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A la recherche du candidat idéal

Quittons un peu les rivages français et notre agitation électoraliste pour nous intéresser à la compétition au Royaume-Uni pour le poste de primat de la Communion anglicane.

Pourquoi nous pencher sur les affaires internes d’une Eglise protestante, me diriez-vous ? Peut-être d’abord parce que les catholiques romains ne connaissent pas très bien leurs frères anglicans et leurs communautés à la liturgie changeante et à la théologie subtile. Ensuite, parce que le Royaume-Uni, patrie de l’anglicanisme, est en train de vivre une bataille spirituelle digne de celles imaginées par Tolkien et C.S. Lewis, entre les forces vives du christianisme et les vecteurs du sécularisme agressif et du relativisme général.

Dans cette bataille, les catholiques ont aussi leur rôle à jouer, comme l’expliquait Benoît XVI le 23 septembre 2011 aux représentants luthériens à Erfurt, en valorisant avec les chrétiens de la Réforme « notre fondement commun et impérissable dans la prière et le chant communs, dans l’engagement commun pour l’ethos chrétien face au monde, dans le témoignage commun du Dieu de Jésus Christ en ce monde. » [1] A condition bien sûr que leurs représentants désirent servir le Christ, et non le monde, comme c’est la tentation du protestantisme libéral qui touche aujourd’hui la Communion anglicane.

Héritée de l’Empire britannique, celle-ci représente 77 millions de fidèles de 164 pays, répartis en Eglises locales unies au siège épiscopal de Canterbury, lequel est pourvu par le Premier ministre, sur proposition d’une commission mi-cléricale mi-laïque. Cette désignation est aujourd’hui rejetée par les anglicans d’Afrique et d’Australie, qui y voient une survivance du passé, et surtout la cause de l’actuel libéralisme qui ronge l’anglicanisme, comme péché introduit par le politique.

Bien que n’ayant rien confirmé pour le moment (la nomination aura lieu en décembre 2012), l’archevêque de York, John Sentamu, est considéré comme le mieux placé pour succéder à Rowan Williams.

John Sentamu est issu de la mouvance évangélique de l’anglicanisme (son frère cadet, Robert Kayanga, est quant à lui carrément pentecôtiste), ce qui explique ses habits ecclésiastiques iconoclastes ou très peu formels, et ses célébrations publiques de baptêmes par immersion à York, le jour de Pâques. Numéro deux de l’Eglise d’Angleterre aux côtés de Rowan Williams, il tenta d’amender la décision du Synode d’ordonner les femmes évêques, en juillet 2010 - en vain. C’est une étrangeté des Eglises luthériennes et anglicanes que d’étendre la collégialité jusqu’aux délégués laïcs ayant la possibilité de voter contre leurs évêques, conduisant leurs communautés à des schismes internes.

Né en Ouganda, demandeur d’asile au Royaume-Uni pour fuir le régime d’Idi Amin Dada, Sentamu est un patriote décomplexé, célébrant la nation britannique et soutenant Help for Heroes, une association de soutien aux militaires blessés. « Nous ne devons pas craindre de dire combien notre pays est grand. Nous devons en être fier », écrivait-il lors de la fête de saint Georges, patron de l’Angleterre, dans le tabloid The Sun.

Lorsqu’il fut nommé archevêque en 2005, les médias riaient : un immigré africain devenait personnage public du Royaume multiculturaliste ! Aujourd’hui, découvrant les positions anti-fécondation in vitro et anti-mariage homosexuel du prélat, ils pleurent. La frange libérale de l’Eglise aussi. Récemment, deux membres de la commission chargée de proposer le nom du futur primat, des évêques ayant demandé l’anonymat au Sunday Telegraph, ont émis les pires craintes sur la mentalité « tribale » et le « tempérament de chef africain » de John Sentamu. Décrivant leur frère dans l’épiscopat comme un individu impulsif, il semble toutefois que ce qui les gêne le plus soit son opposition au mariage homosexuel [2]. Sentamu a par ailleurs reçu de nombreux courriers racistes pour avoir rappelé publiquement que le mariage chrétien était l’union d’un homme et d’une femme.

