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La confusion intellectuelle régnant aujourd’hui partout, il semble urgent de redéfinir une notion qui, pourtant au cœur de la foi catholique, est souvent mal compris dans l’Église : la Tradition. Cette Tradition est le criterium par excellence de l’orthodoxie ; par elle, nous grandissons en connaissance et pouvons appréhender, à la lumière de son autorité, la Vérité [1].
Il faut d’abord distinguer la Tradition des petites traditions, que sont les coutumes, les légendes ou les habitudes transmises de génération en génération [2]. Étymologiquement, le mot tradition, formé du latin trans et dare, signifie en effet transmettre : ce qui est légué par transmission. Réduit à sa seule signification radicale, la tradition sous-entend l’idée d’une passation, d’un legs, d’un héritage. Son acceptation catholique nous renseigne cependant sur la nature de ce qui est transmis : la Tradition est la partie de la Révélation divine qui n’a pas été au départ consignée par écrit et qui s’est transmise oralement, part une chaîne ininterrompue, des premiers temps jusqu’à nos jours [3]. Saint Augustin en donne une définition très claire :
Il y a beaucoup de choses auxquelles l’Église est fermement attachée et que l’on est autorisé, par conséquent, à regarder comme ordonnées par les Apôtres, bien qu’elles ne nous aient pas été transmises par écrit [4].
La Révélation a donc laissé deux traces : une trace écrite qui forme l’Écriture Sainte, ainsi qu’une trace orale qui forme la Tradition. L’Église catholique, qui en est la gardienne, les considère comme les deux sources principales de la Révélation [5], comme l’ont affirmé clairement les différents Conciles de l’histoire de l’Église, comme le montrent ces deux extraits, le premier tiré du Concile de Trente, le second du Concile Vatican II :
Le sacro-saint Synode œcuménique et général de Trente, légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, constamment conscient du fait qu’il faut supprimer l’erreur pour préserver l’Évangile dans sa pureté au sein de l’Église, Évangile qui fut antérieurement promis par les prophètes dans l’Écriture Sainte, entrevoyant clairement cette vérité et discipline qui, ayant été reçue par les apôtres de la bouche du Christ même ou communiquée à eux par la dictée du Saint-Esprit, suivant l’exemple des Pères, reçoit avec un égal sentiment de piété et d’honneur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, dont le même Dieu est l’auteur, ainsi que lesdites traditions, qu’elles concernent la foi ou les mœurs, comme ayant été dictées soit par la bouche même du Christ, soit par le Saint-Esprit, et préservées dans l’Église Catholique par une succession ininterrompue [6].
La sainte Tradition et la Sainte Écriture sont reliées et communiquent étroitement entre elles, car toutes deux jaillissant d’une source divine identique, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin… La sainte Tradition, porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux apôtres, et la transmet intégralement à leurs successeurs... La sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église [7].
Cette Révélation divine ne date pas des jours de l’Incarnation : elle s’est manifestée en plusieurs temps. Il eut d’abord une Révélation primitive [8], dite patriarcale, qui fut reçue par les Patriarches mais qui n’engendra aucune Écriture ; une seconde Révélation, dite mosaïque, de Moïse au Christ, qui donna naissance à l’Ancien Testament et fut l’apanage du peuple hébreu ; enfin, une troisième Révélation, celle du Messie, qui engendra le Nouveau Testament avec lequel la Révélation publique, c’est-à-dire celle donnée à tous les hommes, est close. La Tradition première, qui contenait oralement toute la Révélation déjà, avait cependant été l’objet de très graves altérations : il s’y était mêlé des traditions profanes, non révélées, qui ont fini par envahir et détruire toute trace de vraie Tradition, c’est-à-dire de la Révélation divine. Cette confusion babélienne a obligé l’intervention d’Abraham et la constitution d’un « peuple élu », guidé par les Patriarches, pour reconstituer et conserver la Tradition qui avait été gravement altérée. Ce fut Moïse, après l’élection d’Abraham, qui fut chargé de recueillir la Révélation nouvelle par laquelle Dieu reconstituait la Tradition primitive oubliée. Mais, cette fois, la Révélation fut consignée par écrit : c’est l’Écriture Sainte. En même temps, une hiérarchie sacerdotale fut créée, qui devait veiller, entre autres fonctions, à l’accomplissement du culte et à la conservation de l’Écriture. La troisième et ultime Révélation est dite apostolique, car il s’agit du dépôt de la Foi, clos avec la mort de saint Jean, qui a été confié une fois pour toutes aux Apôtres et que le magistère doit transmettre et protéger jusqu’à la fin du monde.
Cette transmission est donc celle de l’Écriture et de son sens authentique, l’exégèse [9] : de ce fait, au nom de Tradition est attaché celui d’orthodoxie, c’est-à-dire la conformité à la Doctrine, qui est l’expression de la Vérité éternelle. Le Nouveau Testament, à travers les Épîtres de saint Paul, fait plusieurs fois référence à la Tradition et à son caractère inaltérable : Gardez les traditions telles que je vous les ai transmises (1re Épître aux Corinthiens XI, 2). Tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, soit de vive voix, soit par nos lettres (Seconde Épître aux Thessaloniciens II, 15). L’Épître aux Galates est tout aussi explicite :
Mais quand nous-mêmes, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! Nous l’avons dit précédemment, et je le répète à cette heure, si quelqu’un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! En ce moment, est-ce la faveur des hommes, ou celle de Dieu que je recherche ? Mon dessein est-il de complaire aux hommes ? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ. Je vous le déclare, en effet, frères, l’Évangile que j’ai prêché n’est pas de l’homme ; car ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ni appris, mais par une révélation de Jésus-Christ [10].
