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Le débat agite le microcosme catholique depuis plusieurs semaines. Peut-on être identitaire et catholique ? Deux ouvrages récents, l’un de Laurent Dandrieu et l’autre de Maître Le Morhedec, posent les différentes questions relatives à cette identité française et cette identité catholique, et aux enjeux de sa définition. Les thèses en question ont été maintes fois débattues, notamment sur les réseaux sociaux. Certains, peut-être les plus prudents, renvoient dos à dos les analyses sociologiques qui transparaîtraient, regrettant une approche manquant de "densité spirituelle". D’autres défendent une conception compatible entre catholicisme et identité, reprochant cette attitude consistant à opposer les bons et les mauvais catholiques, tout comme une certaine partie de l’Église de France a longtemps reproché aux "tradis" d’exister. D’autres enfin, jouant les Bernanos des temps modernes, y trouvent un appui à leur théorie de la crise spirituelle des chrétiens français, jamais assez purs et qui se perdent par des chemins dont eux-mêmes se sont détournés : l’identité, pour quoi faire ?
Me Le Morhedec, dont les analyses sont hélas bien souvent orientées par une obsession étrange et très temporelle de tout ce qui peut dépasser le cadre politique classique de la droite, sous-titre son ouvrage sans aucune crainte révérencielle, Le mauvais génie du christianisme, ce qui n’aurait pas manqué de faire sourire le contre-révolutionnaire français et catholique qu’était Chateaubriand. Est-ce l’origine bretonne démocrate chrétienne ? Sont-ce les études supérieures en droit européen des affaires et le mastère spécialisé en droit des affaires internationales et management de l’ESSEC ? Est-ce une certaine ambiance de l’ouest parisien de laquelle il se défend de toute influence ? Je laisse la réflexion à d’autres car je ne ferai pas du Koz pour le plaisir... Je ne reprocherai pas davantage à Me Le Morhedec d’être convaincu, ni d’avoir la foi, ni même de souhaiter être charitable contrairement à ce qu’il pourrait sans doute me reprocher s’il me lisait. En revanche, je ne peux qu’être chaque jour plus circonspect face à des analyses toujours plus dures envers de soi-disant identitaires, catégorie fourre-tout et fantasmée quant à son essence concrète et au nombre de ses membres, qui continueraient d’enserrer contre leur sein le corps sans vie d’une chrétienté révolue et passéiste. La définition est suffisamment large pour y inclure, en effet, conservateurs et traditionalistes de tous bords, hommes politiques hors-cadre, et autres personnes (paradoxalement païennes) en appelant à une histoire chrétienne idéalisée de la France. Mais ce n’est hélas pas une définition, mais un regroupement sociologique peu à même de faire avancer le débat, sinon en enfermant dans de jolies cases prédéfinies des personnes qui ont peu à voir entre elles, malgré certains points de rapprochement. En faisant de l’exemple une généralité, il devient également délicat de ne pas se perdre dans la facilité de l’explication d’une crise spiritualo-politique fumeuse, la théorie extraite des anecdotes sur les crèches ou les soupes au lard en étant des exemples éloquents.... Bien plus, et surtout, en mélangeant trop souvent les finalités sotériologiques et politiques, il se perd souvent dans une analyse bien simple et dialectique du monde.
Laurent Dandrieu de son côté axe son propos sur la question de l’immigration, fort intéressante elle-aussi, mais qui s’avère être une des causes de la crise existentielle actuelle des Français, importante mais pas unique. Au-delà de ces deux ouvrages qui agitent le petit monde catholique, le problème est néanmoins bien plus grave. Ce débat refait surgir de manière enchevêtrée et parfaitement incompréhensible toutes les disputatio depuis vingt siècles en Occident : c’est tout à la fois la renaissance de la querelle des universaux, de l’augustinisme face au thomisme, du Saint-Empire face à la papauté, du Salut personnel et de ses rapports avec le Bien commun de la Cité...
Le format web étant ce qu’il est, quelques lignes ne permettront pas d’exposer suffisamment mon propos, mais tentons néanmoins quelques explications.
