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Hier en fin d’après-midi, jour de l’Immaculée Conception, j’émergeais d’une grippe monumentale qui m’avait cloué au lit et totalement privé d’appétit pendant une semaine. Mon garde-manger était vide et la faim lancinante qui m’avait soudainement repris, comme mes forces, partiellement revenues, m’avaient mécaniquement précipité de mon lit vers ma brosse à dents, mon rasoir, ma douche si bien que peu après je me glissais sur le pavé du quartier Saint-Germain pour m’acheter de quoi faire un déjeuner un peu décalé. J’avais bien entendu qu’il y aurait des émeutiers. Mais j’avais déjà connu des émeutes dans Paris, et elles ne m’avaient jamais empêché d’aller acheter des provisions dans un supermarché.
Quelques heures de sidération et de faim persistante plus tard, je commence tout juste à saisir la signification des incidents, vraiment gravissimes, dont j’ai été successivement, selon le même scénario, le témoin dans plusieurs quartiers bourgeois de Paris hier, avec une impossibilité absolue d’acheter la moindre provision, la majorité des magasins fermés et barricadés, des incendies allumés un peu partout en toute impunité par ces bandes de voyous, les rues quasi désertes à cinq heures du soir sauf évidemment lesdits individus, presque uniquement de sexe masculin, plus des camions de pompiers et des escouades de policiers très lourdement armés, les policiers ayant manifestement reçu consigne d’en faire le moins possible et les pompiers entièrement accaparés à éteindre l’incendie suivant.
Le Gouvernement français n’est pas capable, ou ne veut sciemment pas assurer l’ordre public dans sa propre capitale. Or il ne s’agit pas, cette fois-ci, des quartiers nord accusés il y a quelques années déjà d’être des zones de non droit, ni d’un ou plusieurs quartiers bourgeois isolés, comme le Trocadero et/ou le Champ-de-Mars, gravement saccagés par les mêmes voyous de banlieue qui y reviennent chaque fois que l’occasion de le faire se présente, mais de la totalité des quartiers bourgeois habités par ceux-là même qui ont précipité l’arrivée de ce Gouvernement. Et tout cela à trois semaines de Noël.
Évidemment, l’ordre public a parfois un coût, ce coût peut même monter brutalement sans que l’autorité qui en est responsable l’ait anticipé, et il y a eu des situations — Louis XVI en 1789, Nicolas II en 1917, Reza Mohammed Pahlavi en 1979 — où elle a choisi de ne pas le payer, avec dans les trois cas des conséquences catastrophiques pour l’intérêt général qui aurait dû seul les guider.
Mais justement, nous sommes d’accord que nous ne sommes pas en 1789, il est certain qu’à court terme cette lâcheté n’aura pas ces conséquences, que ça disparaîtra dans quelques jours, et que les mêmes classes dirigeantes pourront reprendre leur occupation favorite consistant à lire ou écrire d’autres articles dans le même Point expliquant qu’il n’y a pas de problème, comme elles le font maintenant depuis des années, gouvernements de droite et de gauche confondus, entre chaque crise grave plus grave que les autres (émeutes ayant nécessité le déclenchement de l’Etat d’urgence en 2005, Charlie Hebdo, 13 novembre, 14 juillet, etc.).
Soulignons que la gestion inexistante de la situation au-delà des mesures de prévention élémentaires, couplée au campement dans le déni absolu, auraient été les mêmes quel que soit le président de la République en fonctions ou le gouvernement en place, mais la principale activité des gazettes papier comme en ligne, dans les jours qui viennent, consistera à débattre de la question de la responsabilité personnelle de ces derniers dans des événements dont la cause originelle remonte à plusieurs décennies (au moins 1995, probablement plutôt 1976), alors que les principaux responsables, c’est précisent la classe sociale qui habite les mêmes quartiers que moi, mais avec laquelle je ne me sens plus rien en commun, avec son mépris du peuple, sa vulgarité, son impolitesse, son obsession de l’argent et de la réussite rapide, et son indifférence totale à l’intérêt général et au bien commun.
Alors nous ne sommes peut-être pas en 1789, mais au moins, en 1789 la France était le pays de référence par excellence de la douceur de vivre. Lorsque j’ai choisi de m’y installer, c’etait encore un pays délicieux, incarnation parfaite du Wie Gott in Frankreich, comme en témoignaient chaque détail de la vie, et même la mordante ironie par laquelle le Français n’épargne personne à part lui-même, — assez stupéfiante pour un Britannique, — tout en étant étant largement compensée par un dosage général où l’élégance des manières, la qualité de l’hospitalité dans laquelle toutes mes invitations étaient scrupuleusement rendues dans l’année, la légèreté avec laquelle étaient pris les coups durs (crises sociales et économiques déjà faussement perçues comme omniprésentes, les impôts déjà faramineux, les grèves, etc.) et surtout la joie de vivre générale qui imprégnait toutes les classes sociales faisaient de Paris une ville qui ne démentait pas le dicton allemand.
De cela, tout a disparu : les bonnes manières, l’hospitalité, et malheureusement la joie de vivre surtout. Entre deux fusillades, entre deux émeutes, la joie de vivre d’antan ne revient pas. C’est au demeurant compréhensible, mais ce qui est insupportable, c’est le déni, car la grisaille quotidienne, couplée au mensonge, c’est l’enfer. Tout, sauf l’ironie, qui est devenue encore plus méchante et omniprésente, les réseaux sociaux agissant comme des amplificateurs naturels de ce qui n’était autrefois qu’un léger et amusant défaut national. Oui, la joie de vivre est partie, et je crains qu’elle ne revienne jamais. L’étranger aujourd’hui n’a qu’une envie : fuir cette ville devenue un véritable enfer.
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