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Professeur d’histoire contemporaine fort intéressé à l’histoire religieuse française, Guillaume Cuchet, tente de répondre à une question importante en France, mise en exergue de son ouvrage : Comment notre monde a cessé d’être chrétien ? [1] Certes, le monde occidental connaît une forte baisse de pratique religieuse depuis un siècle mais le cas français dénote une baisse plus rapide et plus importante. Cette question n’était abordée récemment qu’au sein de l’Église et deux réponses étaient proposées en fonction du camp en présence. Pour les catholiques progressistes, la baisse de la pratique religieuse n’est que le fruit d’une longue évolution que le Concile Vatican II a tenté d’enrayer afin de redresser la barre. Du côté des traditionalistes, le même concile a constitué un évènement majeur de rupture de la pratique. L’historien semble se ranger plutôt derrière l’interprétation traditionaliste tout en offrant une analyse plus nuancée et plus fine. Le propos intéresse notre dossier sur l’organisation de l’Église en ce que des décisions organisationnelles peuvent avoir de lourdes conséquences pastorales.
Le Concile Vatican II (1962-1965) a apporté un grand coup d’accélérateur à une tendance baissière de la pratique religieuse qui était constatée depuis la Révolution française. Avant la révolution de 1789, une diminution avait déjà été observée dans certaines zones urbaines au sein des classes bourgeoises et populaires. L’instauration de la République a entériné et très largement aggravé ce mouvement. Les catholiques furent divisés en deux factions : ceux qui suivirent les prêtres réfractaires et ceux se regroupèrent derrière les prêtres jureurs, c’est-à-dire ceux qui prêtèrent un serment de fidélité aux idées révolutionnaires à travers la Constitution civile du clergé. Il est intéressant de noter que les régions catholiques à forte proportion de prêtres jureurs ont vu leur pratique religieuse nettement plus fortement décroître que les autres.
Malgré ces contrastes régionaux importants, dans les années 1960 juste avant le Concile, 94 % des bébés étaient baptisés dans les trois mois ; 80 % des enfants faisaient leur communion solennelle à douze ans ; 30 % des adultes faisaient encore leurs pâques (confession pendant le carême et communion à Pâques) et 25 % des français allaient à la messe tous les dimanches. Aujourd’hui, seuls 30 à 35 % des enfants sont baptisés et le taux de pratique dominicale s’est effondré à 2 %. Il va de soi que la situation n’était pas particulièrement brillante dans les années 60. En effet, les cartes du Chanoine Boulard, le père de sociologie religieuse française sur lequel s’appuie beaucoup Guillaume Cuchet, avaient pour finalité de faire une recension suffisamment précise de la pratique religieuse française à des fins pastorales. Le chanoine Boulard avait conscience que son pays était devenu une terre de mission. Après le Concile Vatican II, les autorités ecclésiastiques ont abandonné ces études sociologiques sans doute pour éviter, après le désaveu massif de la pratique religieuse, d’avoir sa confirmation sociologique et statistique. Le courant moderniste du Concile, qui estimait que ce dernier n’était pas allé assez loin, est même allé soutenir le fait qu’il aurait même probablement permis d’atténuer la baisse de la pratique religieuse. Ce n’est en tout cas pas l’opinion de l’historien Guillaume Cuchet qui, tout en rappelant bien la diminution de la pratique catholique avant le Concile, observe une accélération considérable de celle-ci. Les deux évènements modernes de la diminution de la pratique religieuse en France constituent donc la Révolution française en tant que contrainte extérieure à l’Église et Vatican II en tant que contrainte interne. Si la Révolution a bien induit des difficultés canoniques puisque les diocèses français ont été intégralement remodelés, il est difficile d’en faire porter le chapeau au Vatican. En revanche, s’agissant du Concile Vatican II, le Saint-Siège est pleinement responsable à la fois du contenu du Concile mais surtout de l’interprétation qui en a été faite. Difficile donc d’exonérer la Papauté de la baisse drastique du nombre de pratiquants catholiques.
Mais quelles sont les causes de cette baisse de la pratique religieuse constatée après le Concile Vatican II ? En Vendée, par exemple, un des départements les plus pratiquants dans les années 60, la pratique des hommes a été divisée par deux en 1979 et celle des femmes a diminué d’un tiers. Il est bien évident que l’époque s’avère être un des facteurs explicatifs de cette crise : individualisme, exode rural, développement des biens de consommation, télévision et apparition de la tolérance sexuelle chez les jeunes. Toutefois, ces facteurs exogènes ne doivent pas faire oublier les facteurs propres à l’organisation de l’Église. En premier lieu, le sacrement de pénitence, appelé désormais le sacrement de réconciliation [2], a été de plus en plus déserté depuis les années 50. En 1952, 51 % des catholiques se confessaient au moins une fois par an. Ils ne sont plus que 29 % en 1974 et seulement 14 % en 1982. Les discours pastoraux sur la dépénalisation de la pratique dominicale n’y sont sans doute pas étrangers. À force de dire au peuple de Dieu qu’il n’est pas obligatoire d’aller à la messe tous les dimanches, l’auditoire finit par obéir. À propos du sacrement de pénitence en désuétude, Cuchet insiste aussi sur la disparition dans les diocèses, où la pratique s’est effondrée avant les autres, de la prédication sur les fins dernières c’est-à-dire sur le péché mortel, sur l’enfer, le purgatoire et le paradis.
« " Alors qu’ils manifestent beaucoup de sévérité pour l’admission à d’autres sacrements, semblant toujours redouter que la démarche des fidèles ne soit pas assez sincère, des prêtres les encouragent à communier sans problème ". De fait l’idée, s’est imposée qu’il était légitime de communier sans s’être confessé au préalable, et elle reste largement répandue, même si une réaction en sens inverse se dessine dans la jeune génération sacerdotale depuis le milieu des années 2000. » [3]
Il faut bien sûr citer le départ considérable de prêtres et de religieuses après le Concile, la diminution des ordinations et des vocations religieuses ainsi que la diminution de la pratique des indulgences et des exorcismes. Guillaume Cuchet montre bien, de manière précise et fine, que des orientations pastorales et doctrinales peuvent avoir des effets massifs sur la pratique religieuse. La lecture de son livre est donc vivement recommandée au Saint-Siège et à tous les évêques et prêtres de France afin de reprendre le flambeau de la mission apostolique au sein même de notre pays. L’ouverture au monde, prônée par le Concile, a indéniablement signifié une conversion des catholiques au monde. Or, ces derniers sont bien dans le monde mais doivent se garder d’être du monde (Jean 17 11-18).
[1] CUCHET Guillaume, Comment notre monde a cessé d’être chrétien -
Anatomie d’un effondrement, Seuil, Paris, 2018.
[2] La novlangue est aussi malheureusement présente au sein de l’Église.
[3] p. 243 de l’édition poche.
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