Les écrits des Pères apostoliques ont aussi comme but de transmettre ce qui a été reçu des Apôtres et de garder l’orthodoxie de la Doctrine, face aux hérésies qui la mettent en péril. C’est l’objet de la première somme théologique connue, Adversus Haereses, écrite par le second l’évêque de Lyon (177-202), Irénée, disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple de saint Jean l’apôtre. Saint Irénée y combat l’hérésie gnostique par la Tradition reçue des apôtres :
Voilà par quelle suite et quelle succession la Tradition se trouvant dans l’Église à partir des apôtres et la prédication de la vérité sont parvenues jusqu’à nous. Et c’est là une preuve très complète qu’elle est une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l’Église, depuis les apôtres jusqu’à maintenant, s’est conservée et transmis dans la vérité [11].
La prédication de l’Église présente à tous égards une inébranlable solidité, demeure identique à elle-même et bénéficie, ainsi que nous l’avons montré, du témoignage des prophètes, des apôtres et de tous leurs disciples, témoignage qui englobe « le commencement, le milieu et la fin », bref la totalité de l’ « économie » de Dieu et de son opération infailliblement ordonnée au salut de l’homme et fondant notre foi. Dès lors, cette foi, que nous avons reçue de l’Église, nous la gardons avec soin, car de grand prix renfermé dans un vas excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase même qui la contient [12].
Clément d’Alexandrie ainsi qu’Hyppolyte de Rome, au début du IIIe s., furent également les commentateurs de la Tradition orale héritée directement des Apôtres. Hyppolite, disciple d’Irénée de Lyon, est l’auteur d’un ouvrage au titre explicite : Tradition apostolique [13]. Tous ces auteurs font d’ailleurs référence à la Didaché, document anonyme du Ier siècle, et dont le titre est aussi explicite : Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze apôtres.
L’un des grands combats de la Tradition fut celui du maintien d’un sens orthodoxe des Écritures, contre les interprétations fausses et les opinions personnelles qui pouvaient surgir à sa lecture. À l’origine de nombreuses hérésies se trouve en effet une lecture déviée de l’Écriture, souvent associée à des considérations ecclésiologiques et pastorales erronées. Dans sa sagesse, l’Église, jusqu’à la Réforme, découragea la lecture personnelle de la Bible aux laïcs, auxquels on devait « prêcher » l’Évangile, c’est-à-dire livrer le sens des Écritures. La Bible étant la Parole de Dieu, son sens était trop haut et trop sacrée pour être livré sans contrôle aux laïcs, et on préféra réserver sa connaissance exégétique à l’élite sacerdotale, laquelle était seule apte à comprendre les Arcanes de la Science Sacrée, selon une expression courante chez les papes. « L’Écriture seule, c’est-à-dire sans la Tradition, est un poison », disait Joseph de Maistre, et la Tradition permet précisément de garantir le sens de l’Écriture, sans toutefois le limiter [14].
Quand la Révélation, à travers l’Écriture, a pu être l’objet de multiples entreprises de subversion, la Tradition, qui cumule la sagesse de plusieurs millénaires d’exégèse et de théologie, a un rôle de criterium. Elle reste, inflexible, le phare de l’orthodoxie et le remède aux opinions contradictoires et aux interprétations subjectives. Pourtant, à partir du XIXe siècle, de nombreux adversaires de l’institution ecclésiale ont tenté, souvent avec succès, de saper les fondements mêmes de son autorité [15]. Il ne s’agissait pas tant de contredire les affirmations de la Tradition que d’en contester la légitimité même : la relativiser. C’est ainsi qu’à l’intérieur de l’Église s’est développé tout un courant dit « moderniste », dont l’objectif était d’amener vers une plus grande liberté d’interprétation des Écritures et, corollaire, une vision plus « flexible » de la Tradition [16] .
La première erreur du modernisme, et sans aucun doute la plus grave, consiste à dire que la Tradition peut et doit évoluer, que son fond comme sa forme doivent s’adapter, comme si aucune éternité ne régnait dans son message. Il faut d’abord distinguer la Tradition qui, comme nous l’avons dit, est le dépôt révélé et inaltérable de la Foi qui a été confié une fois pour toutes aux Apôtres, des traditions ecclésiastiques qui, quant à elles, peuvent changer. L’Église, pour mieux encadrer les fidèles notamment, a toujours su adapter sa pastorale. Mais l’expression différente de la Tradition tout au long de l’Histoire, par le Magistère et les Docteurs, n’est en aucun cas un progrès, car ce serait faire de la Tradition un donné variable, soumis comme le reste aux évolutions labiles du monde et du temps. La vérité surnaturelle ne saurait être l’objet d’un progrès, dans le sens où on l’entend depuis les Lumières et le développement des sciences modernes [17]. C’est surtout supposer que la Tradition peut être vieillie, dépassée, périmée. Mais l’actualité de la Tradition est permanente : elle n’est ni ancienne, ni nouvelle, et elle éclaire notre temps comme elle le faisait jadis. La fidélité à la Tradition n’est pas une question de formes, de latin, de soutane ou que sais-je : c’est une question de Foi et de Doctrine. Il suffit de regarder la vie d’un pape comme Pie X, grand pape réformateur et pour autant grand antimoderniste, pour s’en rendre compte : l’intransigeance de la Tradition signifie aussi novation dans les méthodes d’apostolat et renouvellement des pratiques pastorales. Au contraire, pour les modernistes, le rôle du Magistère n’est plus de conserver la Tradition mais de la concilier avec le monde et le « progrès », fut-ce au détriment de son sens originel et inaltérable. Si on a pu parler de « Tradition vivante », ce fut surtout dans un sens dévoyé, pour justifier les nouveautés doctrinales et amoindrir les contradictions évidentes avec l’enseignement antérieur de l’Église [18]. La Tradition n’est en aucun cas comparable à un « organisme vivant », alternant assimilation et élimination ; ce n’est pas non plus un « outil » du Magistère, mais une boussole infaillible qui doit orienter l’Église. Cette dernière doit par ailleurs la conserver intact et non s’en « servir » pour justifier des nouveautés doctrinales. La Tradition n’est pas à faire ou à déterminer : elle est partie de la Révélation divine.
