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Codirigé par Bernard Pouderon (professeur de littérature grecque tardive à l’Université François-Rabelais de Tours) et Enrico Norelli (professeur d’histoire du christianisme à la Faculté de Théologie de l’Université de Genève), cet ouvrage est le premier d’une série de six volumes qui ont vocation à retracer l’histoire de la littérature chrétienne depuis le début du christianisme jusqu’au quatrième concile œcuménique de Calcédoine en 451. Le projet étant finalement repris par Les Belles Lettres dans la collection « L’Âne d’or », ce volume ainsi que le deuxième, respectivement parus initialement en 2008 et 2013 aux Éditions du Cerf, ont bénéficié d’une mise à jour et d’une nouvelle édition. Ce premier volume n’est pas une introduction en tant que telle qui présenterait un panorama de l’histoire de la littérature grecque chrétienne sur la période couverte mais un ensemble d’études indépendantes les unes des autres sur des questions méthodologiques et transversales. L’on doit souligner l’effort réalisé pour rendre accessible à un large publique des sujets assez techniques et coordonner les différentes contributions qui se complètent en évitant les redites (les seules répétitions, assez mineures, concernent les histoires ecclésiastiques).
La première contribution, celle d’Enrico Norelli, intitulée Histoire de la littérature et histoire des institutions chrétiennes : quelques considérations de méthode sur le seuil d’une histoire de la littérature grecque chrétienne ancienne précise et justifie les limites chronologiques et les choix méthodologiques de cette ambitieuse entreprise. Après une réflexion théorique sur la possibilité d’écrire une histoire littéraire chrétienne et sur ce que recouvre une telle notion, il annonce que les cinq autres volumes incluront aussi bien les écrits des auteurs de la Grande Église que de ceux qui se situent en marge (écrits apocryphes, hérésies, ...). On peut relever deux arguments principaux pour motiver ce choix : il s’agit d’une histoire littéraire (des critères non littéraires et non historiques sont donc peu recevables) et nombres d’œuvres qui ont pris place dans la tradition de l’Église ne peuvent s’expliquer sans aborder les œuvres qui ne font pas partie de cette même tradition. La spécificité du Nouveau Testament (le processus de formation du canon, son histoire, sa transmission, ...) fait cependant que celui-ci ne sera pas abordé pour lui-même. On notera enfin deux rappels importants dans cette contribution : la complexité, surtout pour les premiers siècles, du lien entre l’oralité et les textes ; et le rappel que cette littérature chrétienne, écrite, est celle d’une élite.
L’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée ainsi que les œuvres de ses continuateurs sont fort précieuses pour l’historien de la littérature chrétienne. C’est donc sans surprise que Paolo Siniscalco commence l’histoire de La tradition des histoires de la littérature par une longue étude de ceux-ci avant d’aborder le De Viris Illustribus de Jérôme et les productions du même type (Isidore, Ildefonse, ...) jusqu’au Moyen Age latin. Il est utile de noter que si cette histoire s’intéresse exclusivement à la littérature chrétienne de langue grecque, nombre de points transversaux de ce volume obligent régulièrement à parler aussi de la littérature latine chrétienne. Paolo Siniscalco détaille ensuite comment l’activité religieuse provoquée par la Réforme et la réaction catholique qui s’en suivi a suscité un intérêt profond pour la production littéraire des pères de l’Église et un développement rapide au XVIe siècle de l’édition de leurs textes (la contribution de Martin Wallraff reviendra aussi sur le sujet). Il aborde enfin l’apparition au XVIIe des premiers manuels de patrologie puis retrace les principales histoires de la littérature du XIXe jusqu’à celles du XXe (Stählin, Puech, Bardy, ...).
« Comme la plus grande partie de la littérature classique, la littérature grecque chrétienne des premiers siècles est dans l’ensemble mal conservée » déplore Rémy Gounelle (p.127) en introduction au chapitre concernant La transmission des écrits littéraires chrétiens. Si la période de l’« Age d’or » de la patristique (IVe-Ve siècles) est moins touchée que les autres, les écrits d’avant Nicée sont peu nombreux à être arrivés jusqu’à nous. Les raisons en sont multiples. Elles sont tout d’abord matérielles : les manuscrits sont rares et les copies coûteuses. Si le manque d’intérêt prolongé pour un auteur pouvait être fatal à ses œuvres, les condamnations, parfois tardives d’autres auteurs (comme Origène par exemple) nous ont privé d’une partie ou de la totalité de leurs œuvres. Au contraire, certains écrits d’auteurs mineurs ou considérés comme hérétiques nous ont été transmis, soit à travers les réponses qui leur ont été faites (Eunome) soit qu’elles aient circulé sous un faux nom. On distingue différents types de transmission, fort inégales suivant les œuvres : la tradition directe, en grec ; des traductions en d’autres langues (latin, arménien, ...) qui sont parfois des adaptations assez libres des œuvres originales ; des fragments et citations via, entre autre, les florilèges et abrégés (des moyens de diffusions très utilisés du fait de la difficulté de copie et d’accès aux textes).
