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Du nihilisme à la réaction : l’écueil d’une génération

Résurgence du « sentiment religieux » ; « extrémisme » à tout crin ; « radicalisme » et camps de « dé-radicalisation ». L’effervescence du XXIe siècle effraie les proxénètes des valeurs de la République. L’exploitation est grossière, la compréhension du monde abjecte de méconnaissance. La sécularité que la IIIème République a portée à bout de bras s’essouffle : et face à elle, s’éveillent les peuples étouffés par la subjectivité d’un modèle imposé sur les vestiges du vide absolu, patenté par deux siècle de nihilisme porté par les génies que ses interprètes n’entendent plus.

C’est désormais penauds, que les vieux bonshommes d’un mai 68 agonisant viennent aborder les jeunes filles dans les parcs. « A vingt et quelques années, pourquoi lisez-vous ces prêches absconses ? » Et de ces décrépis d’évoquer leur jeunesse « révolutionnaire » où, éructant de l’insoluble jouissance de s’élever contre l’Ordre, ces vieillards avant l’heure lançaient trois pavés pour se sentir vivants. Face à la génération qui se dresse, il faut mettre un nom. Celui de réactionnaire leur va si bien… « Le nécessaire sursaut réactif est, en effet, tout sauf rétrograde », écrit Ivan Rioufol dans De l’urgence d’être réactionnaire (2012). Des pontes soixante-huitards aux fanatiques du sursaut, on se trompe. Car dans les deux cas, les deux sont destructeurs. L’un s’élève contre les constructions paternelles qu’ils renient à loisir, car ils n’y ont trouvé une absence de limites propices à la jouissance immédiate de laquelle ils reviendront, la queue entre les jambes, lorsque la mort, dans la solitude de leurs draps vieillis, viendra les surprendre. L’autre s’échine en réaction contre cet axiome, sans jamais oser proposer une alternative constructive et salvatrice. Écueil d’une génération : là où les uns érigent la liberté en absolu, les autres la vouent aux gémonies en ne la soustrayant à la Vérité, sa sacrale paternité. Les premiers ont avalé, d’un trait, la leçon de Tchernychevsky : « Observez, réfléchissez, lisez ceux qui décrivent la pure jouissance de la vie, qui vous disent que l’homme est capable d’être bon et heureux. [...] Désirez être heureux [...] O, que de jouissances pour l’homme évolué ! » [1]. Message audible, message mortifère. Les autres, en dissimulant à dessein cette Vérité par laquelle l’homme devient libre, ne ce sont bornés qu’aux mêmes idéaux : la jouissance, par l’exploitation de leurs intérêts propres, pudiquement cachés sous le voile d’un Absolu dont ils renient le nom en société. Message audible, message mortifère. Et tous, de concert, de se précipiter avec la même avidité dans le phénoménal écueil : être de ce monde, au lieu d’être dans ce monde.

Rationalisme chevillé au corps, litanie remâchée à base des mêmes présupposés sans saveur. C’est au rire léger, face à l’avanie séculaire, que doit céder cette obsession du rationnel. Car la rationalité n’est pas le réel : elle n’en est qu’un corollaire immédiat, qu’un détail terrestre dont on peut légitimement faire fi. Par son Oeuvre, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski gifle les prélats du vide comme les potentats d’un ordre incompris. Poussé par la curiosité, premier écrin de l’intelligence, il fréquente les cercles anarchistes de Tchernychevsky ; et de ses conversations avec les apologètes de la déconstruction, jaillit la conviction que celle-ci ne peut constituer qu’une vaine réponse. Alors Dostoïevski, réactionnaire ? On l’a dit, on a même osé le penser. De ces hérétiques ne reste rien qu’un infime murmure, qui se tait face au monument du Vrai. Devant le Christ mort d’Holbein, à Dresde, l’écrivain russe touché par la Grâce, a entrevu la réponse. Si pour les uns, l’aboutissement de l’être se trouve dans l’immédiateté, si pour les autres, il se fige dans l’antériorité passée, lui perçoit l’aboutissement par le sacré. C’est Aliocha Karamazov, c’est le Prince Mychkine (L’Idiot), qui, à l’image du Christ, se soustraient à la vanité du monde. Moqués, trompés, humiliés, offensés. Il n’est de châtiment plus doux à ces serviteurs du Fils que la Révélation portera bientôt comme le brillant étendard des humbles. Sainteté du message, simplicité de sa voie mystérieuse.

La difficulté réside dans l’immanence : comment être dans ce monde, sans être de ce monde ? Car « on se dépêche, on se démène à grand bruit, on se bouscule, on force l’allure, soi-disant pour le bonheur de l’humanité ! » (L’Idiot). Chercher une réponse ontologique dans les principes du siècle - le bonheur, la liberté, voilà l’écueil. On ne sert jamais mieux son temps qu’en ayant conscience de n’en servir qu’une acception temporelle. Trépidation au détriment de la quiétude : bouleversant exercice d’un temps asservi à l’oubli de la Finitude. Quelles que soient les perspectives humaines qui s’offrent aux générations à naître, ce n’est que conscients de leur inféodation à la Vérité Christique, sous la vigilante férule de l’Amour divin, qu’ils pourront toucher du doigt ce qu’ils espèrent tant…

Aloysia Biessy


[1Tchernychevsky, Que faire ?, p. 257

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