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Quand un prêtre diocésain prend Mgr Lefebvre en exemple, nous direz-vous, c’est a priori bon signe. Sauf dans le cas suivant : la question ô combien crucifiante des baisers liturgiques.
Ce matin, dans la sacristie de ma paroisse tradi, un abbé en clergyman est apparu, invité à célébrer la messe dans la forme extraordinaire du rit romain. Comme tous les prêtres invités à célébrer chez nous la messe dans l’usus antiquior, nous l’avons reçu avec bienveillance, prêts que nous étions, grands clercs, à le guider dans cette paroisse, où la messe est célébrée depuis 1985 selon l’édition typique de 1962, d’ailleurs libéralisée par le motu proprio Summorum pontificum.
Dans la sacristie donc, ce prêtre « invité » – de notre église ni curé ni vicaire, et de la messe de saint Pie V ni pratiquant régulier ni convaincu – a pris la licence ou l’indécence de déclarer, en s’adressant à notre curé :
À la limite, pourquoi pas, encore que ce soit du jamais vu venant d’un prêtre invité, chacun s’étant jusque-là plié aux usages de la paroisse qui les accueillait, et bien plus, aux usages obligatoires des rubriques … Mais passons, c’est en réalité l’argument que ce prêtre a donné contre les baisers liturgiques qui ne manque pas de sel :
Notre curé, mi-amusé, mi-navré, lui donna alors en éclatant de rire son approbation narquoise.
Mais que sont exactement les baisers liturgiques ? Lors de la célébration de la messe, le diacre ou tout ministre devant transmettre ou recevoir un objet de la main du célébrant, doit d’abord embrasser l’objet puis la main du célébrant s’il transmet l’objet, la main puis l’objet s’il le reçoit. Le célébrant en effet agissant in persona Christi, sa main, qui bénit, est une main à bénir, à embrasser ; c’est pour cette raison précise que ses mains, lors de son ordination, ont été ointes par l’évêque, pour bénir, et qu’elles doivent, par le fait même, être honorées en étant embrassées. Cette onction des mains lors de l’élévation au sacrement de l’ordre est attestée dès le VIIIe siècle selon la plus ancienne source écrite aujourd’hui connue : le Missale Francorum. L’origine réelle de cette tradition est au moins aussi antique que le Christ lui-même qui fit le reproche à Simon le Pharisien de ne pas lui avoir donné le baiser (Lc 7:45). Mais on peut aussi considérer, comme ce prêtre, qu’une tradition des temps christiques peut être bafouée, tout en regrettant qu’il ait fallu attendre 1929 pour que le Pape instaure la fête du Sacré-Coeur ...
Ce prêtre ayant cru bon de rappeler en chaire qu’il était curé de campagne, rappelons lui l’usage populaire des Italiens d’embrasser les mains du prêtre qui baptise et qui consacre, usage d’ailleurs obligatoire en Orient.
Nous signalerons enfin que les baisers liturgiques sont expressément mentionnés par le Ritus servandus de 1962, par exemple au IV.4 concernant les encensements :
Diaconus, parum inclinatus versus celebrantem, dicit : Benedicite, pater reverende, et osculatur cochlear, et manum celebrantis ante et post.
C’est-à-dire :
Le diacre, un peu incliné vers le célébrant, dit : Benedicite, pater reverende et baise la cuiller, ainsi que la main du célébrant, avant et après.
Nous ne résisterons pas enfin à nous appesantir un instant sur tout le comique (sinon le grotesque) de la référence d’autorité à Mgr Lefebvre de la part d’un prêtre diocésain : si donc Mgr Lefebvre avait supprimé les baisers liturgiques et que ledit prêtre voyait en lui un modèle à suivre strictement, alors peut-être aura-t-il également remarqué (et dans la négative nous nous en chargeons donc) que, contrairement à ce prêtre invité :
1. Mgr Lefebvre n’a jamais célébré la messe dite de Paul VI ;
2. Mgr Lefebvre n’a jamais porté le « clergyman » ;
3. Mgr Lefebvre avait abandonné l’usage de la barrette ;
4. Mgr Lefebvre, quand il la portait encore, n’avait jamais arboré de barrette surmontée d’un pompon peinturluré pesant un kilogramme ;
5. Mgr Lefebvre n’a jamais vu l’intérêt pour les curés de la FSSPX d’arborer des liserés multicolores sur leur soutane surtout quand ils étaient de campagne ;
6. Mgr Lefebvre préférait le grégorien à du Dvorak remasterisé sur des paroles saintes ;
7. Mgr Lefebvre savait que Mgr Bugnini n’a jamais été cardinal.
En somme, il est toujours un peu risqué de se prévaloir de Mgr Lefebvre en toutes circonstances, particulièrement lorsque tout ce qui vous rapproche de lui ne relève que d’un détail de son histoire ou d’une remarque de sacristain mal avisé. C’est, cela dit, grâce à ce genre de remarques qu’on reconnaît les faux tradis, ou les vrais ignares.
Post-scriptum : comme il appert sur cette vidéo de la messe pour la fête du Christ-Roi du 28 octobre 1990 à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Mgr Lefebvre semble ne pas « encore » avoir supprimé les baisers liturgiques. Au contraire, aucun n’est omis. Mais ne voulant surtout pas vous donner tort, nous vous faisons le crédit de croire que Mgr Lefebvre – mort 5 mois plus tard – a bien pris le temps de les supprimer in articulo mortis.
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