Enfin, je garde très fermement et je garderai jusqu’à mon dernier soupir la foi des Pères sur le charisme certain de la vérité qui est, qui a été et qui sera toujours "dans la succession de l’épiscopat depuis les apôtres", non pas pour qu’on tienne ce qu’il semble meilleur et plus adapté à la culture de chaque âge de pouvoir tenir, mais pour que jamais on ne croie autre chose, ni qu’on ne comprenne autrement la vérité absolue et immuable prêchée depuis le commencement par les apôtres [19].
La Tradition ne peut être « vivante » qu’à la condition de ne pas être évolutive : la transmission du dépôt révélé doit être exacte, sans altération, et le contexte historique nécessite une traduction, non une adaptation. La transmission de la Tradition se fait également par l’éviction des erreurs et, corolaire, l’ajout de précisions qui viennent affiner la compréhension du dépôt révélé, sans jamais l’altérer. Le « changement » ne peut avoir lieu que dans le sens de l’enrichissement. Il faut donc parler d’un développement homogène qui n’implique aucune rupture ; la Tradition, dès la mort du dernier Apôtre, contenait déjà tout en puissance, et le Magistère n’a qu’à mettre en acte certains de ses enseignements les plus pertinents pour les temps présents. Actualiser voire adapter un enseignement ne veut pas dire le déformer ou le contredire, comme l’a affirmé le Bienheureux Pie IX lors du Concile Vatican I :
L’Esprit-Saint, en effet, n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour dévoiler, par son inspiration, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la Révélation transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le Dépôt de la Foi [20].
Dire que les textes du Magistère, et des Docteurs en général, sont « le fruit d’une époque », un pur contexte, comme on l’entend souvent, c’est de l’historicisme ou, autrement dit, du relativisme qui dévalue outrancièrement l’ensemble des textes magistériels et patristiques qui ont alimenté pendant deux milles ans la Doctrine de l’Église. C’est placer la Tradition sur le même plan que les faits, l’histoire, le contexte changeant des époques [21]. L’idée d’un « progrès doctrinal » à ce sujet est une contradiction dans les termes [22]. C’est encore une conception philosophique fausse de la Vérité qui, par définition, doit toujours être égale à elle-même. C’est ce que le Saint-Office condamna comme opinion erronée, fallacieuse et hérétique, le 3 juillet 1907 par le Décret Lamentabili sane exitu : « La vérité n’est pas plus immuable que l’homme, elle évolue avec lui, en lui et par lui. [23] »
L’Église, dans sa sagesse, ayant pris conscience de la gravité et du danger de ces attaques, décida de jeter l’anathème sur ces propositions modernistes. Ce n’est pas que l’Église aurait durci sa position, mais face à l’introduction d’erreurs pernicieuses en son sein, elle fut dans l’obligation de réaffirmer avec force l’immutabilité de la Tradition. Le paroxysme de ce combat fut sans aucun doute le pontificat de saint Pie X : après le pontificat du Bienheureux Pie IX et son Quanta Cura [24], après l’encyclique Pascendi Dominici Gregis (1907), qui dénonçait les mêmes erreurs, le pape institua une cérémonie durant laquelle chaque nouveau prêtre, le jour de son ordination sacerdotale, ou quiconque parmi les clercs devant accéder à un office ecclésiastique, devait solennellement prêter serment et abjurer toutes les inexactitudes doctrinales que l’esprit du siècle avait introduites au sein de l’Église, et déclarer qu’il rejetait avec force le venin des opinions fausses et hostiles à la Tradition sainte et sacrée du Magistère éternel. Ce fut le « Serment Antimoderniste » de 1910, ou Motu proprio Sacrorum Antistitum, qui fut en vigueur jusqu’à Paul VI qui, sans surprise, et dans l’élan du concile Vatican II, décida de l’abroger en 1967.
Quatrièmement, je reçois sincèrement la doctrine de la foi transmise des apôtres jusqu’à nous toujours dans le même sens et dans la même interprétation par les pères orthodoxes ; pour cette raison, je rejette absolument l’invention hérétique de l’évolution des dogmes, qui passeraient d’un sens à l’autre, différent de celui que l’Église a d’abord professé. Je condamne également toute erreur qui substitue au dépôt divin révélé, confié à l’Épouse du Christ, pour qu’elle garde fidèlement, une invention philosophique ou une création de la conscience humaine, formée peu à peu par l’effort humain et qu’un progrès indéfini perfectionnerait à l’avenir.
