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Notre frivole et norme actualité a été bousculée il y a peu, par l’irruption soudaine, de la violence terroriste sur notre propre territoire. Et ont été suscités chez nous, l’effarement, la stupeur et paradoxalement l’extase. Nous avons été soudainement plongés dans le "réel", tel que Slavoj Zizek le définit à la suite de Lacan et Badiou :
« le réel ne se réduit pas à la réalité (sociale, quotidienne), mais se conçoit dans son extrême violence comme ce qui reste après qu’on a dépouillé la réalité de son écorce trompeuse » (Bienvenue dans le désert du réel, p. 24).
Comme les Américains après le 9/11 (c’est le sujet du livre de Zizek), notre réalité s’est « dépouillé[e] de son écorce trompeuse ». Notre réalité marquée par l’ingénierie en chambre, économique : les décisions sont prises par des conseils éloignés de la réalité FMI, OMC, UE, Conseil d’Administration ; une ingénierie en chambre, politique : dans les ministères, dans les cabinets ministériels, l’anonymat des directions générales ; une ingénierie en chambre militaire, qui a changer notre art de la guerre : les décisions se prennent à Washington, Paris, et concernent des territoires qui nous sont parfaitement éloignés (Afghanistan, Irak), déjà perdus, détruits par les guerres, irréel, quasi lunaire. On
« appuie sur des boutons à des centaines de kilomètres du "théâtre des opérations" ».
« des décisions affectant des milliers de personnes sont prises, provoquant parfois des ravages, des destructions terrifiantes, mais le lien est coupé entre ces décisions "structurelles" et la réalité de ses millions de personnes souffrantes » (id. p.64-65).
Ceci n’est que l’expression à un niveau global, de la désubstantialisation de notre réalité à un niveau individuel.
Notre réalité de Dernier Homme, telle que l’a prophétisée Nietzsche, est celle d’hommes de moins en moins capables de dépassement :
« "Qu’est-ce qu’aimer ? Qu’est-ce que créer ? Qu’est-ce que désirer ? Qu’est-ce qu’une étoile ?" Ainsi parlera le Dernier Homme en clignant de l’œil. » (Ainsi parlait Zarathoustra).
Elle est celle d’hommes plongés dans un bonheur presque parfait, parfaitement sinistre, consistant à « se maintenir par tous les moyens, même les plus artificiels, dans un état de contentement subjectif » (Cours familier de philosophie politique, Pierre Manent, p. 211).
Elle est enfin celle d’hommes convaincus d’avoir atteint l’âge ultime du progrès humain tant politique, philosophique, théologique, que social :
« Jadis tout le monde était fou", diront les plus malins, en clignant de l’oeil. [...] "Nous avons inventé le bonheur" diront les Derniers Hommes, en clignant de l’oeil. » (Ainsi parlait Zarathoustra).
« Jadis, comme l’explique Pierre Manent, les hommes croyaient à quelque chose, à des dieux, ou à des héros, et ils se faisaient la guerre, ils troublaient leur digestion pour des choses qu’ils ne comprenaient pas. Nous, nous savons bien [...] qu’il n’y a rien en dehors de nous » (op. cit., p. 211).
Et Zizek de conclure :
« Nous autres, Occidentaux, sommes ce dernier homme nietzschéen immergé dans les stupides plaisirs quotidiens ; les radicaux musulmans, eux, sont prêts à tout risquer, engagés dans le combat quand bien même il impliquerait leur propre destruction. [...] Examinons à présent cette opposition à la lumière de la lutte hégélienne du maître et de l’esclave, et le paradoxe devient imparable : bien que nous, Occidentaux, soyons perçus comme maître exploiteurs, la place que nous occupons est en réalité celle de l’esclave, cramponné à l’existence et à ses plaisirs, incapable de risquer sa vie [...], alors que les radicaux eux, musulmans et paupérisés, occupent celle du maître prêt à risquer la sienne... » (op. cit., p. 71).
C’est paradoxalement, ce terrorisme qui nous maintient "vivant". Nous avons besoin du rebelle pour survivre. N’est-ce pas ce que manifeste notre admiration pour les Révolutions arabes (que nous nous sommes d’ailleurs empressés d’appeler révolution, en sont-ce vraiment ?) ? N’étions nous pas saisis par l’émotion du réel, de la réalité dépouillée de l’écorce trompeuse, vivant par procuration, au travers de ce qui nous est apparu comme l’épopée lyrique d’un progrès saisissant les peuples arabes ? Ils nous faisaient vivre, en risquant leur vie à notre place. Parce qu’au fond, notre vie de Dernier Homme nous est insupportable. Notre bonheur parfait, parfaitement sinistre, nous avons besoin d’en retirer l’écorce trompeuse pour revenir au réel.
