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Libé contre Polony : le droit de vivre dans une poubelle géante pour tous !

13 juillet 2015 André Samengrelo

Le torchon brûle, dit-on, entre Natacha Polony et le journal Libération. En cause, un édito de Libé moquant la réaction de riverains du canal Saint-Martin, excédés que leur quartier se transforme chaque soir d’été en une porcherie à la faveur des beuveries et autres divertissements « culturels » dont le Paris post-historique du tandem Delanoë-Hidalgo a le secret. Lesdits riverains ont eu le tort de créer un compte Instagram et une page Facebook pour faire connaitre la situation et interpeler une mairie socialiste très peu impliquée. Cela leur vaut donc les sarcasmes d’une gratteuse de Libé, qui leur reproche d’avoir cru pouvoir profiter du calme dans un quartier pourtant historiquement agité et bruyant, et de vouloir imposer leur lubie à tout le monde. Après tout, n’y avait-il pas au siècle dernier des catins à tous les coins de rue autour du canal ? On remarquera en passant que la logique du progrès de l’histoire disparait tout bonnement du logiciel de la journaliste sur le sujet. Le progrès, c’est l’acquisition du droit à changer de sexe et à squatter les demeures des vieilles dames bretonnes, mais pas celui de vivre dans un silence relatif.

Ou plutôt, non. Cette logique, au fond, reste bien présente dans le discours de Libération. En fin de compte, ici comme ailleurs, Libé se prononce pour la laideur, pour l’instabilité, et pour l’abolition de l’intimité. Car c’est cela, le progrès : le triomphe du rien et de l’indéterminé sur la structure, du chaos réputé porteur de vie sur l’ordre et l’harmonie oppressants. Tout ce qui est calme et installé, aux yeux de nos rebelles en chef, représente le mal qui empêche notre société de se réinventer dans une révolution démiurgique permanente, et doit être abattu. C’est ce qui sous-tend le multiculturalisme, la théorie du genre et le capitalisme sauvage, que Libération ne fait même plus semblant de réprouver. Alors, comme partout, lorsqu’un conflit se déclare entre les partisans du calme (peu nous importe par ailleurs que les bobos du Xe se soient soudainement senti pousser un sens commun applicable à leur seule situation, nous y verrons la nature indécrottable de l’appétence humaine pour l’ordre) et les porteurs du désordre (ces « djembéistes » vagabonds et malpropres qui constituent le modèle que vénère avec jalousie tout journaliste de Libé qui se respecte), ni une ni deux, il n’y a aucun doute sur le camp auquel va la loyauté de Libé. La crasse, les odeurs de vomi, le bruit affreux et le piètre exemple que donne à voir l’homo festivus moderne rendent presque impossible la mission d’élever des enfants ? La belle affaire. Libé n’aime pas les enfants, et préfère quand on les avorte, c’est une chose sue. L’affaire est pliée, vivent donc la foule, le carnaval permanent et la cacophonie moderne. Et sans se rendre compte, bien sûr, que c’est à nul autre que ses propres lecteurs que le journal réserve ses sarcasmes éduqués du jour. Qui sait, dans cette foule adepte de la repentance, il s’en trouvera certainement quelques-uns pour changer d’avis devant pareil prêche et pour embrasser enfin le nec plus ultra du nihilisme.

