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En finir avec le romantisme : pour une culture classique enracinée

Il y a deux façons d’être. Les pierres ne se meuvent ni ne s’adaptent, subsistent ou s’érodent. Les orchidées mutent, étouffent les pierres avec leurs sœurs de mauvaise vie, la mousse et les lichens. Elles sont belles comme le diable, comme les fleurs des champs bavarois, louées par les décadents dans leurs poèmes, car, comme eux, elles meurent tourmentées, sous les petites foulées des marcheurs. Le nombre ne les sert pas. Elles s’accumulent, pareilles aux pages éparses meublant les étagères d’un bouquiniste en récession, que personne ne lit. Qui se languit sur leur multitude est un sot et en oublie de beaux volumes.

Contempler la beauté du doigt plutôt que ce qu’il désigne, voilà le travail de subversion romantique : estimer de similaire beauté le sacrifice du grenadier de Stalingrad et celui du kamikaze dans son Okha, le courage de la Division sauvage du Baron noir et l’entrée héroïque des bolcheviques en Sibérie au printemps 1920. Romantiques et décadentistes dissocient la recherche de la beauté du combat pour la vérité, lui préférant un personnalisme normé par le siècle. La pensée française est autre : la beauté est conditionnée, ne naît pas des sens humains mais du seul et unique sens de l’État légitime. Quand de la terre naît la roche claire sculptée par les éléments, elle disparaît rongée par la poésie servile et sensuelle, romantique, royaume des vertiges et séditions. Au concert de cette mauvaise herbe lascive s’adjoint une pensée cloisonnée, claustrophobe, angoissante, si propre aux germains, illustrée de navires et soleils au ponant, de roseaux contre-jour, de tons ocres, verdâtres, garnissant les intérieurs de nos grands-parents. De ce qui est un jour venu des plaines de Bavière ou des bouges de Prusse, n’a élevé l’Europe qu’un sens du tragique se confondant malheureusement avec le nihilisme. Europe fatalement prise en étau par les exaltés du sentiment et les saxons, pères de la pensée individualiste. La civilisation du stuc contre celle de la pierre, de l’étincelle contre le feu ardent, du Moi et du Nous. La langue de Goethe n’est définitivement pas celle de Molière.

Achille tue Hector. Rubens
« Un seul défendait ma ville et mes peuples, Hector, que tu viens de tuer tandis qu’il combattait pour sa patrie. » Priam supplie Achille de lui rendre le corps de son fils (chant XXIV)

Le romantisme est une jolie parade, une dernière flèche, une pointe de baïonnette qu’un enfant ramasse au milieu des ruines. Ô images et symphonies, mélancolies et fougues, nos jeunes années guérissent chaque jour, mais souvent nous nous raccrochons aux gestes sans les comprendre parce qu’ils inspirent un instant fugace de nos vies, tout entier poésie, et rien que cela. Or ce pays, ne sont-ce qu’ultimes charges héroïques et werthérismes ? Les romantiques ambitionnent, selon le mot de Leymarie [1], un effet métaphysique avec des formes qui s’y opposent, et Lasserre [2] de le précéder, découvrant dans la pensée classique le moyen d’instaurer un ordre favorable « à la plus grande santé morale de la collectivité » contre « l’idéalisation de la morale des esclaves. » Exit sensualisme et appassionata, l’heure est à la force, aux cœurs grisés mais tempérés, vertu cardinale. Le sang froid irrigue la pleine conscience du devoir. Quand il est chaud, il dégénère en égoïsmes et débâcles.

De là, la parenté entre romantisme et révolution est tangible, palpable. L’érotisme de leur mariage consenti dans les chaleurs malsaines achève la tradition helléno-chrétienne, fondement de la civilisation européenne. Les Lumières se sont approprié la raison pour la dévoyer, notamment par la voix de Jean-Jacques Rousseau dont le dégoût de la société et du communautarisme véritable est justifié par un sophisme prostitué de réconciliation entre affect et intellect. Le prétendu classicisme des Lumières est un apparat de mauvaise qualité, dissimulant le particularisme, cher aux saxons et aux germains mais pas aux français. Nous nous battons pour gagner, non uniquement pour la gloire autolâtre du geste.

La pensée maurrassienne est ici totalement méconnue, probablement parce qu’impérieusement nécessaire. L’exégèse passionnante de Maurice Weyembergh [3] retrace l’itinéraire certain d’un homme dévolu à la lutte anti-romantique. Lutte âpre et liminaire. A l’hébraïsme : « Tout amour est Dieu » dont Musset est le parangon malheureux, l’Église répond : « Tout amour n’est pas Dieu, mais tout amour est de Dieu », formule à la suite de laquelle Maurras demande à ce que soient remis au cœur de l’éducation la culture classique, l’enseignement des langues grecques et latines, la sémantique, Thucydide et Démosthène, les humanités, les épopées homériques et virgiliennes, ensemble dans lequel forme et fond ne constituent qu’un seul bloc d’excellence civilisationnelle transmise à nos pères, aristotéliciens, bâtisseurs de la société préexistante à l’individu.

« Vous n’êtes pas des dieux ». Le moi-Roi au cœur des traditions philosophiques protestantes saxonnes et germaniques se heurte et se brise sur les remparts de l’Europe catholique méditerranéenne, cité de l’espérance, baptisée pour l’une de ses glorieuses nations, la Très-Catholique, l’autre, la Fille aînée, sous le regard du Saint-Siège que la troisième accueille. Voilà l’Europe classique, fondement de la civilisation médiévale, liant de la tradition française de Clovis à Charles X, que les assauts d’abord des intrigants de la Renaissance, puis des révolutionnaires, enfin du stupide XIXe siècle pour reprendre la formule de Daudet, ont mise à bas. Charge à nous de reprendre la mer, de résister à nos sirènes, et de rebâtir un temple à toutes les gloires de la France.


[1L’Action française. Culture, société, politique III.

[2L’Action française. Culture, société, politique III.

[3Charles Maurras et la Révolution française

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