En raison de la multiplication du nombre de produits disponibles entraînant une multiplication trop importante des taux de change, il devient nécessaire d’adopter une mesure de la valeur de ces produits capable d’être exprimée dans une unité monétaire. La preuve d’une telle évolution viendrait des documents comptables de l’Égypte ancienne contenant une description de biens avec leur unité de valeur. Cependant, aucune trace de la monnaie les matérialisant n’a jamais été retrouvée. Pour Smith, la division du travail a fait évoluer les sociétés primitives. Les hommes se sont alors concentrés sur leur domaine de spécialisation. C’est ce qui les a amenés à échanger leur production contre des biens qu’ils ne possédaient pas. Une fois qu’on a le taux de change, il est nécessaire pour qu’il y ait troc, qu’au même moment, deux agents économiques aient besoin des biens de l’autre. Cela limite indéniablement le nombre potentiel de situations d’échange. Forts de ce constat, Aristote et par la suite Adam Smith en ont déduit la nécessité de créer la monnaie.
Le crédit résout la problématique de la coïncidence des besoins. On donne des biens en échange de futurs biens à venir car plus longs à produire. En pratique, il est rare de demander au sein d’une communauté de rendre la contrepartie immédiatement car les relations sont fondées sur la confiance réciproque. De toute façon, le créancier croise en permanence son débiteur qui prendrait, en ne remboursant pas sa dette, un risque important pour sa réputation, voire peut-être même pour son intégrité physique. Si le crédit est accepté au sein du clan, il ne l’est pas avec les tribus ennemies avec lesquelles le troc est pratiqué. Le système de crédit est attesté par les tablettes mésopotamiennes d’écriture cunéiforme. Il n’y a donc pas besoin de monnaie dans les sociétés primitives : chacun produit pour lui-même et quand un bien est nécessaire, il est recouru au crédit et non au troc.
Au sein des sociétés traditionnelles, certaines dettes ne sont pas compensables. Ainsi, lorsqu’un homme prend une épouse, il doit une femme à la famille d’où provient sa femme. Souvent, il s’agira d’une future descendante. S’il ne peut régler sa dette tout de suite, il peut, afin d’éviter un conflit mortifère, payer en monnaie sociale son créancier afin de l’apaiser. Mais ce paiement ne se substituait pas originellement à la dette due mais cela a évolué par la suite. Souvent la monnaie sociale prend la forme d’or, d’argent, de coquillages, de bétail [1], de perles ou de plumes. Les richesses premières chez les primitifs sont les femmes car ces dernières permettent d’acquitter des dettes. La monnaie sociale devient donc un moyen de se procurer des femmes. La demande de monnaie sociale est de facto nécessairement importante. Cependant, elle n’est ni achetable, ni échangeable. L’hypothèse la plus probable est qu’un groupe, sans doute les anciens, ait imposé aux autres membres de la communauté la monnaie car il détenait déjà en amont les femmes de leur famille. Très rapidement, ils ont acquis la plupart de la monnaie sociale ce qui les a placés en situation de quasi-monopole leur permettant ainsi de contrôler l’émission de monnaie sociale et de réguler les mariages et la démographie. Un jeune célibataire, dénué de monnaie sociale, avait comme unique solution pour prendre femme d’emprunter de la monnaie sociale auprès des gérontes, d’avoir des filles, de les vendre et d’obtenir de la monnaie sociale afin de rembourser sa dette. Au fur et à mesure, le prêt avec intérêts s’est développé. Bien entendu, dans ce type de société, la monnaie sociale s’est imposée grâce à des mythes fondateurs. Cette organisation particulière du groupe entraîne de fait la constitution d’une gérontocratie polygame dominant le reste de la communauté par la dette et parfois même l’esclavage pour dettes.
Plusieurs facteurs expliquent l’abandon progressif de la monnaie sociale. Lorsque les sociétés primitives ont commencé par être dominées par d’autres peuples, ces derniers ont pu leur imposer de régler l’impôt dans une autre monnaie ce qui a fait chuter la demande de monnaie sociale. Les dominants ont aussi souvent mis la main sur la monnaie sociale. La monnaie sociale fut parfois interdite par le colon. Les élites des communautés traditionnelles ont aussi été dans certains cas corrompues par de l’argent ou de l’or générant ainsi un rejet de la monnaie sociale. Dans d’autres situations, la monnaie sociale a perdu de la valeur en raison de son utilisation pour payer d’autres biens.
