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Au sortir du procès d’Abdelkader Merah, la justice n’a pas retenu contre le frère de l’assassin le chef d’accusation de complicité de meurtre. Cette décision n’est pas le fruit d’une justice d’émotion mais de raison. La détresse des familles des victimes est parfaitement fondée et légitime à la vue de l’horreur et de l’abjection des crimes de Mohamed Merah. C’est dans ces moments terribles qu’il faut essayer de confronter des concepts nobles avec des situations qui engendrent tristesses et colères.
La question du pardon doit être posée même dans ce cadre douloureux, cela ne veut pas dire qu’Abdelkader Merah est un personnage recommandable ni injustement condamné. Tout d’abord, l’ainé de Mohamed Merah n’est pas un tueur, il n’a commis aucun assassinat et il est tentant de faire peser la faute du frère sur un membre de sa famille. C’est la première difficulté, Abdelkader Merah se substitue dans l’opinion à son cadet. Sa condamnation pour association de malfaiteurs en vue d’une action terroriste laisse toutefois comme évidence l’ignominie du personnage ainsi que sa folie radicalisée en une violence effrénée. Serait-il envisageable de pardonner Abdelkader Merah ? Pour les familles des victimes, la réponse penche évidemment du côté négatif par les faits atroces et par le chagrin qui tiraille leurs entrailles. Cette position est éminemment respectable et compréhensible et logique. Le débat se centre aussi dans un domaine plus sociétal, Abdelkader Merah s’est-il exclu de l’humanité par ses actes délictueux ? La réponse est aussi négative puisque la tenue d’un procès lui reconnaît le droit d’avoir une défense et de préserver son intégrité physique en le soustrayant à la vendetta dont il aurait été victime, sans provoquer le moindre émoi, ce qui est non plus respectable mais compréhensible. L’Etat par le biais de la Justice surplombe la foule qui veut se livrer à la violence en appliquant le droit dans l’optique d’une condamnation juste. Préserver Merah, c’est déjà faire un pas du côté du pardon, puisque l’Etat dépasse le chagrin et la colère des habitants qui le composent. Le déchirement entendu comme encore plus immense pour ce cas précis, puisque l’islamisme radical touche toute la France. Le fait précis du dépassement de la propre violence dont nous avons été victimes est semblable à la démarche du pardon, car pardonner c’est aussi s’arracher au ressentiment, non pas béatement, mais pour endiguer la vengeance et son cycle infernal. Rendre meurtre pour meurtre, outrage pour outrage est le meilleur moyen de faire perdurer cette violence. En ce sens pardonner ne signifie pas oublier, personne n’oublie les meurtrissures qui ravagèrent la France.
La justice est aussi parente avec le pardon, dans sa conception. La condamnation juste, si elle l’est (ce qui peut être remis en cause mais là n’est pas mon propos), donne à l’accusé une peine équivalente à la hauteur de ses crimes, sans que cette même peine ne conduise à la mort du criminel. Le condamné a à la fois une dette judiciaire envers la société et à la fois une dette envers sa propre conscience. La justice permet le remboursement de la dette sociale, même la perpétuité en un sens puisque la dette à vie n’est pas une dette de vie. La fin de la dette sociale permet une rédemption envers la société. Il faut préciser que dans le cas Merah le repentir sincère envers le corps social et envers son absence de compassion durant le procès est peu probable de la part du coupable. Mais en soi, la justice est aussi affiliée avec le pardon. Le problème qui peut être soulevé est celui de la peine de mort qui empêche toute possibilité de rédemption si ce n’est du verdict à l’exécution de la peine. D’un point de vue moral et spirituel la rédemption est toujours possible mais rare. Jacques Fesch a commis un braquage, a tué un gardien de la paix, mais il a su se tourner vers la foi avant d’être guillotiné. On peut toujours remettre en question son intention réelle, mais au soir de sa mort, il n’aurait sûrement pas écrit « Dans cinq heures, je verrai Jésus ». La prison peut être un lieu de rédemption, ce qui ne veut pas dire que c’est le cas de nos jours. En définitive, la justice est possiblement une institutionnalisation du pardon, cela ne veut pas dire que c’est effectif, ni obligatoire mais que cette existence est vraisemblable et non irréalisable.
Du point de vue de la religion, le Christ invite par son sacrifice suprême au pardon des pécheurs, même ceux qui ont tenté de mettre Dieu à mort « Pardonne leur, Seigneur ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cependant cet appel du Christ au pardon est une invitation à la Sainteté d’où la difficulté que nous pouvons avoir à pardonner notre prochain. Rappelons le malheur qui attend celui qui ne pardonne pas à son frère, même si l’on peut gloser la notion de frère. L’histoire de Cain est aussi une histoire de pardon en un sens puisque Dieu par la marque qu’il appose sur le front du fratricide le protège du meurtre des autres hommes. Dieu, même s’il punit Cain, ne le livre pas à la violence. Faut-il voir dans la justice un héritage de ce récit biblique ? Ce qui est sûr, c’est qu’un des points centraux de la religion catholique est le pardon, notion qui disparaît de notre société, disparition qui aboutit à une société tendue, crispée, sur le qui-vive. Cette brisure dans la société se renforce par la présence terroriste sur notre sol et à l’étranger. Le pardon est aussi un signe d’espérance puisque c’est croire en l’homme que de lui donner une possibilité de rachat et de repentir.
Faut-il pardonner Abdelkader Merah ? A la fin de cette réflexion, il m’apparaît une tension entre ce que le Christ nous invite à faire et ce dont nous sommes réellement capables. Chacun peut se faire son opinion, mais je crois que pour beaucoup d’entre nous, cette aporie reste assez indépassable. En tout cas, réfléchir sur l’actualité dans son côté le plus noir et tragique, de la confronter à notre vie de chrétiens et à nos principes, sans les oublier pour un temps en disant que cet individu mérite seulement la mort, me semble être une démarche qui peut soit porter du fruit, soit nous permettre de mettre à l’épreuve notre croyance dans le message de la bible.
Pour prolonger votre réflexion, découvrez l’article du R&N écrit après les attentats de Toulouse.
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