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Dix ans après son retour dans l’Eglise catholique, le Père Michel Viot, ancien inspecteur ecclésiastique (évêque) luthérien de Paris, revient sur son étonnant parcours dans un livre d’entretiens avec le journaliste Charles-Henri d’Andigné : « De Luther à Benoît XVI ». Un ouvrage passionnant et indispensable pour la nouvelle génération du catholicisme français.
C’est un itinéraire peu commun que celui de Michel Viot : converti au protestantisme dans son adolescence, jeune socialiste, ordonné pasteur en mai 68, il deviendra évêque luthérien de Paris. Il accomplira parallèlement une fulgurante ascension dans la franc-maçonnerie, de la Grande loge de France à la Grande loge nationale française, et occupera les fonctions de vénérable et grand-officier. Après un long cheminement, il revient à l’Eglise catholique en 2001. Il est aujourd’hui prêtre du diocèse de Tours, curé de paroisse et aumônier de prison.
Loin d’être un livre à témoignage sensationnel, dévoilant les méfaits de la maçonnerie ou du protestantisme, De Luther à Benoît XVI est un ouvrage qui parle du présent, et invite à la réflexion la plus haute. Tout au long des pages, le lecteur ne peut qu’être frappé par l’érudition et l’argumentation du Père Viot. On a affaire à un homme libre, peu préoccupé par le « qu’en diras-t-on » ou la langue de bois, et qui aborde successivement des sujets aussi variés que ses années de pasteur, la franc-maçonnerie, l’affaire Boulin, le monde de la prison, le débat liturgique, la place des femmes et des laïcs dans l’Eglise, et la laïcité et l’islam en France.
De cet ouvrage, intense et riche, qui dessine une synthèse magistrale de tous ces thèmes et donne des pistes pour mieux se les approprier, nous nous attarderons sur deux principaux : son expérience du protestantisme, et son point de vue sur la réforme liturgique.
L’un des grands mérites du livre de Michel Viot à destination des catholiques est de casser un certain nombre des clichés qu’ils ont sur le protestantisme de Luther, et sur la personnalité des Pères de la Réforme. Le luthéranisme est en effet resté fidèle aux dogmes de foi énoncés par les conciles œcuméniques : la Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie était ardemment défendue par Luther, contre les partisans de Zwingli, le réformateur suisse, qui n’y voyait qu’un « mémorial » symbolique. La doctrine eucharistique de Luther, la consubstantiation, est néanmoins différente, « incomplète », selon Michel Viot, de la transsubstantiation catholique. Les dogmes mariaux (virginité perpétuelle de Marie, Mère de Dieu) ont été également conservé par la Réforme luthérienne, de même que le sacrement de confession. Enfin, la liturgie protestante luthérienne traditionnelle a gardé la structure de « l’ancienne messe » catholique, avec les autels contre le mur, le ministre du culte officiant dos aux fidèles en soutane, surplis et étole.
Par ailleurs, Michel Viot démontre que le luthéranisme, surtout scandinave, tout comme l’anglicanisme, a souhaité s’inscrire dans la succession apostolique de l’Eglise universelle du Christ. A rebours de certains intégristes, qui usent et abusent de guillemets pour évoquer le christianisme des communautés anglicanes et luthériennes, l’auteur s’interroge donc sur la validité de leurs ordinations, en citant cet échange entre l’archevêque luthérien d’Upsal, en Suède, et Jean-Paul II : « Pour moi, Très saint Père, vous êtes l’évêque de Rome. Mais pour vous, qui suis-je ? – Vous êtes l’archevêque d’Upsal. »
Très engagé dans le dialogue avec l’Eglise catholique, l’évêque luthérien Michel Viot pense revenir au catholicisme de son enfance dès 1982, lorsque l’Eglise luthérienne de France décide d’autoriser les laïcs à célébrer l’Eucharistie, comme le font les protestants réformés. Mais l’évêque catholique qu’il contacte lui répond : « Restez luthérien pour l’instant. Nous avons un dialogue œcuménique important… Nous avons besoin de vous ! » En 1999, Michel Viot est un des artisans des Accords d’Augsbourg, entre l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale, qui met fin au conflit sur la justification par la foi. Par la suite, il constate que les dignitaires protestants n’iront pas plus loin sur la route de l’unité, et il décide de démissionner de son poste en 2001, non sans ressentir le sacrifice social de ne plus être évêque luthérien de Paris…
De son ministère, Michel Viot prend acte du « choix logique » qui s’offre au protestantisme luthérien : rejoindre Rome, ou s’unir aux réformés (pourtant très loin de sa doctrine), ce qui aura lieu en France en 2013, par la fusion de l’Eglise réformée de France et de l’Eglise luthérienne en une seule institution. L’auteur reconnaît que la rébellion de Luther a poussé l’Eglise à se recentrer sur Saint-Thomas d’Aquin, Saint-Augustin et Saint-Paul lors du Concile de Trente (1545-1563), et a mis fin aux abus relatifs au culte marial par rapport à celui rendu au Christ : le Père Viot rappelle ainsi que, contrairement au refrain du chant à Marie Chez nous soyez reine, il ne faut pas dire « Qui sourit et pardonne », mais « Pour que Dieu nous pardonne », car seul Dieu peut remettre les péchés.
