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Catherine Rouvier : Mai 2013 va t il être un Mai 68 à l’envers ?

Catherine Rouvier est docteur d’Etat en Droit public et en Sciences politiques de l’Université Paris II (Panthéon-Assas), ancienne élève de Sciences Po Paris et professeur à l’université de Paris XI (Orsay). Sa thèse d’histoire des idées politiques sur Gustave Le Bon, parue initialement en 1986 aux PUF avec une préface d’Edgar Faure et qui a reçu le prix Fabien de morale et de sociologie de l’Académie française, a permis de redécouvrir cet auteur qui fut le père de la psychologie collective et dont l’ouvrage Psychologie des foules, paru en 1895, connut un grand succès. Son ouvrage a été augmenté, enrichi et réédité en 2012 (avec une préface de Paul-Marie Coûteaux).

Carol Ardent : La protestation ne faiblit pas malgré le vote du projet de loi sur les mariages entre personnes de même sexe. Mai 2013 va t il être un « Mai 68 à l’envers » ?

Catherine Rouvier : Le mouvement de protestation qui s’est élevé il y a déjà six mois, au moment des premières manifestations des 17 et 18 novembre 2012 non seulement ne s’est pas arrêté, mais est allé en s’amplifiant.
Tout laisse donc à penser que Mai 2013 pourrait bien être un Mai 68 à l’envers, c’est-à-dire en rébellion contre des dirigeants actuels qui sont justement dépositaires de l’idéologie libertaire de Mai 68.

Carol Ardent : Quel regard portez vous sur ce qui s’est passé depuis votre inquisitoriale de février sur le R&N qui exhortait à une action politique. Avez-vous été pleinement entendue ?

Catherine Rouvier : J’ai été partiellement entendue par la Manif pour tous, puisque les couleurs et les slogans ont changé entre le 13 janvier et le 24 mars : couleurs plus toniques, slogans plus politiques. La foule, par ailleurs, y a été plus ramassée, moins écartée des trottoirs, moins lente, moins séparée par de grands no man’s land ou les pieds - mais aussi les motivations ! - se refroidissaient.

Cependant la création d’un vrai mouvement de foule n’a été possible que parce qu’un chef mystérieux et inconnu a donné, l’avant-veille, vendredi 22 mars, des mots d’ordre courant les réseaux sociaux et les téléphones portables permettant de corriger le handicap des trois points de départ a nouveau imposés et acceptés par Frigide Barjot en se retrouvant directement soit au Palais des Congrès, soit sur la Grande Armée, soit avenue Foch.

De ce fait, s’est produit cette transformation des manifestants en « un seul être » animé d’un même mouvement. C’est ce qui a permis de déborder les limites fixées.

Il y avait aussi un mot d’ordre implicite, mais admis de tous car tenu pour légitime, compte tenu justement du caractère pacifique de la manifestation : défiler sur les Champs.

Mais ce déferlement de la foule sur les Champs, qui seul aurait pu nous faire obtenir le retrait du texte, car alors il y aurait eu révolte perçue comme telle par le pouvoir, ne s’est pas produit.

Car forcer les barrages de police, les manifestants ont réussi a le faire un bref moment mais ensuite , le passage refermé, les jeunes filles du service d’ordre de la « Manif Pour Tous », très obéissantes, ont empêché les manifestants (leurs parents , souvent !) de passer, ce qui a donné le temps aux policiers de resserrer les rangs et de sortir gaz lacrymogènes et matraques.

La conviction du bien-fondé de la démarche et le désir d’aller sur les Champs étaient si grands cependant que beaucoup ont fait un long contournement pour rejoindre le bas de l’avenue et l’occuper.

Il est ressorti de cette relative facilité a atteindre le bas de l’avenue que c’était surtout le symbole de l’Arc de Triomphe que le pouvoir avait voulu interdire. ET c’est cela justement qui aurait tout pu faire basculer…

Carol Ardent : C’est dommage, il est vrai, mais nous n’en sommes pas pas resté là...

Catherine Rouvier : Non , et c’est cela qui est remarquable !
La déception relative n’a pas stérilisé les forces qui s’étaient révélées ce jour-là.

