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Rimbaud était-il homosexuel ? Doit-on le dire ? Cela explique-t-il son œuvre ?
Questions qui depuis quelques temps occupent une place certainement démesurée dans l’espace public. La vigoureuse Ministre des Droits de la Femme, des Homosexuels, et Porte-Parole de ses projets au Gouvernement avait donc affirmé que la sexualité d’un auteur ou d’un grand personnage de l’histoire était un fait qu’il convenait de spécifier en premier lieu lors d’une étude le concernant à l’école, terrible vide à combler alors. Le but : banaliser le fait homosexuel dès le plus jeune âge aux yeux de têtes blondes de moins en moins réceptives à la citoyenneté de gauche (rappelez-vous que désormais, par le bon vouloir de notre Ministre de l’Éducation et de la Défonce Nationales, l’école doit tirer tout un chacun des vilains déterminismes familiaux où il languit).
L’affirmation totalitaire selon laquelle Rimbaud était homosexuel a déjà de quoi faire douter des connaissances de la Ministre sur le personnage. Quiconque connaît un peu la vie du poète peut déduire à peu de frais une chose certaine : le jeune homme n’aimait guère les femmes. Qu’est-ce que la femme pour Rimbaud ? C’est sa mère, ce personnage étouffant de conformisme petit-bourgeois qui surprotège un fils qui ne rêve que de liberté. C’est la figure associée au foyer et à la ville natale, Charleville, qu’il exècre tant pour ses minauderies provinciales qui se croient distinguées. Cela se ressent rapidement dans ses écrits. La femme, chez Rimbaud, c’est principalement une grande idiote. Regardez cette pauvre Ophélie, du poème éponyme, c’est-y pas une cruche, directement inspirée de la niaise de premier choix de Hamlet, naïve, crédule, toute en émotions, qui ira jusqu’à s’en noyer ? La femme dans Au Cabaret Vert ? Elle a des gros lolos. La femme dans Vénus Anadyomène ? Pareil, avec en prime une allusion à ses fesses. Bref. La femme, chez Rimbaud, ce n’est guère plus qu’un corps. Émoustillant, peut-être, le corps, mais pas du niveau de la haute volée intellectuelle que recherche Rimbaud à l’âge où il écrit.
Précisément, ce qu’il recherche, c’est surtout une communion entière avec un esprit de la hauteur de sien. Vu l’opinion qu’il a de la femme, il ne lui reste pas trente-six solutions. D’autant que - la Parité me pardonne ! – à cette époque, dans les années 1870, les femmes libres, artistes, fortes, intelligentes, etc., ça ne se trouve pas encore à tous les coins de rue. Alors : direction Verlaine, et son équipe de hauts esprits. Là au moins il y a de quoi se satisfaire. Verlaine, homme marié et vraiment amoureux de sa femme, mais au moins aussi déséquilibré que le poète « aux semelles de vent », ne se fait pas prier.
Trêve de reconstitution historique. En conclusion, il est possible de dire que Rimbaud suivait plutôt une pulsion qui le poussait à chercher une relation avec un être qu’il estimait égal à lui, tout comme Verlaine a été fasciné par le génie brutal du jeune homme. En somme, Rimbaud n’était que modérément homosexuel, plutôt instable et égotiste. Et puis, si on s’acharne à trouver chez lui des tendances vraiment homosexuelles… faut-il préciser à Madame Belkacem que l’absence quasi-totale du père du poète dans son enfance fournirait une excellente explication du phénomène à des psychanalystes, qui ont par ailleurs cette fâcheuse tendance à savoir de quoi ils parlent sur le sujet ?
Pour achever d’éreinter l’exemple spécieux brandi par la ministre, je me permets d’ajouter qu’en étudiant de près Le Bateau Ivre, Barbare, ou Sensation, et j’en passe, je ne vois rien dont mon esprit coupablement réactionnaire pourrait saisir doctement le sens dès lors que la Sagesse ministérielle m’aurait annoncé avec à-propos : « Arthur Rimbaud, poète français du XIXè siècle, homosexuel. » Honnêtement, je ne vois rien. D’autres, et de plus illustres, se sont déjà attachés à tourner en ridicule ce que pourraient être les interprétations homosexualisées de l’œuvre de Rimbaud, je ne m’y aventurerai donc pas.
J’ajoute juste que cette homosexualité, personne n’en fait un mystère, puisqu’on la connaît dès le collège ; et qu’il est par ailleurs amusant de voir Madame Belkacem, tenante s’il en est de l’héritage du désordre compulsif de mai 68, reprocher une hypothétique omerta sur le fait homosexuel à des manuels et des programmes rédigés, comme chacun sait, par le gotha sacro-saint d’une population pour qui l’histoire commence avec le premier pavé jeté sur un flic, et dont le Messie, lorsqu’il daigne apparaître en France, à certains airs de Daniel Cohn-Bendit. Les mêmes qui depuis la date vénérée s’attachent à faire porter aux nues toute les formes de sexualité, y compris homo, comme libératrices de l’être humain – ignorant au passage les effets désastreux sur l’esprit de la jeunesse qu’a cette hyper-sexualisation sociale. Mais c’est un autre sujet, passons.
Force est donc de constater que Madame Belkacem aurait mieux fait de choisir un autre exemple. Et en même temps, comprenons-la : qu’aurait-elle pu trouver de vraiment mieux ? Léonard de Vinci ? On a même du mal à imaginer une explication de la Joconde à travers la sexualité du peintre. On pourrait conseiller à Madame Belkacem la lecture de Proust. Proust ! En voilà un dont l’homosexualité explique son œuvre ! Le problème, c’est qu’il faudrait en passer par l’idée de Marcel selon laquelle on n’aime un homme qu’en se représentant en lui une femme. Et ça, ça foutrait une sacrée pagaille dans la théorie du gender, hein ! Garcia Llorca ? Non, absence du père durant l’enfance. Zut de zut.
Soit l’homosexualité du type n’explique rien, mais alors rien du tout, soit elle remet en cause les théories fumeuses célébrées par la gauche libertaire que nous connaissons, la tolération, la diversitude, et le reste de la logorrhée habituelle.
Bref. À trop vouloir faire de la littérature et de l’art un instrument d’un combat complètement irrationnel et qui fait vraiment de plus en plus penser aux assauts de Don Quichotte contre les moulins à vent, Madame Belkacem pousse à la limite du supportable ce qu’on fait déjà subir à l’étude de la littérature dans nos écoles. Au lieu d’ouvrir les esprits des enfants, ou plutôt des collégiens, à la beauté et la puissance de l’esprit humain et à la Beauté inhérente à chaque chose, on se contente déjà de leur proposer des « axes de lecture » transversaux à une œuvre en pensant que c’est en schématisant qu’on va mieux faire comprendre la littérature. Voilà que désormais, la littérature aura pour rôle d’éveiller à des causes. Et ce, même si on y scarifie le sens d’un texte, ce n’est pas bien grave, c’est pour le plus grand bien. Le problème, c’est qu’en pervertissant la réalité d’un fait capital de notre société comme la littérature, le gouvernement risque non seulement d’appauvrir le sens du langage chez ses élèves, mais en plus d’éduquer toute une génération au relativisme et à la paresse intellectuelle.
Alors de grâce, qu’on laisse Rimbaud forniquer en paix.
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