Mohammed Merah n’était sans doute pas très éloigné du Dernier homme, il appartenait qu’on le veuille ou non à notre société occidentale (on s’est plus à répéter qu’il avait fréquenté des boîtes de nuit). Mais incapable ou empêché de participer, de communier, à notre bonheur sinistre, il a cherché à faire ce que nous n’osons plus faire : se dépasser, risquer sa vie, goûter l’extrême violence du réel, pour répondre à ce besoin infini que nous avons de nous sentir exister. Ainsi il a tenté d’intégrer la légion, il a tenté de se suicider, il est parti en Afghanistan, et s’est finalement plongé dans l’islam, avant de basculer dans le terrorisme. Dès lors qu’il a accepté de risquer sa vie, il s’est fait maître par rapport à nous esclave de notre torpeur.
Que nous est-il donc arrivé avec son passage à l’acte ?
Il a été ce fils sobre qui, dans un sentiment mêlé de rage et de sérénité, vient briser sous les yeux de son père alcoolique et ivre, avachi à sa table, la bouteille qu’il était en train de s’enfiler. Et alors que le fils, s’en va ayant manifesté sa révolte, le père s’arrête, s’interroge, et recommence à boire, avec le plaisir sinistre de l’addiction, renouvelé par la rupture. Son fils l’aura fait exister pendant un instant.
Notre vie désubstantielle, décaféinée, est une addiction mièvre au néant que ses ruptures nous aident à supporter. Ceci explique notre soif médiatique du scoop, de l’horreur, du spectaculaire, puisque c’est la seule chose qui donne consistance à notre vie de plaisir-parfait-parfaitement-sinistre.
C’est pourquoi il y a cet effarement devant l’acte de Merah. Nous le haïssons en même temps que nous l’admirons. La volonté que tous les commentateurs ont de "comprendre", on veut comprendre comment un jeune de chez nous en est venu au terrorisme, n’est-elle pas le signe de notre trouble, de la cohabitation en nous-même de l’horreur et de l’extase, pour celui qui est sorti de la condition de Dernier homme que nous nous imposons. Nous voulons comprendre par quelle énergie, le réel a-t-il surgit, par quelle énergie d’une extrême violence notre réalité a été dépouillée de son écorce trompeuse.
Merah est à la fois ce criminel que nous voulons haïr, beaucoup voudrait réintroduire la peine de mort pour ce genre d’affaire, et en même temps il nous apparait comme ce héros tragique, ce "héros anonyme", d’une lutte grandiose. Il est celui qui aura été jusqu’au bout de l’héroïsme tragique auquel nous avons renoncé, en acceptant de se battre jusqu’au bout, de mourir arme au poing, il aura été jusqu’au bout d’une radicalité totale qui l’a fait exister pleinement. Qu’on le veuille ou non, il s’est fait lui-même héros, pour tout ceux qui ne perçoivent que le sinistre de notre bonheur parfait.
Tant que notre société n’aura que le mal absolu terroriste à proposer comme force de vie, comme idéal transcendant, nous aurons toujours des Mohammed Merah. Le seul absolu qui subsiste, la seul chose qui sorte de notre torpeur hédoniste, est le mal absolu : celui de la Shoah ou celui du terrorisme. Nous avons besoin de nous seriner à longueur de temps qu’elle a été l’horreur de la Shoah pour nous sentir exister. Aujourd’hui l’axe du mal qui donne consistance à notre existence, qui nous maintient en vie c’est aussi le terrorisme. Le néant sur lequel nous a ouvert le nihilisme, a fait du Mal, notre seul absolu.
C’est donc là l’urgence ! Être capable de faire vivre par le Bien notre monde, de combler le néant par le Bien. Il est urgent de réhabiliter l’héroïsme du Bien, et non la torpeur de la molle indignation dépendante du mal pour exister, l’indignation est "addict" au mal et au mal absolu en particulier (la référence ultime de l’indignation c’est toujours la Shoah). Il est urgent donc de réhabiliter l’héroïsme du Bien par le retour au réel. Il nous faut nous défaire du Dernier Homme qui est en nous pour goûter pleinement à l’excitante douceur de la Vie. Debout les morts donc !
Le christianisme est aujourd’hui absolument nécessaire. C’est le Christ qui doit être notre seul idéal, celui qui a donné sa vie sur une croix par amour pour les pécheurs que nous sommes. C’est Lui notre seul absolu, Il a vaincu la mort, et est ressuscité ! Voilà la seule grandeur, la seule majesté, qui donne Vie au monde.
A l’adhésion gnostique de notre époque enfermée dans l’immanence d’un bonheur terrestre fantasmé et jamais réalisé (voir Eric Voegelin), nous avons à substituer la foi en un Dieu d’amour transcendant, dont l’Incarnation a déjà pleinement réalisé notre Salut, concentrant en Lui notre unique espérance. Ce que Racine avait exprimé à la perfection ...
Verbe égal au Très-Haut, notre unique espérance,
Jour éternel de la terre et des cieux,
De la paisible nuit nous rompons le silence :
Divin Sauveur, jette sur nous les yeux.
Répands sur nous le feu de Ta grâce puissante ;
Que tout l’enfer fuie au son de Ta voix ;
Dissipe le sommeil d’une âme languissante
Qui la conduit à l’oubli de Tes lois !
Ô Christ ! sois favorable à ce peuple fidèle,
Pour Te bénir maintenant assemblé ;
Reçois les chants qu’il offre à Ta gloire immortelle,
Et de Tes dons qu’il retourne comblé.
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