Cette fonction de préservation de la Tradition par l’Église fait partie intégrante de sa mission divine : elle est la gardienne de la Foi, mère et enseignante, et ses évêques sont ses « surveillants », episcopi. C’est pourquoi, le Christ lui-même nous a mis en garde contre l’amitié avec le monde, car c’est le premier pas vers l’abdication de la Doctrine et la compromission [25]. Pourtant, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, et en particulier depuis les interprétations malheureuses des textes du Concile Vatican II, les idées modernes et leurs défenseurs semblent plus que jamais à l’œuvre dans l’Église, et jamais cette parole de saint Pie X ne nous a paru plus actuelle qu’aujourd’hui :
« Ce n’est pas du dehors, en effet, on l’a déjà noté, c’est du dedans qu’ils trament sa ruine ; le danger est aujourd’hui presque aux entrailles mêmes et aux veines de l’Église ; leurs coups sont d’autant plus sûrs qu’ils savent mieux où la frapper. Ajoutez que ce n’est point aux rameaux ou aux rejetons qu’ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c’est-à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. Puis, cette racine d’immortelle vie une fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler le virus par tout l’arbre : nulle partie de la foi catholique qui reste à l’abri de leur main, nulle qu’ils ne fassent tout pour corrompre [26]. »
Nous assistons parfois aujourd’hui à de réels errements de la part des autorités ecclésiastiques [27]. Face à tant de dérives liturgiques, d’ambiguïtés doctrinales [28] et de complaisance répétée envers les doctrines hérétiques ou non-chrétiennes [29], le catholique en vient parfois à s’interroger sur la nécessité d’une désobéissance spirituelle envers la hiérarchie ecclésiastique : un non possumus [30]. Devons-nous suivre ceux qui professent des opinions contraires à la Tradition de l’Église qui, nous l’avons vu, est à la fois divine et inaltérable ? Cette question peut choquer, mais elle fut pourtant envisagée par les théologiens de toute époque. Sauf déclaration solennelle ex cathedra, où l’assistance du Saint-Esprit est certaine et la parole pontificale infaillible, les hommes d’Église, même le premier d’entre eux, lorsqu’ils ont à exercer leur autorité, peuvent faillir et peuvent ne pas toujours être à la hauteur de la Foi qu’ils doivent transmettre. En bref, la défectibilité humaine peut l’emporter sur l’assistance divine. Cette possibilité – sans laquelle ils seraient comme Dieu – est depuis toujours connue par l’Église : face à l’errance possible des ecclésiastiques, les Docteurs ont unanimement appelé à résister face à l’erreur.
Dès l’origine de l’Église, saint Paul s’est opposé à saint Pierre qui, par crainte de déplaire aux judéo-chrétiens (des juifs récemment convertis au christianisme), ne voulait plus participer aux repas des païens convertis. Cette décision était grave, car elle risquait d’engendrer une rupture et pouvait favoriser l’opinion fausse selon laquelle la pratique de la loi juive devait être imposée aux chrétiens. Saint Paul déclare donc : « Quand Céphas (Pierre) vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible » (Ga 2, 11). Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, commente ainsi cette résistance :
« Remarquons toutefois que, s’il y a danger pour la foi, les supérieurs doivent être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, quoiqu’il fût soumis à Pierre, a repris celui-ci publiquement en raison de la foi. Et à ce sujet la Glose de Saint Augustin explique : "Pierre lui-même montre par son exemple à ceux qui ont la prééminence, s’il leur est arrivé de s’écarter du droit chemin, de ne point refuser d’être corrigés, même par leurs inférieurs.’’ [31] »
La nécessité d’une désobéissance dans des cas extrêmes et inédits a ensuite été affirmée par plusieurs théologiens [32], notamment Thomas Cajetan [33], au tout début du XVIe s., grand commentateur de saint Thomas, et auteur d’un ouvrage consacré à la défense de la papauté :
« Il faut tenir tête au pape qui déchirerait l’Église. […] Sinon, pourquoi dire que l’autorité a été donnée pour édifier et non pour détruire (2 Co 13, 10) ? Contre un mauvais usage de l’autorité, on emploiera les moyens appropriés, en n’obéissant pas dans ce qui est mal, en ne cherchant pas à plaire, en ne se taisant pas, en reprenant, en invitant les autorités à faire les reproches nécessaires, à l’exemple de saint Paul et selon son précepte [34]. »
Peu après, saint Robert Bellarmin (1542-1621), théologien et cardinal, tient un propos semblable :
« L’homme n’est pas tenu d’obéir au pape quand ce que celui-ci commande est contraire à la loi de Dieu, et même dans quelques autres cas. Lorsque le commandement d’un homme est manifestement contraire à la loi de Dieu, c’est un devoir de lui désobéir (…) les docteurs indiquent les remèdes suivants : avoir recours à Dieu par l’oraison, admonester ledit pape avec tout respect et révérence, n’obéir point à ses commandements notoirement injustes, et enfin lui résister, et empêcher qu’il ne fasse le mal projeté [35]. »
Dom Guéranger, le restaurateur de l’ordre bénédictin au XIXe siècle, a lui aussi un jugement clair sur la question :
« Quand le pasteur se change en loup, c’est au troupeau de se défendre tout d’abord. Régulièrement sans doute la doctrine descend des évêques au peuple fidèle, et les sujets, dans l’ordre de la foi, n’ont point à juger leurs chefs. Mais il est dans le trésor de la révélation des points essentiels, dont tout chrétien, par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligée. Le principe ne change pas, qu’il s’agisse de croyance ou de conduite, de morale ou de dogme. Les trahisons pareilles à celle de Nestorius sont rares dans l’Église ; mais il peut arriver que des pasteurs restent silencieux, pour une cause ou pour l’autre, en certaines circonstances ou la religion même serait engagée. Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l’inspiration d’une ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent pour courir à l’ennemi, ou s’opposer a ses entreprises, un programme qui n’est pas nécessaire et qu’on ne doit point leur donner [36]. »
Ces divers théologiens nous invitent à la prudence : le manquement du pape à l’égard de la Tradition ne doit pas provoquer chez le fidèle un repli catégorique, et les théologiens n’appellent à aucune sédition en pareil cas. Le pape et les évêques ont reçu leur autorité du Christ pour protéger et défendre la Foi : la règle est bien sûr de leur obéir, et les hérésies ont pour beaucoup consisté à refuser au pape son autorité et son infaillibilité. Mais à situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle. Si les autorités ecclésiastiques viennent à user de leur autorité contre le but même pour lequel elle leur a été conférée, le devoir nous intime de leur résister : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29) [37]. Il ne s’agit pas de désobéir par plaisir, rébellion ou orgueil : les causes qui commandent un tel sentiment doivent relever de fautes graves, en premier lieu l’enseignement d’une Doctrine contraire à la Tradition. Certes, il est nécessaire au salut d’être soumis au pontife romain, mais cette soumission n’est pas sans limite, car ce serait de la servitude. En temps normal, l’obéissance entière et filiale est la règle. Or il se trouve que la situation que nous vivons n’est pas normale : le monde occidental apostasie massivement et l’Église, attaquée de toute part, peine à sortir d’une crise inédite qui l’accable depuis le milieu du XXe siècle [38]. Face à ce chaos, la Tradition exige une résistance prudente et limitée [39], mais qui n’en reste pas moins un devoir, à accomplir malgré soi, à contrecœur, parce que l’aveuglement des temps oblige à de telles extrémités : les Maccabées décidèrent ainsi d’user de leur épée le jour du sabbat, plutôt que de se laisser tuer sans réagir (1 M 2, 23 – 41) [40].
