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J’émigre au Japon. Pour la première fois, j’ai pris un aller simple. Quelle sensation étrange de se savoir émigré et non pas en voyage ou en séjour, mots qui supposent un terme ou une durée bien définis. Je ne sais point encore quand je reviendrai...
Émigrer revient-il à fuir ? Voyager peut être une fuite, mais non l’émigration. Celle-ci suppose une certaine conscience et une certaine volonté tournées sans cesse vers son pays d’origine. On peut voyager en oubliant complètement sa patrie, on ne peut émigrer sans l’avoir toujours avec soi en son cœur. On peut voyager pour oublier, telle une fuite en avant. On ne peut émigrer sans ressentir la douloureuse déchirure d’avec sa terre natale. On peut voyager sans raisons, sur un coup de tête. On ne peut émigrer sans une cause profonde, et toujours terrible, qui oblige à partir.
L’émigration des pays pauvres vers les pays riches est souvent motivée par une nécessité matérielle. Quel peut donc bien être le motif d’une émigration de la France vers le Japon ? Une ardente nécessité morale et spirituelle, nourriture dont nous manquons cruellement là-bas, chez nous.
Il est infiniment douloureux de réaliser que l’on est bien plus chez soi à l’étranger en tant qu’étranger que dans sa patrie en tant que Français. Être étranger dans son propre pays, n’est-ce pas le comble ? On a beau avoir plus de huit siècles d’histoire dûment avérée sur la terre de nos ancêtres, cela n’y change rien. Pire : il semble même que cette ascendance est une raison de plus pour être rejeté. La France chasse ses enfants qui sont français ; et je ne parle pas d’état civil. « Impossible ! », dira-t-on, « la France ne peut rejeter ses enfants ». Soit, disons alors : « la République », le monstre qui naguère tua le père, laissant la France orpheline.
Émigrer pour grandir, mûrir et se cultiver, afin de pouvoir encore mieux servir ses prochains. Il peut sembler contradictoire de servir ses prochains, c’est-à-dire les gens proches — famille, amis, voisinage, ville, pays, région, nation — en partant à l’autre bout du monde ; mais, parfois, la situation concrète chez soi l’empêche. En France, on ne sait plus ce que l’on est, ce qui est bien, ce qui est mal. Au Japon du moins tout est clair, je suis un étranger venu étudier ; les codes sociaux sont partagés ; la conscience des Japonais de leur identité est limpide ; l’histoire n’est pas niée. Du travail, de l’effort et de la bienveillance sont les seules choses nécessaires — bien loin de nos loisirs qui annihilent les esprits, de notre laxisme et de notre méfiance.
Cela est triste à dire, mais il est plus facile d’être français à l’étranger que dans son propre pays, comme si l’hexagone exhalait un air dissolvant de tout ce qui fait la France ; et cela est si vrai qu’aujourd’hui il devient nécessaire de se demander ce qu’est la France, puisque le mode de vie ne suffit plus à rendre compte de cet état qui devrait être, de fait, naturel. Et puis, le grand remplacement [1] est en marche.
Quel beau pays que ce Japon vieux de presque deux mille ans et qui, envers et contre tous et tout, montre à la face du monde l’exemple unique d’une continuité impériale ininterrompue. À la différence de la France, les Japonais viennent de rafler la mise de l’organisation des Jeux olympiques en 2020. La nouvelle fait la une des journaux de l’archipel depuis plusieurs jours sans discontinuer. De nombreux commentateurs japonais expliquent que la victoire du Japon — qui n’était pas du tout « favori » — est en dernière instance due aux discours finaux de la délégation japonaise. Deux caractéristiques principales sont à relever : deux des trois discours ont utilisé avant tout la langue française, chère langue de Pierre de Coubertin ; la princesse impériale, dans un français puis un anglais impeccables, a paru pour la première fois en public depuis des lustres. Et le grand perdant du vote a été l’Espagne, autre monarchie — dont le principe est assez dévoyé si tant est que le monarque y soit légitime — qui a aussi envoyé un prince pour défendre, sans succès, sa cause...
Cela n’est peut-être que dû à mon imagination, mais nous avons nous aussi perdu face à une monarchie : le Royaume-Uni. Ah ! chère « République »... iras-tu jusqu’à la destruction de tout ce qui reste de la France ?
L’émigration est ainsi, pour moi, le moyen de devenir ou de redevenir français, et par là plus humain, grâce aux enseignements magnifiques de l’empire du Japon, si conformes à la doctrine sociale de l’Église catholique, et peut-être le dernier pays résistant à cet envahisseur invisible et insaisissable qui ne se laisse pas reconnaître — cet envahisseur est certainement présent en chacun de nous, est-ce ce qu’on appelle « le mal » ?
[1] Nous ne pouvons que songer au livre de Renaud Camus, Le Grand Remplacement, Paris, David Reinharc, 2011
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