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[EX-LIBRIS] Jean-Marie Salamito : Monsieur Onfray au pays des mythes

Recension de l’ouvrage de Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes, Réponses sur Jésus et le christianisme, publié en mai 2017 aux éditions Salvator. 160 pages.

Professeur d’histoire du christianisme antique à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), Jean-Marie Salamito a récemment dirigé avec Bernard Pouderon et Vincent Zarini le volume Premiers écrits chrétiens de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2016). Il avait déjà pris la plume en 2009 pour dénoncer les erreurs et les partis pris de la série télévisée L’Apocalypse de Mordillat et Prieur.

Jésus est-il un mythe ? Paul fut-il un impuissant névrosé et violent ? La mère de Constantin faisait-elle le tapin ? La patristique est-elle une longue et ennuyeuse éclipse de l’intelligence ? La lecture de Décadence, le dernier ouvrage de Michel Onfray, laisse perplexe tout lecteur ayant quelques notions de l’histoire du christianisme antique. Il ne pouvait donc que faire bondir un historien spécialisé dans cette période.

Celui-ci réussit fort bien à travers les huit chapitres de ce livre à répondre point par point, tout en restant accessible pour le grand public, aux erreurs, approximations et sarcasmes de Michel Onfray sur les premiers siècles du christianisme. Il est tout d’abord frappant d’observer la différence d’approche : alors que les références précises sont peu nombreuses voir inexistantes dans Décadence, elles fourmillent dans l’ouvrage qui lui répond. La rigueur de l’historien répond à la plume persifleuse du médiatique philosophe. Il est d’ailleurs fort honorable que Jean-Marie Salamito s’en tienne à une stricte rectification des (graves) erreurs historiques sans transformer l’ouvrage en apologétique ou en pamphlet contre Michel Onfray.

Il est inquiétant de voir se propager cette idée que Jésus serait un mythe alors même qu’un large consensus existe au sein des historiens pour affirmer qu’il a bien existé. Passant brièvement en revue les témoignages historiques non chrétiens (Flavius Josèphe, Pline, Suétone, Tacite), l’auteur rappelle que lors des polémiques pourtant souvent vives et acérées avec les juifs et les païens, on n’observe pas de remise en cause de l’existence de Jésus. Jean-Marie Salamito procède à la fois à une réponse historique et à une analyse des procédés littéraires employés par Onfray pour aboutir à ce mythe (usage d’un vocabulaire dépréciatif, les apocryphes sont privilégiés par rapport aux écrits canoniques, réécriture des textes utilisés...).

De même l’analyse à laquelle se livre Onfray de l’écharde dans la chair de saint Paul (il annonce qu’il s’agit d’une impuissance sexuelle) et la vision qu’il donne du personnage (névrose, haine de l’intelligence) est proprement délirante et ne reposent en rien sur les textes du Nouveau Testament. Onfray continue en faisant allégrement l’amalgame entre un antisémitisme des pères de l’Église et celui du nazisme. S’il y a certes des passages dans les homélies Contre les juifs de saint Jean Chrysostome que Salamito trouve proprement insupportables, passer de ceux-ci à l’idéologie nazie relève de l’absurdité. De plus bien d’autres textes comme Le Dialogue avec Tryphon de Justin mettent au contraire en lumière un débat plus apaisé entre juifs et chrétiens.

Comment considérer que la patristique serait un “trou noir” de la réflexion et de l’intelligence ? Il suffit de montrer à quel point saint Augustin (dont Salamito est par ailleurs un spécialiste) est lu aujourd’hui dans le monde pour voir l’absurdité d’une telle affirmation. Bien au contraire, pour le lecteur qui se penche un peu sur cette période, c’est le dynamisme de celle-ci qui surprend devant la multiplicité des œuvres et des auteurs et le jaillissement des idées. On est bien loin d’un assoupissement intellectuel. C’est tout le contraire ! Onfray ricane devant les débats théologiques en accumulant les termes techniques ; Salamito rappelle que l’accumulation de termes de n’importe quel domaine spécialisé produit auprès du lecteur non formé dans ce domaine la même perplexité. Là encore Onfray n’emploie pas d’argument historique sérieux mais utilise des procédés rhétoriques pour s’en prendre au christianisme. Et que dire des erreurs dans l’orthographe, allant jusqu’à inventer par confusion de nouveaux auteurs patristiques... C’est surtout une méconnaissance de cette période et de cette littérature qui ressort de tout cela. Un dernier exemple : « Prenant Origène de très haut, notre philosophe d’aujourd’hui estime que le théologien du IIIe siècle n’était « pas bien doué pour les significations allégoriques ou les sens métaphoriques ». J’entends d’ici l’hilarité de mes amies et amis qui mènent des recherches sur Origène [...] » (p.86).

Savoir, sexe, vie, pouvoir, violence... Et que dire de l’insinuation tentant de faire passer Constantin pour (au sens propre) un fils de p*** ? (p.128) Les clichés éculés fatiguent à la longue et ne relèvent aucunement de la philosophie dont se targue Michel Onfray. Pour un auteur qui dénonce l’antisémitisme dont serait coupable le christianisme, celui-ci ferait bien de prêter attention à ceux qu’il véhicule sur les chrétiens.

Si Michel Onfray associe monachisme et masochisme, il oublie bien vite de faire les mêmes associations en ce qui concerne les vies des philosophes qui appellent elles aussi à la maitrise des passions. Concernant par exemple Hypatie, mathématicienne et philosophe à Alexandrie, « Onfray ne regarde pas son renoncement à la vie sexuelle comme du masochisme » (p.177). Son lynchage en revanche par DES chrétiens (alors même que les événements qui ont conduit à ce lynchage concernaient deux groupes chrétiens : « Vers 413, lors de tensions entre Cyrille, évêque d’Alexandrie, et Oreste, préfet gouvernant l’Égypte, lui-même chrétien, Hypatie soutint le second » (p.177-178). Celle-ci avait d’ailleurs « une majorité d’élèves chrétiens, dont deux furent évêques ») est utilisé par Onfray pour procéder à une généralisation (LES chrétiens) à laquelle il ne procède pas concernant l’islam ou les persécutions subies par les chrétiens de la part des païens. C’est tout l’art de l’amalgame.

Il ne faut pas se laisser abuser par l’aplomb avec lequel Michel Onfray répète régulièrement dans les médias les mêmes clichés et attaques contre le christianisme : derrière les effets de style, les arguments historiques sont bien souvent absents. Comme l’écrit Jean-Marie Salamito, la critique du christianisme est bien évidement autorisée, mais qu’elle se fasse alors avec des arguments sérieux, avec des sources précises et une véritable exigence intellectuelle. Tout le monde en sortira gagnant.

Par sa clarté et sa précision, ce livre est plus qu’une réponse utile au seul lecteur de Michel Onfray, il est aussi un petit livre de combat pour le chrétien et l’étudiant en christianisme antique fatigué par les clichés récurrents qu’il entend régulièrement. Notons enfin que la brève bibliographie qui termine l’ouvrage est fort pertinente et n’est pas à négliger. « Le christianisme est une religion d’historiens [...]. Pour livres sacrés, les chrétiens ont des livres d’histoire et leurs liturgies commémorent, avec les épisodes de la Vie terrestre d’un Dieu, les fastes de l’Église et des saints, » écrivait Marc Bloch.

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