La position de la Tradition est la plus sage et la plus prudente parce qu’elle indique un juste milieu qui seul préserve de l’excès peccamineux : il s’agit d’éviter toute contamination moderniste d’une part en embrassant trop vigoureusement les nouveautés théologiques et liturgiques diffusées au plus haut sommet de l’Église, et d’autre part rejeter avec force l’hérésie folle du sédévacantisme [41]. Cette position est périlleuse, c’est vrai, car il s’agit de marcher sur un chemin escarpé, une ligne de crête de laquelle on peut tomber à tout moment. Mais la vertu d’obéissance ne consiste ni à accepter les erreurs régnantes sous prétexte qu’elles sont favorisées par les papes (ce serait de la servilité), ni à refuser l’autorité des papes, sous prétexte qu’ils diffusent ces erreurs (attitude des « sédévacantistes »). La véritable obéissance consiste à accepter l’autorité du pape en vertu de sa fonction de Vicaire du Christ, à prier pour lui et à respecter son éminence, tout en résistant activement aux idées néfastes qui se répandent dans l’Église, parfois avec son soutien. On peut soulever des contradictions sur certains points par rapport à l’enseignement traditionnel de l’Église, sans rejeter l’autorité des autorités ecclésiastiques, épiscopale ou pontificale - ou alors il faudrait affirmer qu’une partie de l’épiscopat français et allemand est schismatique pour ne pas toujours épouser la vision du pape actuel [42]. On peut adresser à son père des critiques sans pour autant le renier et lui dire : « tu n’es plus mon père ».
La Tradition est l’un des deux fondements de l’Église, que nous partageons avec toutes les Églises de tradition apostolique, notamment orthodoxes. Le Catholique se veut fidèle à l’Église, à Rome et à Son magistère ; attaché à la Tradition pluri-séculaire, son ancienneté couronne l’autorité de l’Église en tant qu’elle a sanctifié pendant près de deux millénaires les âmes de ses fidèles et assuré l’excellence des saints. Elle est un phare en ces temps troublés, et sa lumière chasse l’obscurité des confusions et des opinions putrescibles du monde moderne. C’est une situation exceptionnelle, qui aura sa fin, et dont le sens ne doit pas nous échapper. La Providence éprouve notre Foi, et il est indispensable de conserver intact la Tradition et la Doctrine de l’Église en résistant à tout ce qui pourrait le remettre à cause, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Église : Celui qui résiste jusqu’au bout, celui-là sera sauvé (Matthieu XXIV, 13).
Pour affronter cette épreuve, il est nécessaire de faire usage de toutes les vertus théologales, et notamment l’espérance : en Dieu et son Église. L’Église, comme entité gardienne, est la véritable dépositaire de la Tradition, quels que soient les troubles qu’elle puisse traverser. Si son histoire semble plus sombre aujourd’hui, elle saura la surmonter et en triompher dans un avenir proche. Car l’Église possède et possédera toujours les clefs du Royaume des Cieux, comme le Christ les lui a confiées durant l’épisode évangélique de la Traditio Clavium. Et même si un dignitaire de l’Église, le plus haut placé soit-il, devait ne pas être à la hauteur de sa charge, l’Église ne sera jamais menacée ni dans son existence, ni dans sa sainteté. Notre Seigneur nous l’a dit : « les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre son Église » (Matthieu XVI, 18).
[1] Cette Tradition est constituée, pour une grande part, de la théologie et de l’exégèse, qui forment la Doctrine, ainsi que du Magistère, qui est son expression normative. C’est cette Tradition que nous avons à plusieurs reprises exposé à travers nos articles sur ce site - selon nos modestes capacités. Nous y avons puisé de nombreux renseignements pour éclairer un thème ou une notion qui posaient question. À titre d’exemple : sur la paix (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-spirituelles/la-paix-du-christ-et-la-paix-du-monde?var_mode=calcul), sur l’ecclésiologie (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/l-esprit-de-corps-1-3-le-corps-du-christ?var_mode=calcul https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/l-esprit-de-corps-2-3-le-corps-mystique?var_mode=calcul), sur la charité (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/la-charite-n-est-pas-un-humanisme), sur la mystique (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/mystique-de-la-liberation?var_mode=calcul)
[2] Pour les traditions (populaires, légendaires etc.), souvent orales, qui se transmettent au sein d’un peuple, d’une communauté, sur un territoire donné, il convient de ne pas employer de majuscule.
[3] Cet élément de définition peut être rapproché de la Sunna islamique, qui est également une tradition prophétique, au sens des règles et lois transmises par une chaîne ininterrompue depuis le temps du prophète de l’islam jusqu’à nos jours.