Cette situation rappelle celle d’un autre candidat au poste d’archevêque de Canterbury en 2002, Michael Nazir-Ali, évêque de Rochester d’origine pakistanaise, qui fut qualifié de « bougnoule papiste » ("Paki Papist"), pour ses convictions catholicisantes, et son opposition au militantisme homosexuel dans l’Eglise. Il fut finalement poussé à la démission en 2009, après des sorties politiquement incorrectes sur l’islam [3].

Toutefois, cette fronde venant du clergé libéral pro-gay, qui dévoile l’intolérance profonde de son idéologie, se heurte à deux obstacles : la peur des délégués de l’Eglise d’être taxés de racisme s’ils ne l’élisaient pas, et la popularité de l’archevêque de York parmi les anglicans conséquents.

« John Sentamu est le meilleur que nous pouvons avoir comme archevêque de Canterbury, m’affirme sans hésiter un ami pasteur nord-irlandais. Il est centré sur le Christ et ose dire les choses qui fâchent ! Nous avons besoin de lui pour faire face lors de la succession de la reine Elisabeth. » Le souverain britannique a en effet le rang de chef symbolique de l’Eglise d’Angleterre, sans toutefois la moindre autorité spirituelle. « Elisabeth est une vraie chrétienne, et elle a plus en commun avec le pape qu’avec un Rowan Williams, qui est pour le sacerdoce des femmes... Mais son fils Charles est agnostique, et il ne s’est pas repenti de vivre dans l’adultère avec son ancienne maîtresse Camilla. S’il devient le chef de l’Eglise, nous vivrons un nouveau schisme. »

Une autre amie anglicane souhaite également la nomination de John Sentamu, tout en louant un autre candidat pressenti, le Right Reverend Richard Chartres, évêque de Londres. Celui-ci est de tendance anglo-catholique (il célèbre à l’occasion la messe pontificale tridentine), bien qu’opposé à l’ordinariat Notre-Dame de Walsingham [4], et a toujours refusé d’ordonner les femmes, comme le notait l’article scandaleusement complaisant de La Croix sur le sacerdoce féminin chez les anglicans, en mars dernier. Chartres a également renoué avec la coutume médiévale des Mystères théâtraux, en organisant depuis 2010 à Trafalgar Square une immense pièce sur la Passion de Notre-Seigneur, comme magnifique opportunité d’évangélisation [5].

En face, les libéraux modernistes ont leur candidat en la personne de l’évêque de Norwich Graham James, qui a cosigné une lettre ouverte en faveur du mariage homosexuel.

Autre successeur pressenti, Nicolas Thomas Wright, ancien évêque de Durham et professeur de théologie à Saint Andrews, proche du primat démissionnaire Rowan Williams et identifié comme modéré.

Véritable décisionnaire, le gouvernement britannique, malgré le soutien de son aile droite parlementaire à John Sentamu, souhaite mener à bien la légalisation du mariage gay et préserver la Couronne d’une condamnation venant de l’Eglise d’Etat. Pour David Cameron, le candidat idéal serait donc un évêque « neutre » sur les questions de société et malléable, qui ne ferait aucune vague. Le jeune évêque de Conventry, Christopher Cocksworth, ou celui de Durham, Justin Welby, ancien recteur de la cathédrale de Liverpool et chouchou des militants associatifs chrétiens de gauche, pourraient être de bons compromis pour Downing street.


[4Crée en janvier 2011 par le Saint-Siège, cette structure permet d’accueillir des groupes d’anglicans en Angleterre et Pays de Galles voulant rejoindre l’Eglise catholique, et dont l’ordinaire est Mgr Keith Newton, ex-évêque de Richborough. Malgré son affiliation à la High Church catholicisante, Richard Chartres refusa de rejoindre le mouvement et s’opposa à ce que les anglicans de l’ordinariat puissent conserver leurs lieux de culte londoniens appartenant à l’Eglise d’Angleterre.

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