Que d’ouvrages écrits sur ce thème, que de discussions, de guerres parfois, pour connaître les rapports complexes entre le salut personnel de l’âme et la nécessité du Bien commun de la Cité, et les conséquences sur le pouvoir du pape et celui de l’Empire, sur la légitimité des ordres et le respect dû à chacun. La question peut-elle seulement être définitivement tranchée ? Assurément elle a une part de contingence et de prudence importante, que l’histoire nous rappelle si souvent : compétence des juridictions ecclésiales ou temporelles, compétence pour déclarer une guerre ou l’arrêter, compétence pour nommer des évêques, compétence pour diriger un État... Plus largement l’histoire nous rappelle qu’il existe une frontière floue entre ce qui relève de l’autorité du Pontife et ce qui relève de celle du pouvoir temporel.
Comme le disait le pape Gélase à l’empereur de son temps :
« Il y a principalement deux choses, Auguste Empereur, par quoi ce monde est gouverné : l’autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal. De celles-ci, les prêtres portent une charge d’autant plus grande, qu’ils doivent rendre compte au Seigneur même pour les rois devant le jugement divin […] Vous devez courber une tête soumise devant les ministres des choses divines et c’est d’eux que vous devez recevoir les moyens de votre salut. »
[...]
« Dans les choses concernant la discipline publique, les chefs religieux saisissent que le pouvoir impérial vous a été conféré d’en haut, et eux-mêmes obéiront à vos lois, de crainte de paraître aller à l’encontre de votre volonté dans les affaires du monde. »
Mais qu’est-ce que cette fameuse discipline publique que nul n’ose vraiment définir sans trembler ? Le débat actuel porte ainsi en partie sur la compétence respective du pape ou du politique dans l’accueil des migrants, débat assez largement développé par le livre de Laurent Dandrieu. Si l’on s’en réfère au texte ci-dessus, dans quel cadre sommes-nous ? Lorsque le pape parle de l’accueil des migrants, parle-t-il dans son domaine de compétence lié au salut, ou parle-t-il en tant qu’expert en Bien commun de la cité relevant de la légitime action du politique ? Un peu des deux sans doute, mais néanmoins sur le plan politique, et sans devenir un affreux identitaire qui nierait sa foi, contrairement à ce que certains affirment, il y a une légitimité parfaite du politique à lui répondre et à opposer des arguments parfaitement recevables. Quand bien même ce politique ne serait pas un cul-béni ou une grenouille de bénitier. Les arguments en sens contraire s’entendent, qui témoignent d’un respect absolu mais confinant hélas parfois à une idolâtrie de l’autorité du discours papal. Je me méfierai ainsi toujours des purs qui oublieraient des erreurs au plan politique commises par certains papes sur des sujets ne relevant pas du seul salut personnel, tout comme il faut toujours se méfier de ceux qui rejettent toute optique sotériologique dans les prises de position du Saint-Père sur le plan politique.
Ces querelles sur l’identité témoignent de la fin de nos identités communes : où est la joie de vivre de ce peuple de France que regrettait déjà Saint-Exupéry au siècle dernier ? Où est la conviction des catholiques d’aller vers le Salut dans la communion des saints, malgré leurs différences ?
Contrairement à Me Le Morhedec, je ne suis pas optimiste sur la permanence future des identités des peuples. Dans un monde libéral voire libertaire au sens philosophique du terme, c’est Occam qui l’emporte sur saint Thomas. L’identité n’est plus que personnelle, et cela se retranscrit dans toutes les facettes de la société française, ou plutôt ce qu’il en reste. C’est aujourd’hui un droit que de se marier, d’avoir un enfant, d’avorter, de prier, de coucher, de manger ou de se loger, de toucher des allocs mais un droit personnel, atomisé, sans but et sans finalité que l’individu. Individu qui s’oppose à la personne, individu qui s’oppose aux peuples, aux cultures, aux essences secondes. C’est la volonté qui prime l’intelligence, faisant de l’intérêt personnel l’alpha et l’oméga de la vie.