[4] Saint Augustin, De Bapt., V, 23-31.
[5] Le protestantisme a fait du rejet de la Tradition l’une de ses caractéristiques, et y oppose la Sola fides (le salut sans les œuvres) et la Sola Scriptura (c’est-à-dire l’Écriture seule, sans l’exégèse et l’interprétation de la Tradition).
[6] Concile de Trente (1545-1563), Session 4.
[7] Constitution Dogmatique Dei Verbum, § 9, v.10.
[8] L’idée d’une Révélation primitive, commune à tous les hommes, fut à l’origine d’une Tradition première, que certains ont pu qualifier de primordiale, à partir de laquelle toutes les traditions du monde ont eu leur origine.
[9] L’exégèse, en tant qu’interprétation de l’Écriture, peut aussi être transmise oralement, comme le remarque l’Évangile à plusieurs reprises : Luc 1, 2 ; 1Co. 11, 23 ; 15,3 ; 2P. 2, 21.
[10] Épître aux Galates 1, 8-12.
[11] Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses III, 3, 2-3. Tout le Livre III de l’œuvre est consacrée à l’Écriture et la Tradition.
[12] Ibid., III, 24, 1.
[13] « 1. Prologue. […] Mus par la charité envers tous les saints, nous sommes arrivés à l’essentiel de la tradition qui convient aux Églises, afin que ceux qui sont bien instruits gardent la tradition qui a subsisté jusqu’à présent, suivant l’exposition que nous en faisons et que, en prenant connaissance, ils soient affermis — à cause de la chute ou de l’erreur qui s’est produite récemment par ignorance et des ignorants — l’Esprit Saint conférant à ceux qui ont une foi droite la grâce parfaite, afin qu’ils sachent comment doivent enseigner et garder toutes ces choses ceux qui sont à la tête de l’Église. »
[14] Cette idée d’un sens arrêté par la Tradition est nécessaire, très logiquement, à l’idée de Vérité : si, par exemple, deux opinions personnelles s’opposent sur l’interprétation d’un passage des Évangiles, une aporie relativiste empêchera d’accéder au sens dudit passage. S’appuyant sur l’autorité des Docteurs inspirés qui ont interprété l’Évangile, la Tradition vient nous dire ce qu’il faut comprendre et conclure là où nos intelligences sont impuissantes à déchiffrer le sens sacré des Écritures.
[15] L’historiographie retient la date de 1902 comme le commencement de la « crise moderniste » dans l’Église, avec la publication de L’Évangile et l’Église par Alfred Loisy, mais la crise remonte au milieu du XIXe siècle. Sur le plan magistériel, cette crise fut réglée par saint Pie X, mais dans les faits, sa fin est indéterminée, dans la mesure où les idées modernistes ont continué à se répandre après ce pontificat, avec Le Sillon, la Nouvelle Théologie mais également certaines propositions/interprétations du Concile Vatican II.
[16] « Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c’est que, les artisans d’erreurs, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c’est un sujet d’appréhension et d’angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l’Église, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables Frères, d’un grand nombre de catholiques laïques, et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres, qui, sous couleur d’amour de l’Église, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu’aux moelles d’un venin d’erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l’Église ; qui, en phalanges serrées, donnent audacieusement l’assaut à tout ce qu’il y a de plus sacré dans l’œuvre de Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne, qu’ils abaissent, par une témérité sacrilège, jusqu’à la simple et pure humanité. […] Ennemis de l’Église, certes ils le sont, et à dire qu’elle n’en a pas de pires on ne s’écarte pas du vrai. » Saint Pie X, Encyclique Pascendi Dominici gregis, 1907.
[17] « Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. ANATHEME. » Bienheureux Pie IX, Syllabus, 1864.
[18] Cette idée d’une « Tradition vivante » est vieille de quarante ans et on la trouve, hélas, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum (12) du Concile Vatican II. Plus précisément, le Concile pose problème, entre autres choses, sur la question du « Subsistit in », expression de la constitution dogmatique Lumen gentium (1965), laquelle, nuance la doctrine traditionnelle Extra Ecclesiam Nulla Salus – qu’on l’interprète d’ailleurs avec une herméneutique de la discontinuité ou de la réforme (Benoît XVI). « Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. » L’Église catholique n’a plus le monopole du Salut.
[19] Saint Pie X, Motu proprio Sacrorum Antistitum, 1910.
[20] Bienheureux Pie IX, Constitution Pastor Aeternus, Concile Vatican I, Sess. IV Ch. IV, Dz. 1836. Également, dans le même Concile : « Si quelqu’un dit qu’il est possible que les dogmes proposés par l’Église se voient donner parfois, suivant le progrès de la science, un sens différent de celui que l’Église a compris et comprend encore, qu’il soit anathème. » Concile Vatican I, Sess. 3, ch. 4, can. 3.
[21] « D’une manière générale, je professe n’avoir absolument rien de commun avec l’erreur des modernistes qui tiennent qu’il n’y a rien de divin dans la tradition sacrée, ou, bien pis, qui admettent le divin dans un sens panthéiste, si bien qu’il ne reste plus qu’un fait pur et simple, à mettre au même niveau que les faits de l’histoire : les hommes par leurs efforts, leur habileté, leur génie continuant, à travers les âges, l’enseignement inauguré par le Christ et ses apôtres. » Saint Pie X, Motu proprio, Sacrorum Antistitum, 1910.
