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Un café pour le Joker athée

En revoyant récemment un chef d’œuvre du cinéma moderne, une merveille du monde du septième Art, je me suis posé quelques questions. Le film dont je parle n’est pas un miracle caché, diffusé dans quarante salles en confidence, ce n’est pas encore une fois tel de ces petits budgets misérables dont on voudrait nous faire croire qu’ils sont la quintessence et la panacée du bon goût : ce film, c’est Batman : The Dark Knight de Christopher Nolan. Et pas seulement parce que c’est bien cousu, sobre en effets spéciaux et haletant. Ce bijou nous livre une profonde considération extrêmement chrétienne sur le Bien et le Mal. On est en effet loin des poncifs manichéens qui émaillent les comics : le Joker est un véritable Satan.

L’affreux l’avoue lui-même à plusieurs reprises : il ne peut exister que par l’existence de son pire ennemi. « Qu’est-ce que je deviendrais sans toi ? » Pire, il va plus loin : « Je suis comme un chien qui court après les voitures : qu’est-ce que je ferais si j’en attrapais une ? » « Est-ce que j’ai une tête à avoir un plan ? » L’aveu est définitif, et sans appel. Le méchant n’a pas de plan. Il ne vise pas la destruction de Gotham, il veut « lui donner une criminalité à sa hauteur ». Il ne rêve que d’infliger des souffrances. Mais pour infliger des souffrances, il lui faut avoir une matière vierge sur laquelle les imprimer : c’est là toute l’ambiguïté du Joker. Le chien ne court pas contre la voiture, juste après elle, et il ne souffrirait pas qu’elle s’arrête. Le méchant n’a pas de plan, parce qu’un plan impliquerait une fin et une victoire. Or, précisément, le Mal veut oublier la notion de fin, et pour combler le vide de son existence, il évacue la sainte terreur que lui inspire le Jugement, et est donc condamné à se fixer, tel un parasite, sur quelque chose de bon pour l’altérer, rêvant de le faire indéfiniment.

Le Mal est donc entièrement subjectif, puisqu’il ne peut exister sans bien, de même qu’il n’y a pas d’ombres sans lumière. En ce sens, on pourrait même dire que le Mal est très chrétien, puisqu’il a conscience de la victoire définitive et éternelle du Christ : il ne cherche plus à combattre, il ne veut plus faire que se débattre. Non sans occasionner d’affreuses douleurs, certes. Mais il se distingue du Bien par son renoncement à dominer complètement. On retrouve d’ailleurs extrêmement bien cette notion dans le Silmarillion de Tolkien : Melkor, l’ange déchu qui s’est opposé par orgueil à la volonté de l’Unique (toute ressemblance ne serait que fortuite) descend en Arda, la Terre, pour la ravager, passant derrière les Ainurs, les Bénis, et saccage systématiquement l’œuvre de leurs mains, et il ne fait que cela. De même, il n’a de cesse de fomenter de mauvais coups pour étendre sa domination sur une création bonne et la pervertir. Tolkien reformule ici une mystique chrétienne très lisible, et c’est d’ailleurs ce qui a fait son succès, et même plus, l’exceptionnelle fascination qu’il suscite encore : il donne un vrai sens à son univers nouveau, et par là attire le regard du lecteur vers ce que celui-ci ne voit pas au premier regard, contrairement à cette navrante horde d’auteurs « fantasy » d’aujourd’hui qui se prétendent ses héritiers parce qu’ils parlent d’elfes et de nains.

Ces considérations littéraires et cinématographiques une fois faites, on peut pousser cette « théologie » de la subjectivité du Mal un peu plus loin, mais en réalité elle attire mon attention sur un fait assez frappant : le rapport qu’entretient l’athéisme au Christianisme, puisque force est de constater que cette doctrine nihiliste s’est essentiellement bâtie contre notre bonne Foi chrétienne. Ici, amis, vous voyez certainement où je veux en venir. L’athéisme ne se construit qu’en se fixant à quelque chose qui préexiste à lui : la Foi. Son nom est particulièrement révélateur : a-thée. Sans Dieu. Premièrement, ce nom est trompeur, puisque si de Dieu il n’y a pas, tout le monde est athée et pas seulement ceux qui ne croient pas en Lui. Cette appellation est déjà subjective en soi puisqu’elle semble donner comme sujet de la vérité la pensée de la personne : « Je pense que Dieu n’existe pas, donc je suis sans Dieu. Peu importe la vérité, pour moi, c’est ainsi », voilà ce qu’on peut lire dans ce nom d’ « athée ».