L’individu atomisé se regroupe ensuite par affinités variables, sociologiques, religieuses, économiques, sexuelles, politiques, formant des "communautés" qui n’en sont pas véritablement car elles ne visent aucune cause finale constructive, au plan spirituel comme au plan temporel. Ces communautés diffèrent en effet des communautés réelles temporelles (syndicats, associations, mouvements de jeunesse, etc.) ou spirituelles (communautés religieuses, paroisses, mouvements chrétiens...) qui s’insèrent dans des réalités temporelles (la Cité), ou dans des réalités spirituelles (l’Église) qui les dépassent et qu’elles servent.
On a la communauté des intellectuels, des bobos, des socialistes, des LGBTQI(XYZ), des musulmans de Seine-Saint-Denis, etc. Bien plus, ces fausses communautés se croisent, s’entrecoupent, selon les centres d’intérêt du moment présent (les sexualités nominalistes au sein des mouvements LGBTQ par exemple) afin d’obtenir par un Législateur arbitre l’avancée de leurs intérêts particuliers. Elles s’affrontent également, afin d’obtenir de ce même État-arbitre plus ou moins de libertés, de droits, d’avantages... Les catholiques n’échappent pas à la règle, qu’il s’agisse de Me Le Morhedec ou moi-même.
Une communauté catholique peut être une réalité bonne, elle peut aussi n’avoir comme justification de son existence que son origine sociologique, sa conception politique étriquée, sa propre satisfaction d’avoir raison face aux autres catholiques quant aux modes de salut, comme si Dieu se contentait de nos catégories humaines étriquées. Elle peut alors dévier de son but, tomber dans un communautarisme qui menace autant Me le Morhedec que les tradis, les progressistes, les charismatiques ou autres. Si la question identitaire surgit, c’est que nous sommes dans des causes de disparition des identités, phénomène débuté au XVIIIe siècle et qui se poursuit jusqu’à nos jours.
Face à cette atomisation du monde, toute réponse tendant à catégoriser des identitaires catholiques est pure vanité et ne mène à rien de bien constructif, sinon à se convaincre qu’on a forcément raison et depuis longtemps : Me le Morhedec en avait-il besoin ? Elle ne répond pas aux questions de fond qui se posent à notre temps, notamment au plan temporel.
Forts de ces deux constats, il convient de renouveler largement le débat actuel. Nier l’histoire chrétienne de la France serait aussi absurde que nier le fait qu’elle n’est plus chrétienne. En tirer cependant comme conséquence que seuls les purs aux intentions pures pourraient défendre certains pans visibles ou invisibles du christianisme et de son impact culturel ancien est absurde : tout comme il est bon qu’il existe des gens de tradition chrétienne pour faire des maraudes le soir dans nos villes et défendre cette culture française de l’aide aux pauvres transmise par tant de saints chrétiens, il est bon qu’il existe des gens pour défendre le patrimoine architectural, symbolique (crèche), gastronomique issu de notre culture imprégnée de christianisme. Nous ne sommes plus ici au plan du salut individuel direct, pas plus que nous sommes face à une histoire idéalisée. Nous sommes face à la promotion (qui passe aussi par la défense) de ce qui fait la France et pourrait de nouveau demain faire la France, si tant est que certains catholiques arrêtent de se plaindre qu’on leur vole un héritage qui ne leur appartient pas en propre.
Bien davantage, il s’avère indispensable que tant les laïcs que les pasteurs questionnent les questions de frontière entre sotériologie et Bien commun, entre légitimité du discours et portée de celui-ci. Cela nous éviterait sans doute beaucoup d’incompréhensions et une clarification des débats, notamment en France, où l’on trouve :
Bien plus enfin, il convient d’arrêter de ne voir que nos petites questions de catholiques, la promotion de l’identité française passant et par sa source purement chrétienne visible (églises, chapelles, crèches, pas d’interdits alimentaires), et par le génie français qui n’est pas spécifiquement chrétien bien qu’il en découle souvent : défense de la langue, de l’art, de la philosophie, de la diplomatie, du mode de vivre à la française si léger et profond en même temps...
Le débat de fond est plus complexe que les anathèmes, comme le rappelait Chateaubriand : « C’est une méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu’on ne peut comprendre. » Là résident sans doute le véritable génie du christianisme et le génie français.
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