[22] Prenons un exemple pour démontrer logiquement que la Vérité ne saurait changer au gré des contextes historiques : la Royauté sociale du Christ. Cette vérité se trouve dans la Bible même et fut interprétée comme telle par les Docteurs et les Papes, du XIe siècle au XXe s. Or, entre la Réforme grégorienne et le pontificat de saint Pie X ou de Pie XII, il n’y a aucun « contexte historique » commun. À moins qu’un millénaire d’histoire de l’Église soit à lui-seul un « contexte historique »… En 1925, date de Quas primas, qui affirme avec force la Royauté sociale du Christ, l’Église n’avait plus aucune prétention au pouvoir temporel : elle avait perdu son Patrimoine de Saint Pierre depuis un moment déjà, et en 1870 elle était confinée dans un minuscule territoire, abandonné depuis longtemps par son traditionnel bras séculier, la France, passée à la République laïque. Seule l’Église post-Vatican II a quelque peu délaissé cette vérité en tolérant l’idée de laïcité et en renonçant ainsi à la Tradition bimillénaire de la Royauté du Christ. Inutile d’opposer la parole des 260 papes d’avant ce dernier concile, et les 5 papes qui l’on suivi. Il est évident que dans ce cas, c’est la Tradition qui doit primer, qui doit trancher, car personne ne peut y toucher.
[23] « Veritas non est immutabilis plus quam ipse homo, quippe quae cum ipso, in ipso et per ipsum evolvitur. » Décret Lamentabili, 3 juillet 1907, Denzinger n° 2058.
[24] L’encyclique Quanta Cura et son Syllabus errorum (1864) fustigèrent les quatre-vingt erreurs modernes parmi lesquelles se trouvaient la laïcité, le modernisme, le libéralisme, le socialisme, le rationalisme, le darwinisme, la franc-maçonnerie, la liberté d’opinion et de culte, etc.
[25] « Quelle utilité y-a t-il pour l’homme à gagner le monde entier, s’il lèse son âme ? » (Matthieu 16, 25). « Parce que vous n’êtes pas du monde, et que moi je vous ai tirés hors du monde, c’est pour cela que le monde vous hait » (Jean 15, 19) ; et enfin : « Ne voyez-vous pas que l’amitié pour le monde est haine de Dieu ? Celui qui veut donc être ami du monde se rend ennemi de Dieu » (Jacques, 4, 4). Voilà ce que dit l’Écriture de « l’ouverture » au monde et, par anticipation, du compromis moderniste. D’une manière générale, le Christ dialogue rarement dans les Évangiles : il annonce la Vérité. Il n’était pas un sophiste venu pour engager une « disputatio » et démontrer dialectiquement qu’il avait raison : il est venu apporter la Lumière et est mort pour le Salut des hommes. Jamais Jésus n’a transigé, jamais il n’a entrepris le moindre compromis avec ceux qui voulaient sa mort.
[26] Saint Pie X, Encyclique Pascendi, 1907.
[27] Un petit florilège ici : la commémoration de la Réforme par le pape avec la Fédération luthérienne mondiale en Suède (http://www.la-croix.com/Religion/Pape/Voyage-pape-Francois-Suede-textes-2016-11-01-1200800080 ; https://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2016/october/documents/papa-francesco_20161031_svezia-evento-ecumenico.html) ; l’apologie de Luther à l’occasion des 500 ans de son schisme (https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Vatican/Luther-voulait-diviser-lEglise-mais-renouveler-affirme-pape-2017-01-19-1200818531 (Le jeudi 19 janvier, le pape François a affirmé que l’action de Luther, il y a 500 ans, avait eu pour but de « renouveler l’Église et non de la diviser ») https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Actes-du-pape/Pour-pape-Francois-etudes-figure-Luther-contribuent-surmonter-mefiance-rivalite-2017-04-27-1200842868 http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20170331.AFP0485/le-pape-voit-du-positif-et-legitime-dans-la-reforme-de-luther.html (Le pape François a estimé vendredi que l’étude contemporaine de Martin Luther, qui provoqua un schisme de l’Eglise au XVIe siècle, permettait de déceler "tout ce qui était positif et légitime dans la Réforme".) ; les timbres du Vatican célébrant Luther (https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Des-timbres-du-Vatican-pour-la-Reforme-et-pour-saint-Francois-de-Sales-2017-10-31-1200888559?from_univers=lacroix&id_folder=1200799938&position=3) ; les commémorations des 500 ans de la Réforme par des prélats catholiques dans un souci « œcuménique » (https://www.paris.catholique.fr/les-commemorations-de-la-reforme.html ; https://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/Clap-fin-celebrations-500-ans-Reforme-2017-10-31-1200888433). Commémorations qui ont parfois eu lieu dans des édifices catholiques, comme à Bruxelles (http://www.cathobel.be/2017/10/26/reforme-protestante-sera-commemoree-a-cathedrale-de-bruxelles/). Plus récemment, le pape François aurait à la fois nié l’existence de l’Enfer et l’immortalité de l’âme, mais le Vatican a démenti, donc nous sommes rassurés : https://www.francetvinfo.fr/monde/vatican/pape-francois/l-enfer-n-existe-pas-declare-le-pape-dans-un-journal-italien-le-vatican-dement_2680478.html
[28] Depuis l’automne 2016, des évêques, cardinaux et laïcs ont fait part de leurs « doutes » (dubia) au pape François concernant certaines propositions du document Amoris laetitia. Les évêques ne sont pas en reste, avec des célébrations parfois ubuesques, comme le 1er décembre 2017 à la cathédrale de Vienne, où la parole a été donnée à des militants de la cause Lgbtqs²+, dont Conchita Wurst, à l’occasion d’une veillée de prières interconfessionnelle, sous le regard bienveillant de l’évêque du lieu, Mgr Schonbron. (https://www.youtube.com/watch?v=CTN__ZfvmeY) Mais comme l’a dit le pape François en juillet 2013, qui suis-je pour juger… (https://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Ce-que-le-pape-Francois-a-dit-aux-journalistes-dans-l-avion-2013-07-29-992176). D’une manière générale, la question de la charité (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/la-charite-n-est-pas-un-humanisme), parfaitement dévoyée aujourd’hui, ainsi que la notion de paix (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-spirituelles/la-paix-du-christ-et-la-paix-du-monde?var_mode=calcul), ou de force (https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/sur-la-force-chretienne-i-ii). Des jugements semblables pourraient être formulés à propos de l’œcuménisme selon « l’esprit d’Assise ».