Avec la sédentarisation, l’agriculture a commencé à se développer près des fleuves qui génèrent des alluvions jouant le rôle d’engrais pour la terre. La terre devient alors une source de richesses à exploiter alors qu’auparavant elle appartenait à tout le monde. Dans les sociétés agraires, la communauté se divise souvent en trois groupes humains : les administrateurs, les soldats et les agriculteurs. À ce moment apparaît l’écriture à des fins comptables, avec pour objectif de gérer les dettes de la collectivité. Il n’est donc plus besoin d’être un proche pour échanger. Le temple est généralement le lieu de concentration du capital. Il finira plus tard par jouer le rôle de banque. Les dettes sont comptabilisées en argent mais payables en équivalent. Il n’existe pas encore de monnaie physique.
Les premières pièces de monnaie apparaissent en Lydie au IVe siècle avant Jésus-Christ, pays d’Asie Centrale proche de la Méditerranée qui disposait d’importantes ressources minières qui provenaient du Mont Tmole et de la rivière Pactole. La valeur de la monnaie ne provient pas de sa valeur intrinsèque [2] mais de sa valeur nominale qui est fixée et garantie par l’État. Dans son Éthique à Nicomaque, Aristote relève qu’« elle n’existe non pas par nature, mais en vertu de la loi » [3]. Chartaliste avant l’heure, le Stagirite ne partageait pas la conviction des métallistes selon laquelle la valeur de la monnaie est issue de sa nature propre.
Monnaie et guerre sont intrinsèquement liées. Une grande puissance commerçante comme la Phénicie n’utilisait que la reconnaissance de dettes et les lingots. La monnaie s’est rendue nécessaire au sein des nations guerrières. Si au début, les cités grecques envoyaient leurs aristocrates au combat, peu à peu, elles ont fini par recourir à des mercenaires surentraînés qui étaient payés en pièces d’or ou d’argent pour des raisons de facilité de transport et de paiement. Cela avait aussi l’avantage d’éviter de semer le chaos à l’intérieur des territoires conquis (vol, pillage, destruction etc.). Du crédit, on est donc passé à la monnaie. Cette dernière anonymise l’échange là où la reconnaissance de dette suppose souvent une relation de confiance. Les peuples conquis sont fréquemment réduits en esclavage et leurs richesses et leurs ressources minières sont accaparées. La monnaie revient à l’État car il existe pour les non esclaves une obligation de régler l’impôt à l’État sous forme monétaire. Ce système permet de refinancer des guerres ou de redistribuer les richesses au peuple.
À cette époque antique, l’État frappe la monnaie, les mines étant souvent gérées par des entités privées. Face aux impôts ou aux tributs à payer, la demande de monnaie augmente mécaniquement. Ainsi, il devient courant d’échanger des biens pour faire face à un besoin de monnaie. Contrairement aux assertions d’Aristote en la matière, la monnaie n’est donc pas un moyen naturel de l’échange. En l’occurrence, c’est l’échange qui permet d’obtenir de la monnaie. En effet, à l’opposé des thèses métalliste attribuant une valeur naturelle à la monnaie, le chartalisme postule que la valeur de la monnaie est déterminée par l’État. Ce dernier peut choisir que la monnaie est constituée de monnaie sociale, de monnaie métallique, de papier-monnaie ou tout autre élément. Les perses, puis les romains ont repris le schéma monétaire grec. Le problème généré par ce système réside dans la rareté des mines. Une fois les mines épuisées, la demande de monnaie ne diminuait pas pour autant. Cela nécessitait soit de baisser la valeur de la monnaie ou d’accroître l’imposition en vue de récupérer par un autre biais l’argent manquant. Bien entendu, ce paradigme monétaire peut fonctionner pendant longtemps sans aucun coût pour le citoyen lorsque le pays agressé est facilement vaincu. Dans un tel cas, ses richesses sont pillées ce qui permet d’autofinancer la conquête. Lorsque l’agresseur tombe sur un ennemi imprenable, les ennuis commencent car une fois les richesses des voisins épuisées, le coût de l’administration et des troupes à maintenir sur place devient positif car n’étant plus financé par la conquête. De l’autre côté, Rome ne recevait plus de tributs mais avait tendance à acheter la paix auprès de ses voisins. Au moment de l’effondrement de l’Empire romain, l’État était en faillite et le consensus citoyen brisé. Les invasions barbares en ont été d’autant plus facilitées.