Empêchées d’être la grande armée régulière, elles sont devenues guérillas multiformes pratiquant le harcèlement, la mobilisation instantanée, le redéploiement rapide, le mouvement, l’anonymat.
Chose incroyable en cette période de début des examens, des étudiants chaque jour plus nombreux sont venus chaque soir à 19h à Sèvres-Babylone, puis ont campé sur les Invalides.

J’avais écrit dans le texte dont vous parlez : « après ce mouvement de foule , s’il est réussi - ce qui fut partiellement le cas - il y aura plusieurs manières d’agir contre l’institution, laissons cela à l’imagination des gens. »

Hé bien nous n’avons pas été déçus ! Hommen, Printemps français, Camping pour tous, Veilleurs…

Toutes ces créations spontanées, nées dans la manifestation du 24 mars, ou se déclenchant à sa suite, font que la Manif pour tous est devenue la « manif partout et tous les jours » !

Carol Ardent : Comment jugez-vous ces mouvements ?

Catherine Rouvier : Ce qui est frappant, c’est leur diversité.

Ideologique, d’abord. On a pu observer un curieux mélange de symboles ou de lectures révolutionnaires (bonnets phrygiens, Gramsci, etc.) et de chants de tradition populaires ou religieux.

Psychologique ensuite, il y en a pour tous les tempéraments : les HomMen pour les plus « péchus », les Veilleurs pour les plus calmes, et toute une série d’actes intermédiaires, ciblés, dont certaines ont un effet cathartique, et sont les symboles forts d’une mobilisation réelle, nouvelle , imaginative. Par exemple, la simulation hier devant le Palais de Justice de Paris d’une bastonnade par la police d’une Marianne délivrée par les HomMen.

Geographique aussi : il faut noter le caractère à la fois parisien et provincial du mouvement. Bordeaux, Marseille, Lyon, Avignon, et même Selestat… Partout surgissent HomMen, Veilleurs, Campeurs et Chanteurs !

Carol Ardent : Cependant les chefs ne sont pas tellement mixtes, ce sont plutôt des femmes, n’est-ce pas ?

Catherine Rouvier : L’action des femmes, c’est vrai, y est visible et déterminante.

Après Frigide Barjot est apparue Béatrice Bourges, plus radicale en son « Printemps français » que la « Manif pour tous ».
Plus radicale dans la forme (couleurs plus vives, poing levé du Printemps français : on est passé de 1789 à 1936). Plus radicale sur le fond aussi : pas de ralliement à une quelconque union civile ou à une « homo éducation » comme le prône Frigide Barjot qui, le 2 mai, a fait une conférence de presse pour lancer un « Manifeste pour le Mariage et la Filiation Humaine » prônant l’union civile des homosexuels pour « sauver la paix civile ».

Christine Boutin, il est vrai, s’est montrée plus résolument hostile au projet que son grand allié l’UMP. Présente à la manifestation du 24, elle a participé a l’assaut pour rejoindre les Champs, est tombée à la suite d’un malaise après avoir tenté de forcer le barrage de police et a fait savoir haut et fort son indignation devant les violences policières.

Mais c’est Marion Maréchal-le Pen, intervenue vigoureusement à l’Assemblée pour, non seulement attaquer la loi Taubira, mais défendre les 67 jeunes gens interpellés [1] et gardés 48h en garde à vue, les qualifiant de « prisonniers politiques », qui a sans doute le mieux incarné, par son âge, proche des manifestants, et par son désir affiché, sans complexe, d’une union des droites

Carol Ardent : Quatre femmes au créneau, donc ! Serait-ce parce qu’il s’agit avant tout de défendre des enfants ?

Catherine Rouvier : Oui, bien sûr. C’est le sort de ces enfants sans père ou sans mère, selon les cas, ou ignorant leurs origines, qui souffriront parfois terriblement, qui les préoccupent, qui nous préoccupent, nous les femmes, au premier chef.

Mais, en réalité, les hommes sont bien là.
Certains, comme les HomMen, cachés derrière des masques, mais bien clairs dans leur combat.
D’autres, hommes politiques et donc visibles, comme Hervé Mariton, Marc Le Fur ou Laurent Wauquier. Mais ils sont trop souvent incertains dans leur position.
Ainsi, Jean-François Copé, Jean-Pierre Raffarin, ou Henri Guaino qui soit « ne seraient que contre la PMA , GPA, etc. », soit ne votent pas ou se trompent de bouton ! Notons que Gilbert Collard lui n’a eu aucun état d’âme et a dit qu’il allait à la manif et marcherait gaillardement pour écraser monsieur Peillon du pied gauche, car « çà porte bonheur » !
Mais il y a aussi tous ces pères de famille qui n’apparaissent pas, car ils travaillent, et ne peuvent pas toujours afficher leurs convictions, mais soutiennent, appuient, organisent, anonymes mais efficaces.