[29] Un autre petit florilège : la visite du pape, première historique, à la communauté anglicane de Rome (http://www.rainews.it/dl/rainews/articoli/Papa-nella-chiesa-anglicana-camminiamo-insieme-come-amici-e-pellegrini-90eb4bcb-d655-41f7-a33c-1696591e3d49.html?refresh_ce) ; https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/it/speeches/2010/march/documents/hf_ben-xvi_spe_20100314_christuskirche.html ; les agnostiques-athées à Assise en 2011 : https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2011/october/documents/hf_ben-xvi_spe_20111027_assisi.html ; https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Rome/Des-athees-participeront-a-la-rencontre-d-Assise-2011-09-29-717354 (« Voulue par Benoît XVI, la prochaine rencontre interreligieuse d’Assise, le 27 octobre, sera également ouverte à des personnalités athées. »). Le 17 octobre 2015, l’évêque et cardinal Barbarin co-célébrait une cérémonie avec une pasteure à Oullins durant laquelle il a donné le sacrement de confirmation (http://www.medias-presse.info/confirmations-catholico-protestantes-mgr-barbarin-en-communion-avec-une-pasteure-a-confirme-dans-un-temple-protestant-le-17-oct-2015/42027/). Le 31 octobre 2017, le cardinal de Sao Paulo honore un autel dévoué à Bouddha (http://laportelatine.org/vatican/compromissions/171028_bresil_bouddha_eglise_03.jpg ; http://laportelatine.org/vatican/compromissions/171028_bresil_bouddha_eglise_01.jpg). La vraie charité ne serait-elle pas de convertir les hommes à la vérité ? Le pape n’est-il pas le successeur de l’apôtre Pierre ?
[30] Présenté à Rome devant le Sanhédrin, Pierre affirme que le salut s’obtient par le Christ seul. Devant la demande du Sanhédrin d’arrêter de prêcher, Pierre et Jean sont dans l’obligation de refuser : nous ne pouvons pas (non possumus) ne pas dire ce que nous avons vu et entendu. (Actes 4, 20).
[31] Somme théologique, II-II, Q.33, art. 4.
[32] Par exemple, Jean de Torquemada affirme explicitement qu’il n’est pas impossible qu’un pape « ordonne quelque chose de contraire à la loi naturelle ou à la loi divine » (Summa de Ecclesia, part I, livre IV, chapitre 11). Il cite en sa faveur le très grégorien pape Innocent III, qui affirmait qu’il fallait obéir au pape en toutes choses, pourvu qu’il ne se dresse pas contre la discipline générale de l’Église.
[33] Thomas Cajetan (1469-1534) fut un dominicain, théologien et cardinal italien du XVIe s. Professeur de théologie, il devint rapidement Maître général en 1508 des Dominicains, puis légat pontifical, et commenta la Somme théologique dans l’intention de réfuter les thèses de Luther.
[34] Thomas Cajetan O.P., De comparatione auctoritatis papae et concilii (1512), Angelicum, 1936, n°412.
[35] Saint Robert Bellarmin, De Romano Pontifice, II, 29.
[36] L’Année Liturgique, Le Temps de la Septuagésime, Vol. 4, fête de St. Cyrille d’Alexandrie.
[37] « Mais, dès que le droit de commander fait défaut, ou que le commandement est contraire à la raison, à la loi éternelle, à l’autorité de Dieu, alors il est légitime de désobéir, nous voulons dire aux hommes, afin d’obéir à Dieu. » Léon XIII, Encyclique Libertas, § 13.
[38] La crise actuelle de l’Église ne doit pas être minorée : elle n’a aucun équivalent dans son passé. On a beau jeu de la comparer à d’autres crises de son histoire : la pornocratie pontificale (904-963), le Grand schisme d’Occident (1378 - 1417), ou encore le temps des Borgia à Rome au XVIe s. Mais si ces crises furent graves et soulevaient des questions morales et ecclésiologiques, jamais elles n’entachèrent la fonction pontificale (qui se distingue de la personne qui l’exerce), et jamais elles ne mirent en péril la Doctrine et le Dogme. Jamais l’Europe ne fut si proche du paganisme, jamais l’Église ne fut si désertée, ses églises et séminaires si vides, que depuis les années 70.
[39] Face à la modernité, un mot d’ordre : ni intégrisme, ni intégration.
[40] C’est d’ailleurs par la désobéissance que la messe traditionnelle a pu recouvrir sa légalité ecclésiastique et toute son autorité par le Motu proprio et avant les différentes communautés ralliées de l’Ecclesia Dei. Sans les sacres épiscopaux il est certain que le processus aurait été inexistant.
[41] Le sédévacantisme ne fait pas la différence entre Magistère ordinaire et le Magistère extraordinaire pleinement infaillible, si bien que les sédévacantistes considèrent que chaque fois que Rome s’exprime, en matière de foi, de mœurs ou de discipline, elle est automatiquement infaillible.
[42] Le pape, même en cas d’erreur ou d’hérésie, reste pape. Cf. les propositions condamnées de Jean Huss par le Concile de Constance (Session 15 du 6 juillet 1415) et par le Pape Martin V (Décret du 22 février 1418).
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