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François Fillon, la salutaire surprise

« Si cette grande œuvre fut réalisée en dehors du cadre antérieur de nos institutions, c’est parce que celles-ci n’avaient pas répondu aux nécessités nationales et qu’elles avaient, d’elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente. Le salut devait venir d’ailleurs. »

(Charles de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946.)

Les Français, après les désastres successifs que constituèrent la débâcle de 1940, puis le naufrage de la Quatrième République, appuyèrent, contre la volonté des appareils partisans, le projet du général de Gaulle de rétablir la dignité et l’efficacité de l’État.

Toutes proportions gardées, c’est un rôle comparable qu’ont peut-être timidement amorcé les électeurs qui se déplacèrent dimanche pour porter François Fillon, qui s’est toujours revendiqué de l’héritage gaulliste, en tête de leurs suffrages lors du premier tour de la primaire à droite.

Fillon, l’anti-Trump ?

L’attention médiatique, entièrement soumise au diktat court-termiste de l’évènement, s’est surtout portée sur le parallèle avec les résultats inattendus du référendum outre-Manche sur le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

D’une manière assez comparable au mécanisme à l’œuvre dans les grandes démocraties anglo-saxonnes, le score de François Fillon a déjoué tant les sondages que les calculs de l’appareil politique auquel il appartient, qui s’était massivement rallié à Alain Juppé dans l’espoir de s’assurer ainsi une place dans le dispositif gouvernemental qui émergera en 2017.

Ce sont pourtant les différences qui devraient surtout nous interpeller.

D’abord, contrairement aux chefs du mouvement Brexit comme au promoteur immobilier new-yorkais que le peuple américain a porté à la Maison-blanche, dépeints unanimement et, il faut le reconnaître, assez justement, comme des outsiders et des aventuriers sans véritable projet, François Fillon est un pur produit du sérail.

Ensuite, l’ancrage de ses convictions, contrairement à celles des populistes anglo-saxons, est profond et ancien. L’hyperprésidence imposée par Nicolas Sarkozy l’a rendu politiquement invisible pendant toute la durée de son passage à l’hôtel Matignon. Toutefois, en dehors de ces cinq années où il a semblé avoir abdiqué toute consistence, sans jamais faire défaut de loyauté au chef de l’État, François Fillon n’a jamais dévié des fondamentaux idéologiques du gaullisme auquel il adhéra dès plus jeune âge. À la différence de ses deux principaux rivaux pour l’investiture des Républicains il n’a jamais été mis en examen et son casier judiciaire est vierge.

C’est donc la cohérence, la sincérité et l’honnêteté d’un parcours, davantage qu’une vague populiste, qui ont porté M. Fillon dans un élan qui le met en bonne place pour rassembler la famille de droite lors des élections présidentielles de 2017.

François Fillon est, contre toute attente, récompensé de n’être pas tombé dans le piège populiste

La candidature de François Fillon, si elle se concrétise, sera donc tout sauf une candidature populiste. De ce point de vue, on peut faire une constatation qui la favorisera, et formuler un conseil qui, s’il est suivi d’effet, devrait lui assurer la magistrature suprême.

Le spectaculaire retour à meilleure fortune du parti néogaulliste, au plus mal il y a deux ans encore, après les échecs successifs de deux présidents de la République, aurait dû en toute logique profiter au Front national, qui avait alors toutes les cartes en mains pour réunir contre la gauche une coalition des classes populaires et de la classe moyenne comparable à celle qui a été décisive dans le succès électoral de Donald Trump.

On sait qu’il n’en a rien été. Le Front national a clairement fait le choix d’une ligne chevènementiste, agressivement europhobe et indifférente aux aspirations conservatrices d’un électorat de droite provincial alors circonstanciellement orphelin de tout porte-drapeau issu de la droite dite « républicaine ». Au soir du premier tour de la primaire à droite, c’est désormais Marine Le Pen qui se retrouve, telle l’arroseur arrosé, orpheline des deux épouvantails sur lesquels elle comptait encore peut-être pour attirer suffisamment de voix pour être en finale des présidentielles, au-delà des Français de souche modestes dont elle a fait le socle de son électorat. Avec l’élimination de M. Sarkozy dès le premier tour et surtout celle de M. Juppé, désormais plausible, au second, le Front national pourrait cumuler les faiblesses des deux adversaires de l’élection présidentielle américaine : la politique économique, jugée peu crédible qui avait handicapé M. Trump, et l’indifférence aux questions identitaires qui fut fatale à Hillary Clinton.

C’est paradoxal, mais François Fillon est pour l’instant récompensé de ne pas avoir succombé au piège populiste. Il pourra déjouer les tentatives de l’embarrasser à propos des soutiens qui pourraient continuer de lui être apportés en provenance du parti de Mme Le Pen ou de ses électeurs en faisant remarquer que ces soutiens n’engageaient que leurs auteurs et qu’il gouvernera en tout état de cause sans eux.

