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Quel sort pour les enfants morts sans baptême ? Entretien avec Dom Jean Pateau

Dom Jean Pateau, abbé de Fontgombault, vient de publier Le salut des enfants morts sans baptême (Artège, 2017, 312p.) dans lequel il s’interroge sur l’hypothèse des limbes et sur les suppléances possible au sacrement du baptême. Il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.

R&N : Qu’est ce que l’hypothèse des limbes et quel est son statut théologique ?

Dom Jean Pateau : Les limbes sont un lieu et un état hypothétique, dans lequel les enfants morts avant d’avoir pu user de la raison et sans avoir été baptisés sont censés jouir d’un bonheur purement naturel, avec la seule peine de la privation de la vision béatifique, pour toute l’éternité. Cette doctrine est devenue commune dans l’Église latine à partir du 13° s [1], mais le magistère n’est jamais intervenu positivement en sa faveur [2] ; Pie VI l’a mentionnée simplement pour condamner une proposition l’affirmant hérétique [3] ; et toutes les interventions pour qu’elle soit définie ont échoué [4] ; enfin le document récent de la CTI, L’espérance de salut pour les enfants qui meurent sans baptême (2007), tout en disant que cette théorie « demeure une opinion théologique possible » (n° 41), affirme que sa « valeur théologique, sans aucun doute, n’est pas définitive » (n° 70), et considère « une telle solution comme problématique » (n° 95), en indiquant que « dans le développement de la doctrine, la solution des limbes peut être dépassée à la lumière d’une plus grande espérance théologique » (ibid.).

R&N : Quelle est l’origine de l’hypothèse des limbes ? Comment s’est-t-elle développée progressivement dans la théologie catholique ?

Dom Jean Pateau : L’origine en est une meilleure conscience que les enfants morts sans baptême, n’ayant commis aucun péché personnel, ne pouvaient subir une peine sensible. En effet, une telle peine compense un mouvement désordonné vis-à-vis des créatures, que n’ont pu commettre des enfants n’ayant pas l’usage de la raison. Par contre, ils sont marqués du péché originel qui les prive en particulier de la grâce sanctifiante, et celui qui meurt avec ce désordre ne peut voir Dieu : c’est la peine du dam. Comme les théologiens ont pensé que seul le baptême pouvait donner la grâce à un enfant n’ayant pas l’usage de la raison, ils ont été amenés à envisager pour les enfants n’ayant pas reçu ce sacrement un lieu et un état de privation de la vision béatifique, mais sans peine sensible, situé donc en bordure (limbus en latin) de l’enfer. Mais toutes ces distinctions, concernant en particulier le péché originel et le péché personnel, n’ont été acquises que progressivement.

Bien avant, S Augustin, après avoir durci sa position face à ceux qui niaient le péché originel (les pélagiens surtout), voyait en celui-ci une participation au péché personnel d’Adam, donc un péché quasi-personnel en chacun : la volonté était non seulement privée de la grâce, mais positivement attachée aux créatures de façon désordonnée. Et en conséquence, il s’en suivait non seulement la peine du dam mais aussi la peine du sens, la plus douce possible cependant précisait S Augustin [5]. Un des premiers, Pierre Lombard (vers 1158) a exclu toute peine ressentie pour les enfants, et Philippe le Chancelier (vers 1228) les place en bordure de l’enfer proprement dit, dans les limbes. Ensuite, l’effort des théologiens a été d’expliquer comment ces enfants ne souffrent pas de leur vocation surnaturelle manquée, pour leur assurer le plus parfait bonheur naturel possible [6] ; ce que S Thomas explique soit par l’ignorance de cette vocation, soit par une sage résignation [7]. Enfin la théorie des limbes a été confortée par la thèse des « deux ordres », très répandue chez les théologiens, du 17° au début du 20° siècle : cette thèse juxtapose l’ordre naturel et l’ordre surnaturel de façon extrinsèque, l’homme ayant ainsi une double fin, une fin naturelle et une fin surnaturelle superposée [8] ; de sorte que le sort des enfants aux limbes ne pose aucun problème : ils ont atteint leur fin naturelle, et c’est déjà beaucoup !

R&N : Le problème principal que vous soulevez dans cette hypothèse des limbes est le présupposé théologique de « bonheur purement naturel ». En quoi n’est-il pas conciliable avec la doctrine du salut ?

Dom Jean Pateau : Parce que tous sont appelés par Dieu à un bonheur surnaturel dans la communion trinitaire. C’est là l’unique ordination concrète de l’homme, que le concile Vatican II a affirmée au moins à 2 reprises, en parlant d’un unique « ordre divin », et d’une « unique vocation divine » (Gaudium et Spes 41 § 2 et 22 § 5) [9]. En effet, l’appel de Dieu à l’union surnaturelle avec lui, puisqu’il a été fait, empêche la possibilité désormais d’une fin purement naturelle pour l’homme. Dieu ne peut se contredire, en rabaissant la vocation humaine à un niveau naturel, et il n’est pas entravé par l’ordre des moyens (sacramentels en particulier) pour que cet appel se concrétise pour toute personne humaine : c’est ce qu’exprime l’adage, « Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements » [10].