Officiant selon les deux formes du rite, Michel Viot juge la paix liturgique « incontournable » en France pour pouvoir mener la nouvelle évangélisation, car une partie des forces vives du catholicisme est de plus en plus sensible à la forme extraordinaire. Il fait le bilan de la réforme de la liturgie de la messe voulue par le Concile Vatican II, dont la logique était précisément de « rechristianiser une chrétienté qui n’avait plus de chrétien que le nom ».
La messe Paul VI est donc une « ré-initiation au christianisme, pour mieux s’approprier la messe dite de Jean XXIII ». La « nouvelle messe » est donc allégée, mais fidèle à la Tradition de l’Eglise et gardant l’essentiel, par la célébration eucharistique. Il n’y a donc pas d’opposition entre le rite Paul VI et le « rite ancien », qui sont en réalité deux formes de spiritualité différentes : la messe dialoguée entre le prêtre et l’assemblée (Paul VI), et la messe différenciée, où le prêtre, tout au service de l’autel, est distinct de l’assemblée (Jean XXIII). Dans les deux cas, affirme le Père Viot, la messe ne doit pas être un spectacle, et les fidèles doivent y participer.
Dans son ouvrage, l’auteur critique les changements radicaux des années soixante-dix opérés dans la liturgie, dont les chants très laids ne sont que la partie immergée de l’iceberg, et compare l’application de Vatican II, qui a supprimé l’ancien rite en de nombreux endroits, avec la Réforme luthérienne : l’abandon du latin s’est fait progressivement, et le grégorien a été conservé. A l’époque de Bach, le culte durait d’ailleurs trois heures, tellement la liturgie était importante !
Renvoyant dos à dos les progressistes et la Fraternité Saint-Pie X, Michel Viot démontre que « les extrêmes se rejoignent » sur la volonté de faire de Vatican II une « rupture » dans l’histoire de l’Eglise. S’agissant des Lefebvristes, il leur répond longuement sur le document du Concile Nostra Aetate : « Ce texte conduit à la tolérance et non au relativisme religieux. Mais peut-être la tolérance n’est-elle pas du goût de tout le monde ? »
S’agissant de la franc-maçonnerie, le Père Viot pulvérise le mythe suprême de certains catholiques dépeignant les loges comme des sectes sataniques et ésotériques. Il rappelle que le « rite suédois » de la maçonnerie scandinave et les Constitutions d’Anderson, textes fondateurs des loges, posent pour condition la croyance au Dieu Trinitaire, ce que le Grand Orient de France a rejeté en 1877.
Il affirme que le conflit historique entre l’Eglise et la maçonnerie concerne principalement la culture du secret des loges, et la diffusion, pour certaines loges françaises, de l’esprit antichrétien des Lumières, la gnose hérétique ne venant que plus tard. Ne pouvant se prononcer sur l’évolution récente de la franc-maçonnerie française du fait de son départ de la Grande loge nationale de France en 2000 pour devenir prêtre, il écrit néanmoins : « Aujourd’hui, deux fronts sont ouverts : le front ultralaïc avec le Grand Orient, auquel le gouvernement actuel donne trop d’importance ; et puis la GLNF, qui prône la gnose, autrement dit, l’hérésie à l’état pur ».
Fin politique, « n’en déplaise aux démagogues et à ceux qui avaient honte d’avoir chaussé les bottes du général (De Gaulle, NDLR) parce qu’ils avaient finalement conscience de n’être rien par rapport à lui », Michel Viot voit dans la Révolution française le renversement de la souveraineté de droit divin par la souveraineté financière, masquée par le mythe du peuple souverain. Il affirme qu’un chrétien ne peut être nationaliste, et que, si tout pouvoir vient de Dieu… il n’est pas Dieu !
Le goût de la Vérité accompagne le témoignage du Père Viot de bout en bout. L’auteur invite à ne pas se tromper de cible dans les prochains défis qui attendent le catholicisme, notamment en France. « L’esprit soixante-huitard n’a aucun avenir, mais son agonie est plus longue que prévue. Donc comprenons-nous bien, ce que défend Benoît XVI aura le dernier mot, tout simplement parce que c’est la Vérité catholique ». Il est remarquable que son livre s’intitule De Luther à Benoît XVI, étant donné que Michel Viot a rejoint l’Eglise de Jean-Paul II, en 2001 : déjà, le pontificat perçait sous le cardinal Ratzinger, pour préparer dans l’Eglise l’avènement d’une nouvelle génération. A qui le Père Viot dédie volontiers son ouvrage.
Le Rouge et le Noir recommande : De Luther à Benoît XVI, du Père Michel Viot, aux Éditions de l’Homme Nouveau.
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