À l’époque mérovingienne, l’impôt est payé en nature (corvées, bétail etc.). Logiquement, la demande de monnaie baisse. La raréfaction monétaire signe le retour du crédit et des registres de dettes. Sous Charlemagne, le système monétaire est unifié et basé sur l’argent. Au début, le pouvoir de battre monnaie appartient uniquement au souverain pour être ensuite peu à peu délégué aux comtes favorisant ainsi l’indépendance financière des féodaux. S’ensuit un chaos monétaire peu dramatique car la monnaie ne joue plus un rôle crucial dans les échanges quotidiens réglés par le troc et le crédit.
Avec les croisades, les anciennes routes vers l’Orient sont réouvertes. Les cités italiennes comme Venise, Florence ou Pise en profitent pour commercialiser des marchandises en échange d’or et d’argent. Elles finissent par frapper leur propre monnaie et participent au côté de l’Ordre du Temple de Salomon, l’ordre des templiers, au financement des croisades. Grâce au prêt à intérêts et à la pratique des hypothèques, ces deux types de créancier s’enrichissent sur le dos des croisés. Néanmoins, la grande différence avec l’Empire romain résidait dans le fait que le but des croisades n’était pas de s’approprier les mines. Entre le XIVe et le XVe siècle, le déficit commercial se creuse entre la Chine et l’Europe ce qui entraîne un afflux de monnaie vers la Chine. La masse monétaire en Europe s’effondre générant fatalement de la déflation, c’est-à-dire une baisse des prix. Face à ce phénomène, le roi Philippe Le Bel, dit « le faux monnayeur », procède à plusieurs dévaluations de la monnaie. Ces manipulations provoquent un conflit financier, maquillé en querelle religieuse, avec les templiers qui en sortiront anéantis.
À compter de la prise de Constantinople par les turcs en 1453, les voies commerciales vers l’Orient se trouvent coupées. Les européens partent à la découverte de l’Afrique, des Indes et de l’Amérique. En Amérique, ils trouvent de nombreuses mines d’or et d’argent qu’ils exploitent grâce aux esclaves indiens malgré l’interdiction de l’esclavage des indiens décidé par le pape Paul III dans sa bulle Sublimis Deus du 29 mai 1537. Malheureusement, cette règle ne fut pas suivie et de très nombreux indiens périrent dans les mines. Selon Tzvetan Todorov, aucune tuerie du XXe siècle ne fait le poids par rapport à l’hécatombe indienne. Le capitalisme déresponsabilise tous les maillons de la chaîne : le créancier finance mais ne souhaite pas s’occuper des détails ; l’exécutant, débiteur du créancier, met les mains dans le cambouis afin de rembourser ses dettes. L’or et l’argent affluent vers l’Europe pour aller ensuite vers l’Orient, en particulier vers la Chine auprès de qui l’Europe est toujours endettée.