Carol Ardent : La Droite et la Gauche existent-elles toujours ou la société civile les a-t-elle supplantées ?

Catherine Rouvier : Elles existent toujours, car le jeu démocratique qui repose sur la loi de majorité implique la division de l’opinion, et elles réapparaîtront aux prochaines élections, mais elles sont dans une situation inédite.

Les médias le ressentent, en posant la question a leur manière ces derniers temps : est-on en 1789 (perspectives révolutionnaires) ? En 1930 (menace de coup d’Etat) ?

Ces références au passé sont révélatrices du sentiment diffus d’une guerre des nerfs où bizarrement la Gauche, détentrice actuelle du pouvoir, semble plus atteinte que la Droite qui se refait une santé à ses dépens.

En effet, dans la répression d’actions pacifiques s’inscrivant plus dans la tradition des chahuts d’étudiants qui animent le quartier latin et les villes universitaires depuis le Moyen-Âge, et dans le mépris et l’ignorance têtue de l’ampleur de la contestation, la Gauche s’est montrée différente de sa légende dorée. Démasquée, elle se révèle comme ne pouvant pas, lorsqu’on s’oppose à elle, supporter ce qu’elle organise d’habitude elle-même contre la droite : la contestation permanente, l’opposition systématique. Et comme elle ne le supporte pas, elle devient violente.

Le cas de l’institution de la Justice, qui est en première ligne de la contestation actuelle puisque le ministre de la Justice, Madame Taubira, est l’instigatrice de cette loi, est symptomatique.
Le syndicat de gauche des magistrats ,se sentant protégé, se "lâche" dans ses locaux, qui sont tout de même des lieux publics du fait du rôle d’un syndicat, et y insulte gravement, au vu de tous ceux qui y viennent, des politiques, des journalistes, mais aussi et surtout des parents de victimes qui s’ont pas le bon goût d’être contents du laxisme des juges (ou des textes).

La pratique du « doigt d’honneur », obcène mais aussi violente, par madame Trierweiler dès le jour de l’élection de son compagnon à la présidence, et par certaines des ministres face aux comités d’accueil des manifestants, est révélatrice aussi de cet affrontement entre la France bien élevée mais tenace dans son opposition et une gauche, outrée de voir cette résistance populaire au « progrès », et qui de fait perd pied.

La Droite, au contraire, revit. La Droite se bat, la Droite se retrouve, et elle s’autorise même l’annexion des symboles d’une ancienne gauche nationaliste et combattante.
Cette référence à « tout le passé » de la France, peut faire grincer des dents à certains, mais le mouvement y gagne en étendue sinon en profondeur et la joie perceptible de ce mouvement vient de cette sorte de virginité retrouvée.
Le message de ces jeunes est : « on n’est pas la vieille droite , on n’est surtout pas la gauche actuelle , mais on est l’union de toutes les révoltes contre un pouvoir abusif , intrusif ».

Carol Ardent : Que va-t-il se passer maintenant ?

Catherine Rouvier : Le mois de mai qui est traditionnellement celui des revendications, en même temps que celui des ponts et du retour du beau temps, constituera un temps fort de ce « Printemps français ».

Mais le succès politique des manifestations du 5 et du 26 mai dépendra de la capacité de tous les mouvements diffus de cette mobilisation immense à utiliser la logistique et la masse de militants de la "Manif Pour Tous" tout en la dépassant.

Or ce n’est pas gagné d’avance. Il importe donc de s’unir malgré la diversité.
Dans une bataille, il y a les avant-poste, les attaquants, et puis l’arrière, et chacun doit trouver sa place et agir à son niveau. Il ne faut pas qu’il y ait de tirage entre Veilleurs, HomMen, Campeurs, etc., et la « Manif pour Tous ».

Si les « chefs » (ou plutôt « cheffes » pour le moment) ne créent pas de divisions, vous les jeunes ne la créerez pas, comme on a pu le voir ces jours derniers.