Natacha Polony répond donc à de pareils enfantillages dans un article qui a le mérite de mettre en exergue la mutation que l’homme moderne a fait subir à l’idée de liberté : l’adage fondamental qui voulait que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres n’est plus. Ainsi, lorsque deux libertés se confrontent, c’est toujours à celui qui veut suivre ses pulsions que va l’avantage. Le soiffard du samedi soir, étant poussé par un élan authentique et spontané vers la beuverie et le soulagement hasardeux des besoins naturels induits par ladite beuverie, prime dans ses désirs sur le vilain réactionnaire qui, voyant la scène se dérouler sur le pas de sa porte, déploie ses propres aspirations sur le temps-long en osant prévoir les désagréments qu’il en subira le lendemain. Tout compte fait, c’est cette primauté de la satisfaction instantanée sur toute prudence humaine qui est devenue le contenu même du concept de liberté, et nous sommes là devant un contresens abyssal. Inutile de rappeler qu’une éthique qui tend à encourager l’homme à se comporter comme le plus stupide des animaux ressemble plutôt à un dithyrambe moderne de l’esclavage qu’à une pensée de la liberté. C’est donc cette mutation que met à jour Natacha Polony dans son article, en même temps qu’une critique de la sociologie décidément toujours plus fausse de Libération, qui n’en finit pas de ne pas comprendre que la frontière entre un prolétariat authentique et plein de vie et une bourgeoisie cynique et morte dans l’âme n’a jamais existé.

Las ! Quelle folie s’est donc emparée de l’esprit de la journaliste, pour qu’elle aille défier l’arbitre suprême des élégances modernes jusque dans son credo, que dis-je, son kérygme même, le cœur de sa foi et de sa doctrine morale ? Pareil blasphème ne pouvait rester impuni. C’est ainsi que Grégoire Biseau, membre éminent de la congrégation pour la doctrine de la foi, autrement connue sous le nom de la Sainte Inquisition, a produit son réquisitoire, dans un article réservé aux abonnés de Libération. À la lecture d’icelui, on en vient à se demander si la mesure n’avait pas pour but de restreindre sa consultation au nombre des seuls lecteurs déjà acquis inconditionnellement à Libé. Car les mots suffisent à peine pour dire à quel point cette production est indigente. Pas un seul argument ne vient contredire l’analyse de Natacha Polony, pas un seul fait, pas une seule réflexion pour tenter de soutenir les propos de l’article de sa journaliste : il ne s’y agit que d’invectives, d’attaques ad hominem sur fond de suspicion de fascisme, avec en invité très attendu le sempiternel ascendant moral de la gauche, qui se contente de jeter à son opposant le mot « droite » en espérant mettre par là un terme à la discussion. Et surtout, surtout, une ironie déplacée, hors de propos, qui ne sert qu’à souligner l’absence brûlante de la démonstration dont elle ne doit être que l’agrément sous la plume du polémiste. L’auteur décrète même que Natacha Polony n’a aucun humour - on ne sait d’où sort un tel sujet, à part à considérer que Biseau appelle à lire l’article de sa consœur au second degré, ce qui serait un peu osé, mais presque convaincant, faute d’un meilleur angle de lecture. Dans cette réponse en forme de lettre de moqueries digne de la cour de récréation, seule la disqualification automatique qu’ont décidée les pontes de Libé depuis un certain temps à l’encontre de Polony et de ses semblables transparait. L’article est finalement à l’image même du mode de vie qu’il défend contre la « morale » de son adversaire : vide de sens, tout en superficialité, en bêtise contente de soi.

Le meilleur exemple en est certainement le sarcasme final, lorsque l’auteur dit attendre « la suite » des délires de la journaliste du Figaro : « ’Quand Libération défend les homophobes’, ’Quand Libération conchie les immigrés’, ’Quand Libération crache sur Charlie’. » Biseau montre là toute son erreur, car il fait mine de penser que le titre de Natacha Polony (« Quand Libération crache sur les pauvres ») signifie que la journaliste du Figaro considère que c’est un comble pour Libé de cracher sur ceux qu’il défend habituellement. Or la France entière sait bien que Libé « défend » les homosexuels, les immigrés et l’esprit Charlie. Nous leur laissons d’ailleurs bien volontiers ce combat, et n’irons jamais imaginer une seconde qu’ils s’en écartent (il en va de la sainteté moderne). Mais ce qui est vrai aussi, c’est que Libé ne défend plus les pauvres : au nom de ses orientations philosophiques, politiques et sociologiques que nous détaillions, il y a bien longtemps que cela n’est plus qu’un slogan creux.
On supposera succinctement que le chiffre des ventes du journal montre que les Français s’en sont largement rendu compte.

13 juillet 2015 André Samengrelo

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