Une économie fondée sur l’or ou l’argent est limitée par la quantité de métaux disponibles qui n’est pas nécessairement en corrélation avec les besoins de l’économie c’est-à-dire avec la quantité d’offre de produits et de services disponibles. Le plus gros marché du monde, La Chine, d’où vient l’invention du papier, fut le premier pays à inventer le billet. Ce nouveau moyen de paiement permet d’éviter le transport de monnaie métallique mais ne possède pas d’effet libératoire. Il s’agit de déposer l’or ou l’argent chez un commerçant, de faire son voyage et à l’arrivée de se rendre dans la filiale du commerçant afin d’échanger le billet contre des pièces métalliques. En Chine, l’État devient peu à peu le détenteur du pouvoir de création monétaire. Il garantit la valeur des billets basée sur l’or, l’argent et le sel. Évidemment, la quantité de monnaie en circulation devient vite supérieure aux stocks d’or, d’argent et de sel détenus par l’État. On peut y voir l’origine des réserves fractionnaires. Sous le règne de la dynastie Song (Xe – XIIIe siècle), est inventée l’imprimerie afin de couvrir plus rapidement les besoins en monnaie. Les empereurs suivants de la dynastie Yuan (XIIIe – XIVe siècle) démonétisent les métaux par le rachat des pièces d’or et d’argent, l’interdiction d’en faire commerce et l’obligation d’avoir recours à la monnaie étatique.
En Europe, la pratique de la lettre de change se développe au cours du XVIIe siècle. Le client dépose de l’argent chez l’orfèvre qui lui remet un billet à ordre. Ce billet à ordre, pouvant être cédé, permet à son titulaire de l’échanger contre de l’argent. Au fur et à mesure, ce billet finira par être découpé en morceaux ce qui donnera les petites coupures que sont les billets. Le pouvoir de l’orfèvre est limité par le fait que la quantité de billets en circulation doit équivaloir à ses réserves en or et en argent.
Très vite, les orfèvres s’aperçoivent que les clients de viennent jamais en même temps et en masse retirer leurs dépôts. Ils se mettent alors à prêter plus de monnaie qu’ils n’en possèdent créant ainsi une pyramide de Ponzi. Ainsi, dans l’hypothèse où tous les épargnants retirent leur argent en même temps, le système s’effondre. Cette nouvelle pratique aboutit à faire des banques privées les principaux acteurs de la création monétaire. Auparavant, celle-ci était fonction des dépôts de métaux. Créer de la monnaie c’est accorder un crédit à un client. La dette est éteinte lorsque le crédit est remboursé aboutissant de la sorte à une destruction monétaire. La banque est rémunérée par l’intérêt de la dette. Peu à peu, le pouvoir de création de la monnaie passe des mains étatiques aux mains d’agents privés comme les banques.
La première banque centrale est créée en Suède à Stockholm au XVIIe siècle. Elle possède le monopole exclusif de création monétaire avec obligation de reverser la moitié du bénéfice au roi. Après avoir émis plus de liquidités qu’il n’y a de réserves, la faillite voit vite le jour. En 1694, la banque anglaise Paterson prête au roi Guillaume III d’Angleterre 1 250 000 livres au taux de 6 %. En échange, la banque obtient le droit exclusif d’émettre de la monnaie avec interdiction pour les banques privées de stocker de l’or et d’émettre des billets. La dette ne fit qu’augmenter par la suite. Ce système malsain permet de remettre à plus tard le paiement de la dette et d’éviter de lever l’impôt. La banque centrale anglaise s’effondre car les liquidités en circulation sont largement supérieures à ses réserves. L’idée est donc d’introduire un étalon or afin que l’émission de monnaie soit fonction de la quantité d’or disponible.
En France, les possédants ayant financé le coup d’État de Napoléon poussent ce dernier à la création d’une banque centrale privée. Devant la nécessité que l’État se finance et malgré une finalité douteuse car profitant aux actionnaires privés au détriment du bien commun, il finit par accepter. L’État est financé par le Trésor public qui s’endette auprès de la Banque de France laquelle rachète la dette en la convertissant en monnaie. Devenu Empereur, Napoléon se contente uniquement de nommer les représentants de l’État, qui est minoritaire, à l’Assemblée Générale de la Banque de France. En 1803, elle obtient le privilège exclusif d’émettre des billets.
