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Pape François : « nous voulons des évêques courageux ! »

Cet article est initialement paru dans une version abrégée dans le dernier numéro de l’Action française 2000.

Puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques

Sœur Jacqueline de Sainte-Euphémie

Les évêques exaspèrent beaucoup de fidèles. Ils ont, dit-on, des « courages de filles », pour reprendre le mot de la religieuse Jacqueline de Sainte-Euphémie, sœur de Blaise Pascal. Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi. Proches de nous, les archevêques de Paris Denys Affre et Georges Darboy, ne manquèrent pas de courage sur les barricades ou dans la sinistre prison de la Roquette.
Et pourtant, les Français qui ont refusé les pièces blasphématoires, ceux qui ont marché pour refuser la loi Taubira, ceux qui défilent chaque année pour réclamer des lois pour la Vie, sont bien en peine de trouver le secours et le soutien solide de leur évêque. Certains objecteront qu’il y a bien eu quelques calottes dans la rue, au printemps dernier : elles se comptaient sur les doigts d’une main. Pourquoi, lorsqu’on nous impose des lois contraires à la morale, nos évêques ont-ils si peur de lancer comme Pie VII au général Radet, qui lui demandait de renoncer aux États pontificaux : « Non possiamo, non dobbiamo, non vogliamo » (Nous ne le pouvons pas, nous ne le devons pas, nous ne le voulons pas).

Les évêques d’aujourd’hui sont, pour leur grande majorité, des « centristes ». Il y a bien une faction progressiste, toujours puissante avec LL.EE. Pontier de Marseille et Fonlupt de Rodez. Mais comme la faction « traditionnelle », elle demeure marginale. Il faut noter, d’ailleurs, que ces factions n’existent pas vraiment : il serait peut-être plus juste de parler de tendances. Chaque évêque est un cas unique. Toute la génération des évêques quinquagénaires ou sexagénaires a été marquée par le pontificat de Jean-Paul II. L’un des derniers évêques français nommés, monseigneur Olivier Leborgne, a été décrit comme étant la parfaite illustration de ce clergé renouvelé, ni progressiste, ni traditionnel.

Comment les définir ? L’exercice est périlleux, car il conduit à faire des généralités, qui, particulièrement en matière religieuse, n’ont pas grand sens. Essayons de ne noter que quelques éléments. Face à la diminution des fidèles, de la pratique religieuse ; face au primat de l’action (souvent politique, et de gauche) sur l’oraison, ils ont été soucieux d’engager un mouvement de réaction pour supprimer les abus pastoraux, revaloriser la vie de prière et tenter des initiatives d’évangélisation. C’est tout le sens de l’implantation des communautés nouvelles, dites charismatiques : Chemin neuf, Emmanuel … À l’image du cardinal Vingt-Trois, leur doctrine est en général assez irréprochable. En revanche, leur façon de célébrer la messe (pauvre et maladroite) est à l’image de leur attitude publique : repli, refus des nécessaires confrontations, discrétion confinant à la timidité … Bref, un « courage de filles » que les fidèles se compléter pour eux.

D’où vient-il ce « ventre mou » de la Conférence des évêques de France ? Il revient de loin, pour ainsi dire. Au risque de surprendre, on pourrait même dire qu’il était « inespéré ». Dans Le Figaro du 29 avril 2011, l’écrivain Jean Sevilla redonnait une salutaire perspective historique de la question épiscopale en France.
« La période de l’après-Concile, en effet, a vu souffler un vent révolutionnaire sur l’Église de France. […] En 1974, au congrès de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Georges Marchais, secrétaire général du PCF, était accueilli par 35.000 jeunes entonnant « L’Internationale », scène se déroulant en présence de 44 évêques, dont Mgr Marty, cardinal-archevêque de Paris, auteur, en mai 68, d’une inénarrable formule : « Dieu n’est pas conservateur ». En 1979, une enquête a montré que la majorité des évêques de France est favorable à une collaboration avec le Parti communiste, 66 % d’entre eux acceptant le bien-fondé des analyses marxistes. »

De la pensée marxiste à la doctrine catholique, il y a un gouffre que l’on a finalement renoncé à franchir, dans les dernières décennies. Et nous le devons à Jean-Paul II qui a redressé la barre des nominations épiscopales. Un exemple emblématique est la nomination de monseigneur Guy Bagnard à la tête du diocèse de Belley-Ars. Il avait été supérieur du séminaire de Paray-le-Monial où il s’était appliqué d’enseigner à nouveau le thomisme. Devenu évêque, il fonda un séminaire international.