Carol Ardent : D’ou viennent les divisions ?

Catherine Rouvier : Elles viennent de la double nature du terme « politique » et donc de l’ambiguïté de la « politisation » éventuelle.

J’avais dit dans ma précédente inquisitoriale que pour un résultat politique, il vous fallait une action politique, et je le maintiens. Il fallait, pour faire bouger les lignes, qu’une action résolue, une vraie mobilisation voie le jour - et non une simple « cathopride » festive tenant plus du spectacle que du phénomène de foule - se fasse jour, et c’est ce qui s’est produit.

Mais quand Frigide Barjot ou Beatrice Bourges emploient le terme « politisation », elles évoquent clairement le rattachement à des partis. Et de fait, c’est alors que les divergences apparaissent. Mais il ne faut pas se leurrer : les divergences, de fond et de forme sont déjà là, entre ceux qui sont prêts à se rallier a un compromis et cherchent une porte de sortie qui pourrait être l’union civile et l’éducation à l’homoparentalité (Barjot) et ceux qui ont d’ores et déjà annoncé qu’elles refuseront de transiger sur ces deux points (Boutin, Bourges, Marion Maréchal-Le Pen).

Le positionnement politique restera latent cependant jusqu’à l’automne. C’est la que se lancera vraiment la campagne pour les municipales, et c’est là que les rivalités possibles peuvent détruire l’unité.

C’est à ce moment-là qu’il faudra être vigilants pour tenter d’éviter la manœuvre classique de la Gauche, qui a si bien réussi en 1984 et les années suivantes : diaboliser une partie du mouvement - qualifié d’extrême - afin d’éviter cette belle unité qui la chasserait du pouvoir pour longtemps.

Carol Ardent : Peut on agir dès maintenant pour éviter cette division politique ? C’est plus facile hors élection qu’au moment des municipales, n’est-ce pas ?

Catherine Rouvier : Non, c’est difficile tout le temps !

Hors élection, il faut déjà que chacun accepte en son for intérieur qu’il y ait « différentes demeures dans la maison du Père », ce que votre génération semble faire plus facilement que la nôtre parce qu’elle n’a pas connu les combats passés qui nous ont séparés.
Il faut donc que face à votre unité, réelle, les leaders résistent à la tentation de s’anathèmiser.

Aux élections, il vous faudra supporter, au premier tour, d’avoir des « compagnons de combat » à toutes les fenêtres : RPF, DLR, MPF, SIEL, FN, RBM, PCD, UMP, etc., voire dans un parti d’une gauche non libertaire qui pourrait bien renaître de ses cendres.

Cette diversité de l’offre partisane n’est pas un atout pour la cause, car elle rend plus difficile d’atteindre la majorité et de gagner. Mais elle sera surement ressentie comme un « plus » pour des jeunes qui rêvent d’aller pour la première fois sur le terrain électoral et sont habitués a la multiplicité des programmes et au « zapping ». Encore faudrait-il les former un peu à cette forme de combat très différente de l’action directe et les rendre sensibles au danger de l’émiettement.

En effet, au deuxième tour, il faudra arriver à passer des accords de désistement réciproque si on veut que le but qu’évoquent déjà certains manifestants soit atteint : que ne soient pas élus ou réélus des gens de gauche - mais aussi de droite - qui ont voté ce projet de loi, et ceux qui seront déposés dans les mois à venir contre la famille, la dignité humaine, ou la civilisation chrétienne de notre pays.

A moins même qu’une union de la Gauche découlant des primaires qu’elle veut organiser en septembre n’oblige à s’entendre avant le premier tour !

Il faudra alors que ne se rejoue pas entre Barjot et Bourges, entre Boutin et Marechal le Pen, entre l’UMP et le FN, et entre les diverses « petites » formations l’éternelle scène du mépris qui a coûté à la Droite la perte de toutes les élections depuis 1998 : « Je me rapproche de toi mais pour te prendre tes voix, pas pour te parler ». Il faudra de vrais accords, clairs, ouverts.

C’est ce qu’il vous faut préparer dès maintenant, en fraternisant dans ce combat commun.
Cela seul construira un avenir politique au service de cette cause qui en constitue le socle.


[1Ndlr : sans préjuger de leur âge, deux de ces jeunes gens l’étaient moins : il y avait même une mère de famille.

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