Aux États-Unis, la première banque centrale est instituée en 1791 en dépit de l’opposition de Jefferson qui plaidait pour une monnaie décentralisée, gérée État par État. Ayant le monopole d’émission monétaire, cette banque est possédée à 80 % par des intérêts privés et à 20 % par le pouvoir étatique. Le gouvernement américain doit lui emprunter de l’argent pour financer ses actions. En 1816, une deuxième banque centrale remplaçant la première est créée sur le même modèle que la première à la suite de la guerre avec les anglais. Le président Jackson, élu en 1829, retire les fonds étatiques de la banque. Le pouvoir politique reprend la main sur la domination privée. Pourtant, le bilan de Jackson est désastreux. Obsédé par l’excédent budgétaire et le remboursement de la dette, sa politique assèche les liquidités provoquant par là même inflation, récession et famine. Les banques commerciales se mettent alors à créer du papier-monnaie non échangeable contre de l’or. La population adopte une grande défiance vis-à-vis de ces liquidités car de nombreux billets en circulation sont faux. En 1861, la guerre de Sécession éclate entre le Nord soutenu par les Rothschild anglais et le Sud soutenu par les Rothschild français, les deux prêtant de l’argent à des taux exorbitants. Devant cette situation, Lincoln, protagoniste du Nord, décide de créer de la monnaie sans passer par les banques. Les « greenbacks » étaient nés. Après l’assassinat de Lincoln, c’est le retour à l’anarchie monétaire.
La Réserve Fédérale Américaine, plus connue sous l’acronyme FED, est fondée sous Wilson en 1913 après de nombreuses pressions de l’élite financière et politique. La finalité est de réguler la quantité de monnaie en circulation, de fixer le taux d’intérêt et les conditions que doivent respecter les banques privées pour pouvoir prêter de l’argent. Ces dernières doivent posséder un certain nombre de monnaie centrale émise par la banque centrale pour être autorisées à prêter des liquidités. La FED est indépendante vis-à-vis de l’État mais dépendante des intérêts privées. Elle n’a rien d’américaine car elle possède en son sein des actionnaires étrangers. Elle n’est pas plus une réserve car elle a toujours refusé qu’on vérifie son stock de monnaie métallique. Elle n’a rien de fédérale car elle est soumise à des agents privés. Elle fonctionne selon le mécanisme suivant. Le Trésor, ayant besoin de fonds, émet des bons du trésor qui lui sont achetés par la FED avec de la monnaie centrale électronique. L’État est donc débiteur de la FED. Celle-ci est tenue de lui reverser ses bénéfices diminués des coûts de fonctionnement et des dividendes aux actionnaires privés limités à 6 % des capitaux investis. La difficulté principale réside dans l’existence des primary dealers c’est-à-dire des banques privées américaines ou étrangères autorisées à acheter les bons du trésor. Ceux-ci, contrairement à la FED, ne reversent jamais de bénéfice à l’État américain. La FED peut racheter les titres de dette du Trésor détenus par ces primary dealers en créditant leur compte de la valeur correspondante. Elle créée alors de la monnaie. La FED peut aussi vendre les bons du trésor ce qui lui permet de récupérer de la monnaie aboutissant ainsi à une destruction monétaire c’est-à-dire à un retrait de monnaie du circuit économique. Ces outils lui offrent la possibilité de réguler la masse monétaire. Il existe un troisième cas de création monétaire. Les bons du Trésor, détenus par les primary dealers et non rachetés par la FED, génèrent des intérêts qui sont souvent couverts par l’émission de nouveaux bons du Trésor. On aboutit encore à l’éternel planche à billets et au système de Ponzi et cela d’autant plus que le dollar est devenu une monnaie de réserve internationale.