Malgré cela, rien n’est parfait, loin s’en faut. A cause des dérives qui ont prévalu après le concile, le niveau de formation des séminaires en général a fortement baissé. La raréfaction des candidats au sacerdoce a contraint l’Église à être moins regardante sur la qualité des prêtres … et a fortiori des évêques. Et il faut admettre que la tâche est aujourd’hui plus lourde que jamais. Pour monter comme monseigneur Affre sur une barricade, il « suffit » d’avoir du courage physique. Pour gérer avec ardeur des diocèses en faillite, un clergé vieillissant et des églises vides, il faut avoir beaucoup d’espérance. Ce à quoi il convient d’ajouter que le monde, s’il put être plus violent par le passé, n’aura jamais été plus déconnecté de ses racines chrétiennes : il n’y a plus de catéchisme, plus de transmission, et donc plus de culture chrétienne. Au contraire, la culture laïciste se développe, toujours plus insidieuse et agressive.

Jean-Paul II a fait un choix, qui, s’il nous paraît aujourd’hui insuffisant, était un choix audacieux. Il a déstalinisé l’épiscopat français. Il a secoué nombre de jeunes catholiques qui ont appris, dans les grandes manifestations, à redécouvrir par eux-mêmes une foi qui n’était plus enseignée par leurs prêtres. Les conséquences n’ont pas toujours été heureuses, mais elles ont permis à l’Église de France et aux catholiques de relever la tête.

Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose des progressistes, si puissants naguère. Leurs partisans sont de vieilles personnes qui s’obstinent encore à chanter des niaiseries à la messe dominicale. Leurs pasteurs ont défroqué il y a bien longtemps pour la plupart. Leurs évêques conduisent à la ruine finale des diocèses vides de fidèles et de prêtres. Un épiscopat « classique », attaché au concile Vatican II, était le compromis choisi par Jean-Paul II pour arbitrer entre eux et la faction traditionaliste, incarnée par la Fraternité sacerdotale Saint Pie X.

Or, la situation a changé. Les séminaires traditionnels sont toujours plus remplis. Et pas seulement dans la Fraternité Saint Pie X. Les prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, du Christ-Roi, ou même des prêtres diocésains rappellent avec vigueur la Tradition éternelle de l’Église catholique, à côté de son poumon évangélique. La Communauté Saint-Martin, qui propose une vision traditionnelle de l’Église post-conciliaire, représente un tiers des entrées par ailleurs enregistrées dans les séminaires diocésains. Les évêques qui reçoivent des vocations nombreuses, comme LL.EE. Rey de Toulon, et Centène de Vannes, sont partisans d’un retour à la Tradition. De façon générale, le jeune clergé veut sortir à nouveau de ses presbytères. Il veut remettre à la mode les processions, les anciens pèlerinages, les pardons. Pas tellement pour lancer un défi arrogant à un monde hostile, mais plutôt pour lui montrer que les catholiques sont de retour, fermement ancrés sur le trône de Pierre, sûrs de leur doctrine, déterminés dans la défense de leur foi. De cette façon, ils sont les dignes héritiers de trois papes : Jean-Paul II, qui réactualisa la doctrine politique et traditionnelle de l’Église, Benoît XVI, qui ré-enseigna aux chrétiens les fondamentaux de leur foi, et enfin François qui ne cesse de montrer que l’Église doit à présent s’aventurer ostensiblement dans le monde, sans concession, pour le convertir et le rendre chrétien.

Pour en revenir à nos têtes mitrées, l’enjeu est aujourd’hui, pour le Pape et la Congrégation des évêques, de donner à la France un épiscopat qui n’ait pas peur de l’ostentation quand elle est une source d’évangélisation ; de descendre dans la rue, quand il faut adresser un Non possumus clair à nos contemporains ; de dénoncer avec force les lois mortifères, quand un gouvernement anti-chrétien les vote. Nous voulons des évêques qui veillent à notre vie spirituelle, certes, mais nous voulons aussi des évêques de combat. C’est ce que le cardinal Daniélou avait fort bien expliqué par un ouvrage célèbre dont le titre résume tout : L’Oraison, un problème politique. La foi n’est pas qu’un problème personnel, c’est aussi un problème social. La foi doit être soutenue par la civilisation.

Alors, Pape François, nous vous demandons des évêques qui soient évêques en vérité. Des évêques qui ne fassent pas passer la bienveillance de l’État sur les questions matérielles avant le meurtre de la vie à naître. Nous ne voulons pas des « évêques politiques », mais des évêques qui savent qu’être chrétien, ce n’est pas être politiquement neutre.

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