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De la tolérance à la « trahison des mots »

Il est aujourd’hui une frange de la population dont le discours est centré sur l’idée, presque sacralisée qu’est la tolérance. Vertu ultime, prônée haut et fort jusqu’à essoufflement par ses chantres, qu’en est-il vraiment de cette notion ?
L’idée de tolérance, en tant que terme français est présentée par le dictionnaire de Littré en 1873 - référence s’il en est en matière de dictionnaire - comme étant une « Condescendance, une indulgence pour ce qu’on ne peut pas ou ne veut pas empêcher ». Par ailleurs la notion philosophique naquit avec John Locke dans sa « Lettre sur la tolérance ». L’idée qu’il y développe se résumerait, d’après certains vulgarisateurs à la phrase « cesser de combattre ce que l’on ne peut changer », assertion elle-même discutable, mais là n’est pas le sujet. Cette idée a-t-elle donc perduré malgré le temps ou en a-t-elle subi les outrages ?

Redéfinition du concept

Il semblerait que la tolérance soit aujourd’hui perçue par la majeure partie de la société, autant par ses défenseurs les plus ardents que par ses plus vindicatifs détracteurs comme une forme de relativisme poussant à accepter quelque chose perçu comme mauvais au motif que les échelles de valeurs, dans le bien autant que dans la vérité seraient abolies. Or cela est faux, la tolérance relève certes de l’acceptation mais en rien du relativisme. Elle prône, au nom du moindre mal, l’acceptation de ce contre quoi l’on ne peut lutter, mais elle ne nie en rien que ce qui n’est pas combattu de son fait ne soit pas mauvais.

Critique de la notion

En ce sens originel, l’idée de tolérance "vraie" pourrait être considérée comme antagoniste de celle d’"idéal", dans la mesure où elle esquive l’affrontement et ne prend pas réellement la mesure de celui-ci. L’idéaliste - dans une acception chevaleresque et non métaphysique du terme - déterminera empiriquement la valeur de son opposition en en éprouvant les limites, pouvant par la même logique aller jusqu’aux dernières extrémités de ses convictions. C’est en cela que la tolérance peut être comprise, à juste titre, pour une fausse vertu vouant l’homme de peu de foi à une acceptation du mal, lorsque celui-ci est considéré comme trop difficile à combattre. C’est l’idée de Chesterton lorsqu’il dit que « la tolérance est la vertu des hommes sans convictions ». Car oui, l’idée de Locke contient la notion parfaitement subjective de « ne pas pouvoir » combattre. Mais comment le savoir sans en avoir eu la démonstration ? Dans le cadre de questions sociales ou idéologiques il semble impossible de déterminer par avance si une idée pourra ou non être combattue. Le tolérant vrai est alors voué à être, soit un défaitiste qui finira par sombrer dans l’acceptation servile, laquelle n’est plus une véritable tolérance, soit dans l’opposition, devenant par là même un intolérant.

Création d’une « vertu »

De cette notion, qui ne comporte donc en elle-même rien de particulièrement positif dans l’établissement d’un ordre sain, certains ont su faire une nouvelle vertu cardinale de l’homme moderne. La notion de tolérance est, du fait de sa perception actuelle indissociable de celle de modernité et de progrès. Elle se fait comme l’incarnation de ces derniers, par opposition à des temps anciens présumés barbares et supposés intolérants, selon la définition galvaudée du terme.

Impact de la notion sur la vie intellectuelle

Une fois posé ce rapide constat philosophique, il semble nécessaire de chercher à comprendre ce qu’est aujourd’hui devenu ce terme. La facilité pousserait à dire qu’il est devenu un simple argument politique agité tel un hochet par tout énarque désireux de s’inscrire dans le courant majoritaire et gagnant des points de suffrages à peu de frais.
Mais plus que cela, elle est devenue un élément central du discours de certains à qui elle sert plus à disqualifier ou à approuver sur un mode moral qu’à démontrer selon une argumentation. Elle est en cela une manifestation directe de notions, extrêmement problématiques de la pensée dominante d’une part et d’autre part de ce que je nommerai la « trahison des mots ». Toutes deux sont liées à une volonté de disqualification d’ennemis idéologiques, tout du moins engendrent-elles cette dernière de manière parfaitement arbitraire. En l’espèce, nous pourrions énoncer que la trahison des mots précède souvent celle des hommes. Dans la mesure où ce type de procédés, tentant de donner une nouvelle acception à un mot pour s’arroger les mérites d’une vertu ainsi créée, relève de la trahison, tant sur le plan intellectuel et rhétorique que sur le plan agonistique du débat. Et fort malheureusement, d’une trahison en découlant souvent une autre, celle-ci, d’ordre formel est souvent associée à la trahison du fond, celle du mépris ou de la duperie des administrés, des électeurs ou des auditeurs et lecteurs, dans le cadre médiatique. Car finalement le terme de tolérance n’est qu’une illustration parmi d’autres, du danger que représente cette « trahison des mots » et qui consiste en un changement de sens opéré de facto, par un « on » indéfini s’incarnant dans des médias et une certaine « élite » intellectuelle et politique. Après avoir entendu rabâché inlassablement un terme dans une acception nouvellement forgée, le citoyen finira par intérioriser cette félonie en la prenant pour une norme édictée par plus savant que lui. Ces changements opérés contre la langue française sont d’autant plus graves qu’ils l’appauvrissent, la galvaudent et biaisent les maigres tentatives de débats encore permises. Et ce, en tentant par cet argument aux airs d’autorité morale d’interdir simplement la contradiction.
Pour clore ce texte en paraphrasant Nicolas Gomez-Davilà qui rend justice à la valeur des mots, nous dirions que « Tolérer ne doit pas consister à oublier que ce qu’on tolère ne mérite que de la tolérance » et que la tolérance vis-à-vis des outrages volontaires causés à la langue et au débat doit impérativement cesser si nous voulons préserver la beauté de la première et la possibilité du second.

Pierre de Saujan

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