L’or a pendant longtemps été la monnaie de réserve en raison de son inaltérabilité, sa malléabilité et sa rareté. Son principal point faible réside paradoxalement dans sa rareté. En effet, si plus aucune mine d’or n’est découverte, la quantité de monnaie en circulation stagne alors que la production de biens continue. La demande de ces produits diminue en raison du manque de liquidités et cela aboutit généralement à une baisse des prix provoquant des faillites en chaîne car les entreprises n’arrivent à être rentables avec la faiblesse des prix pratiqués. Ces raisons ont abouti à l’abandon de l’étalon or au profit du « Gold Exchange Standard » en 1933. Avec ce système, la garantie de la monnaie en or ne vaut qu’entre banques centrales et le dollar devient la monnaie de réserve internationale. Ce dernier point se révèle être très profitable pour les États-Unis par son effet limitateur d’inflation. Le pays de l’Oncle Sam peut émettre de la monnaie massivement sans provoquer de l’inflation car il existera toujours une demande forte de dollars de la part des autres pays qui en ont besoin pour régler leurs transactions internationales. Ayant flairé l’arnaque, De Gaulle, à travers la Banque de France entre temps nationalisée, réclame la conversion de tous ses dollars en or. En 1971, ce paradigme est abandonné pour être remplacé par le système des changes flottants. On aurait pu penser que cela eusse entraîné une dédollarisation de l’économie. Pour autant, les américains ont conservé leur avantage grâce à l’idée de Kissinger, secrétaire d’État de Nixon, de passer un pacte avec l’Arabie Saoudite après le choc pétrolier de 1973. Ce compromis impose la fixation du prix de vente du pétrole en dollar avec obligation pour l’Arabie Saoudite d’acheter avec les bénéfices les obligations américaines. La demande de dollars dans le monde avait de beaux jours devant elle car tous les pays ont besoin de pétrole et donc de dollars. Cette émission sans fin de dollars n’est évidemment possible qu’avec l’aide de l’armée américaine, elle aussi financée grâce à la planche à billets verts. Pour conserver cet avantage suprême, les États-Unis n’hésitent pas à mettre à sac l’Irak de Saddam Hussein qui avait eu l’outrecuidance de vouloir libeller son pétrole en euro. La même attitude fut adoptée face à l’Iran ou la Lybie qui avaient voulu s’extraire du dollar. Dernièrement, la guerre en Syrie peut aussi en partie s’expliquer par le refus de Bachar el-Assad de faire passer un gazoduc qatari à travers son pays bloquant ainsi une possible vente de gaz en dollars. L’Amérique pratique aussi depuis des décennies la stratégie d’encerclement de la Russie afin que cette dernière ne puisse écouler son gaz libellé en roubles. De leur côté, la Chine ou la Russie se débarrassent de leurs réserves en dollars en vue de l’achat massif d’or et d’argent sans doute pour anticiper un futur effondrement du dollar.
De la monnaie sociale aux pétrodollars, la logique reste identique : celui qui impose aux autres la monnaie de référence domine. L’ouvrage de Pierre-Étienne Galois le montre de façon claire et étayée. Écrit dans un style accessible et prosaïque, La face cachée de l’argent n’en demeure pas pour autant un livre simple à comprendre. Le lecteur, possédant certaines connaissances propédeutiques, sera bien entendu avantagé. Mises à part des réserves sur son titre un peu trop aguicheur, l’ouvrage est à préférer à celui de David Graeber sur la dette dont l’auteur s’est pourtant inspiré [4]. Plus synthétique et mieux construit, il ne tombe jamais dans l’idéologie comme peut le faire Graeber en raison de sa sensibilité anarchiste. Autre avantage, le livre a le mérite de faire découvrir au grand public la notion de chartalisme. Dans un monde économique dominé par les tenants de la création monétaire privée illimitée et par ceux du métallisme aboutissant à une création monétaire ultra limitée, le chartalisme constitue une position intermédiaire postulant que la valeur de la monnaie est édictée par l’État et ne dépend pas de sa valeur intrinsèque. Dans la continuité de cette idée, l’auteur plaide pour une banque centrale exclusivement sous contrôle étatique sans intervention des intérêts privés. Cette opinion de bon sens semble en effet le préalable nécessaire pour que le bien public redevienne la finalité de la création monétaire. Pour approfondir cette idée, il est nécessaire pour tout homme de bonne volonté d’accumuler un peu de monnaie afin de se procurer cet ouvrage salutaire.
[1] Les termes pécule et pécuniaire viennent de pecus signifiant le troupeau. Capital vient de caput voulant dire tête de bétail.
[2] Des pièces de même matière n’ont pas toujours exactement le même poids.
[3] Aristote, Éthique à Nicomaque, Condé-sur-Noireau, Vrin, 2012, livre V, 8, p. 260.
[4] David Graeber, Dette : 5000 ans d’histoire, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2013.
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