La suite est encore plus consternante : l’athéisme ne peut exister que si le « théisme » existe déjà, vu qu’il est une négation. Or, peut-on vraiment se bâtir par rapport à ce qu’on n’est pas ? Comme le Nouveau Parti Anticapitaliste qui confirme son histrionisme par sa référence obsessionnelle à ce qu’il entend combattre… Bref, dire « je suis contre cela » en guise de programme, voilà une idée qui a vocation universelle ! A l’inverse du Christianisme qui entend donner à l’homme la Foi au Christ, sans se donner d’autre adversaire que le Malin, l’athéisme se contente de se poser en porte-à-faux et de se constituer « adversaire de » (traduction de l’hébreu Satan, soit dit en passant). Si l’on peut imaginer un monde entièrement chrétien, dessiner un monde où l’on vitupère contre ce qui n’existe plus est assez cocasse. La thèse est indépendante de son antithèse, et pas l’inverse, puisque cette dernière, privée de matière sans la première, s’effondre. En soi, un athéisme véritable consisterait purement et simplement en une imperméabilité totale aux problématiques de la Foi, ce qui n’existe pas ; il est révélateur de constater que les plus grands contempteurs du Christianisme sont des hommes extrêmement interpelés par l’idée du Divin.

L’athéisme est donc par essence vide, car il a besoin de la structure de la croyance pour subsister. On peut comparer cette situation à un homme dans une pièce sombre avec son fils, qui allumerait la lumière pour pouvoir expliquer aussitôt à son enfant qu’il faut l’éteindre.

Mais alors, avec une si forte supériorité intellectuelle du Christianisme sur l’athéisme, comment se fait-il que le monde entier ne soit pas croyant ? Pourquoi l’homme ne tombe-t-il pas à genoux dès maintenant devant l’évidence simple et lumineuse du Dieu tout puissant ? Quelle raison obscure maintient encore et toujours les cœurs loin de la Vérité ? La réponse est une banalité, si tant est qu’une phrase de l’Ecriture puisse être qualifiée de banale : « leurs cœurs se sont endurcis ». Eh oui. Ils ont des yeux mais ne s’en servent pas. Si le péché est entré dans le monde, alors il a aussi pris licence de donner à l’homme des œillères pour l’empêcher de voir là où il faudrait. Ce constat doit-il nous faire assoir par terre, pour y pleurer sur notre impuissance ? Non, car Dieu nous a donné, à nous, hommes, la capacité et même le devoir d’annoncer efficacement sa Parole au monde entier.

Mais pour cela, quelques idées. On argutie aujourd’hui beaucoup sur le « sacerdoce commun des baptisés » qui devrait légitimer en vie ecclésiale et en liturgie plein de choses assez affreuses et absolument contraires à la Foi. Cette expression est toutefois la bonne. Car si sacerdoce il y a, alors on peut contempler le « vrai » sacerdoce et voir ce qu’il nous dit d’essentiel : par l’imposition des mains, le prêtre reçoit le jour de son Ordination le pouvoir divin de transmettre la grâce aux hommes. Et cela se fait par l’intermédiaire de son corps : le Christ ayant choisi de s’incarner, Il a ainsi sanctifié pleinement ce corps humain et l’a rendu capable de choses merveilleuses. C’est pourquoi la messe par Skype, la confession à distance (sauf dans certaines absolutions collectives du dernier degré d’urgence, et encore), tout cela ne pourra jamais exister. Le Christ a besoin de nos relations humaines pour se donner à nous.

De cela nous pouvons étendre cette idée au sacerdoce royal reçu lors de notre baptême, qui, lui, nous pousse à faire fructifier nos talents et à répandre ce que nous avons reçu : il n’y a rien de moins humain qu’un ordinateur, rien de plus froid qu’un réseau social. On le constate tous les jours, à voir tous ces forums où les gens, oubliant que derrière l’écran se trouve l’être humain, s’écharpent, s’agonissent d’injures, se déchirent d’une manière insupportable. Oui, l’absence d’émotions d’un texte dactylographié et la dimension publique du Net déshumanise les rapports à grande vitesse. C’est pourquoi il est un domaine qui doit demeurer dans la réalité physique, c’est celui de l’évangélisation. Nous ne pouvons pas rester sur nos comptes Twitter et Facebook pour proclamer la Résurrection. Nous devons aller à la rencontre du monde, lui donner notre tendresse (si, si) et notre bonté (ne rougissez pas, je vous assure), parce que dire l’amour du Christ pour les hommes sans laisser voir une parcelle de cet amour dans nos regards, nos gestes et notre voix est proprement inconcevable. Parler d’un homme qui a donné son corps et sa vie pour l’humanité en restant un pseudonyme et quelques lignes impersonnelles sur la rubrique « spiritualités » de Doctissimo ne donnera aucun résultat bon sans véritable contact. Chrétiens, Facebook est bon pour relayer les informations et les opinions aux convaincus, Le Rouge et le Noir est excellent pour se soutenir les uns les autres dans la bataille du mariage homo, mais je doute que Valentin ait changé d’avis grâce à Facebook, ou encore que Richard Dawkins se convertisse grâce aux excellents prêches du R&N. Pour cela, il faudrait que nous allions à sa rencontre, que nous prenions un café avec lui, que nous l’invitions à nos soirées paroissiales, à tous les endroits où le sacré se manifeste par l’action des hommes et leur charité concrète.

Chrétiens, ouvrez les portes, et offrez un café au Joker !

Ascalon

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