François Fillon pourra rassembler plus largement qu’un Alain Juppé désormais discrédité par un ancrage et la recherche de soutiens ostensiblement de gauche

Mme Le Pen pourra se consoler de n’avoir pas été la seule à avoir été piégée, dans la perspective de 2017, par des choix idéologiques et stratégiques hasardeux. Alain Juppé a récolté, dimanche dernier, le fruit amer d’une stratégie invraisemblable consistant à rechercher ouvertement l’appui de la gauche et à afficher un positionnement agressivement anti-identitaire, alors même qu’il s’agit là clairement des deux ressorts prioritaires pour l’électorat de droite et vraisemblablement, si les exemples américain et britannique sont sur ce point pertinents, une partie significative de l’électorat de gauche : le désir de rompre enfin avec des politiques de gauche perçues par l’électorat de droite comme ayant conduit à l’abaissement de la France, d’une part et, au-delà cette fois de la seule classe moyenne, l’inquiétude de beaucoup de Français, de souche comme immigrés mais intégrés, quand à la capacité de la France, si elle n’est pas gouvernée avec davantage de bon sens, à transmettre à leurs enfants les valeurs qui les ont vus grandir et auxquelles ils sont attachés, d’autre part.

François Fillon présente, de ce dernier point de vue, le profil idéal pour emporter l’adhésion d’un pan très large allant bien au-delà de son camp. Cette large coalition pourra inclure : le socle constitué de la classe moyenne provinciale qui a clairement été le moteur de son électorat du premier tour des primaires ; les électeurs déboussolés par les pirouettes idéologiques de Mme Le Pen, ensuite ; mais aussi les Français de tous les milieux écoeurés par ce qu’ils perçoivent, à tort ou à raison, comme l’incompétence et le népotisme du système politico-administratif actuellement en fonctions ; pour beaucoup d’entre eux, l’incompréhension est également motivée par l’acharnement idéologique du Gouvernement à mettre en oeuvre contre vents et marées ses projets sur quelques sujets — essentiellement les projets de société et la radicale transformation d’un système éducatif dans lesquels ils ne se reconnaissent absolument pas.

C’est sur la capacité du candidat à exercer dignement la fonction présidentielle que les Français trancheront et non sur le détail des programmes et encore moins des affiliations religieuses

On peut enfin remarquer, au vu de la tournure que semble prendre la campagne présidentielle, que le critère déterminant le choix que feront les Français lors de l’élection présidentielle sera moins le détail des programmes des candidats que leur capacité supposée à exercer la fonction.

Le réflexe monarchique qui subsiste en France malgré l’ancrage ancien, désormais, de la République a beaucoup joué dans l’apaisement institutionnel qui a marqué la Cinquième République. C’est pour ce motif que les échecs successifs, pour les raisons opposées, des deux derniers titulaires de la fonction présidentielle, le premier par excès de vulgarité, le second par son incapacité à l’incarner dignement, ont heurté l’opinion plus fortement que ne l’ont perçu les sondages et le milieu politique.

La cohérence qui se révèle entre la dignité dont François Fillon ne s’est jamais départi depuis le début de sa carrière politique et la sincérité incontestable de son attachement aux valeurs essentielles du gaullisme, — totalement délaissées par un Nicolas Sarkozy qui n’en maîtrisait pas le fonctionnement institutionnel, puis par un François Hollande au mieux indifférent, au pire sourdement hostile, — sont arrivées à point pour convaincre un électorat blessé par un abaissement national qu’ils ressentent moins au plan économique qu’au plan institutionnel et identitaire. C’est sur ce point précis que le positionnement d’Alain Juppé a été en décalage total avec l’humeur des électeurs qui se réclament de sa famille politique et qu’il s’est retrouvé, au lendemain du premier tour, sans stratégie crédible pour corriger cette erreur.

Le choix, appliqué pendant trois jours, puis abandonné lors du débat de l’entre-deux-tours, d’agresser violemment François Fillon en affirmant faussement qu’il voudrait abroger la loi Veil ou le mariage pour tous, et plus généralement à le faire passer pour un extrémiste à la limite du fascisme, a donné l’impression que M. Juppé avait perdu la tête et il s’est ainsi lui-même départi, peut-être irrémédiablement, de la stature présidentielle qu’il avait tenue pour acquise lorsqu’il était en tête des sondages.

Il est évidemment trop tôt pour affirmer que ce très mauvais calcul lui sera fatal au moment du second tour. Mais les Français savent très bien que les convictions religieuses de François Fillon sont une affaire privée, comme l’étaient celles du général de Gaulle, catholique très pratiquant à qui il paraissait normal de faire chanter le Te Deum lors de la Libération de Paris ou de faire la génuflexion devant le pape Jean XXIII lors d’une audience publique, mais qui ne communiait jamais lorsqu’il assistait à la messe à titre officiel. En dehors d’une petite minorité chez laquelle l’anticléricalisme et la complaisance envers le mahométanisme ont pris une tournure obsessionnelle et pour obtenir l’appui de laquelle Alain Juppé semble avoir depuis longtemps fait un pacte faustien, le peuple français se réjouit que pour la première fois depuis très longtemps, un homme d’État qui n’a pas à prouver la réalité de son attachement aux valeurs de la République se dise inquiet des coups portés à l’identité de la France et s’engage à la défendre.

On ne peut ainsi qu’espérer que François Fillon, malgré le mauvais procès qui lui est fait par des politiciens calculateurs et des extrémistes totalement déconnectés du bon sens qui n’a jamais cessé d’habiter la majorité des Français, sera très largement investi lors du second tour de la primaire de la droite et du centre et que cet élan le portera ensuite à l’Élysée, rassemblant autour de lui, comme Charles de Gaulle en son temps, la partie la plus large possible du peuple français.

Si le scénario que nous esquissons se réalise, c’est donc une salutaire surprise qu’aura constitué le résultat du premier tour de la primaire du 20 novembre 2016.

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