Gilles Dorival analyse Les formes et modèles littéraires des écrits de la littérature chrétienne par type et par période, à la fois pour en montrer l’héritage hellénique (vies des hommes illustres, historiographie, ...) et l’héritage juif (les Testimonia, certaines formes d’historiographie, les apocalypses, ...) mais aussi les innovations propres aux œuvres chrétiennes. L’évolution de ce double héritage est par exemple bien visible dans la littérature chrétienne de controverse dont les formes varient fortement suivant qu’il s’agit de polémique avec les juifs, avec les païens ou de controverse interne (développement théologique, lutte contre les hérésies).
Dans une étude sur L’évolution dogmatique et son expression, Marie-Anne Vannier se concentre principalement sur l’explicitation et la définition progressive et de plus en plus précise des deux thèmes théologiques majeurs de la période : la christologie et la théologie trinitaire.
Marie-Ange Calvet se penche quant à elle sur l’esthétique de ces auteurs qui ont été, pour la quasi totalité d’entre eux éduqués et façonnés par cette paideia dont ils utilisent les formes et les modèles même lorsqu’il s’agit de la critiquer. Ces auteurs ont une double culture, biblique et hellénique, qui renouvelle profondément l’esthétique dont ils héritent. Leurs écrits sont imprégnés de références bibliques explicites et implicites et si la paideia est en grande partie conservée, elle est aussi renouvelée et subordonnée à une sorte de rôle de servante et de propédeutique à la sagesse chrétienne. Marie-Ange Calvet insiste particulièrement sur ce principe de simplicité revendiqué, non sans contradiction, par ces auteurs chrétiens. Il s’agit, plus qu’une volonté de dépouillement esthétique, d’une recherche de clarté dans le but de rendre aussi accessible que possible le message chrétien. « L’application de l’exigence de simplicité ne sera pas exempte de difficultés et de contradictions [...] En fait, elle s’adresse d’abord à ceux-là, les plus instruits, qui attendent d’être charmés par le talent rhétorique, et elle ne peut être véritablement comprise que par eux. C’est d’eux en effet qu’on exige l’effort de ne pas s’attacher à la virtuosité, de comprendre que la beauté, la teneur du message chrétien sont évidentes, indépendantes de la forme, de la qualité littéraire » (p.234).
La contribution de Martin Wallraff, Les éditions des textes patristiques, montre comment les textes patristiques grecs furent d’abord publiés dans des éditions en traduction latines et qu’il fallu attendre la Renaissance et les débats de la Réforme et de la Contre-réforme pour que l’on observe des progrès significatifs dans l’éditions des manuscrits et la recherches des textes d’origines. C’est au travail, au XVIIe, des bénédictins de la Congrégation de Saint Maur que l’on doit de grands projets éditoriaux qui font progresser la qualité des éditions disponibles (note des variantes, annotations, ...) et éditent des textes jamais édités jusque là. Un grand nombre de ces textes furent réédités au XIXe siècle par l’abbé Migne à une échelle « industrielle » (p.271). Cette étude s’étend jusqu’à nos jours et aux éditions récentes, tant aux collections générales (GCS, Sources chrétiennes, Corpus Christianorum, ...) qu’aux collections dédiées à des auteurs bien précis (Comme Augustin ou Grégoire de Nysse par exemple).
Dans la dernière section de l’ouvrage, Instruments de travail pour l’étude de l’ancienne littérature grecque chrétienne, Benoît Gain présente les différents ressources papiers, mais aussi - et c’est à noter - électroniques (Dictionnaires, histoires, collections, revues, travaux de références, outils, ...) qui seront d’une aide précieuse aussi bien pour le lecteur cultivé qui veut approfondir un thème, une période ou un auteur particulier que pour l’étudiant ou le chercheur.
On ne peut que se réjouir de voir cet ambitieux projet continuer puisqu’après la réédition fin 2016 des deux premiers volumes, le troisième sera publié dans quelques semaines, et couvrira la production littéraire du IIIe siècle, de Clément d’Alexandrie à Eusèbe de Césarée. Les tomes IV à VI, sous la direction de Sébastien Morlet, seront répartis par aires culturelles et devraient suivre rapidement.
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