C’est ici la volonté de Dieu de rendre le salut possible pour tous qui est en cause. Or cette volonté est exprimée dans l’Écriture en 1 Tim 2, 3-4 : « Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » Certes, cette volonté de salut reste conditionnelle et non absolue, car elle respecte la liberté humaine, mais elle implique au moins de rendre le salut possible, sans quoi il y aurait contradiction. Cette possibilité de salut est d’ailleurs affirmée par le concile Vatican II en GS 22 § 5 : « [...] puisque le Christ est mort pour tous (Rm 8, 32) et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » ; il est vrai que ce passage vise in recto les adultes (il est introduit par « pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté »), mais au vu de la raison scripturaire invoquée (« puisque le Christ est mort pour tous (Rm 8, 32 [11]) », on peut lui reconnaître une portée universaliste plus générale (sinon le Christ ne serait plus mort pour tous). On peut aussi souligner que cette volonté de donner à tous la possibilité du salut ressort de l’œuvre du Christ en son mystère pascal : l’immensité de ses souffrances et l’amour infini qui les a portées assurent de la réalité de ce vouloir.

Ensuite, on peut dans un second temps remarquer la profonde convenance de ce libre appel surnaturel universel, au vu de la constitution de la nature humaine, qui n’est pas, de soi, refermée sur elle-même, mais est ouverte sur l’infini, cf. S Thomas Ia IIae q 113 a 10 c : « l’âme, par nature, est capable de grâce, ainsi que le remarque S Augustin (De Trinitate, l. 14, ch. 8 début) : ’Du fait même qu’elle a été créée à l’image de Dieu, l’âme est capable de Dieu par la grâce.’ » La considération de cette ouverture de la nature à la grâce, que S Thomas désigne comme désir naturel de voir Dieu [12], a été remise en honneur par le P. de Lubac (cf. son maître ouvrage Surnaturel, 1946), et même si son exégèse des textes de S Thomas est parfois partielle, elle a marqué un tournant pour le thomisme contemporain, l’amenant à une plus grande attention aux textes de l’Aquinate lui-même plutôt qu’à ses commentateurs (Cajetan, Suarez…) [13]. Il est ainsi certain que pour S Thomas, « le désir naturel de voir Dieu est naturel pour l’homme créé dans la grâce et il le reste même une fois la grâce perdue, bien qu’il ne puisse trouver son accomplissement que lorsque la grâce sera de nouveau retrouvée » [14]. Mais encore une fois, ces considérations sur la nature humaine ne sont pas premières pour conclure qu’il doit y avoir un accès possible au salut surnaturel pour les enfants morts sans baptême, il y a avant tout la volonté divine telle qu’elle nous est révélée dans l’Écriture. Et c’est cet appui scripturaire qui milite en faveur d’un document magistériel intervenant sur la question du salut de ces enfants ; ainsi que le « sens de la foi » qui rassemble l’universalité des fidèles, du plus simple d’entre eux jusqu’au sommet de la hiérarchie (cf. LG 12) [15], et semble progresser aujourd’hui vers la reconnaissance d’un salut possible pour ces enfants. « Une raison importante de l’échec des tentatives pour obtenir de Vatican II la définition que les enfants morts sans baptême sont définitivement privés de la vision de Dieu est que les évêques ont témoigné que telle n’était pas la foi de leurs peuples : cela ne correspondait pas au sensus fidelium. » (CTI n° 96) [16].

R&N : Quelle réponse doctrinale proposez-vous à l’interrogation concernant le sort des enfants morts sans baptême ?

Dom Jean Pateau : La certitude du salut de ces enfants, basée comme nous l’avons dit sur l’Écriture et le « sens de la foi ». En effet puisque Dieu veut vraiment rendre le salut possible à tous, comme cela ressort de 1 Tm 2, 4, il a prévu des moyens pour cela : le moyen ordinaire est le baptême, qui remet le péché originel, donne la vie divine et agrège visiblement à l’Église. Mais lorsqu’il n’est pas possible de recevoir le baptême, l’Église a toujours admis des suppléances, comme le martyre et le baptême de désir. Cependant, ces suppléances réclament un acte personnel de la part du sujet, ce dont sont incapables des enfants qui ne sont pas parvenus à l’âge de raison. Il doit donc y avoir une suppléance aussi pour eux. S Thomas semble ouvrir une porte en cette direction quant il reconnaît que, par privilège, Dieu peut sanctifier un enfant dans le sein de sa mère [17]. En effet, la solution la plus simple est de considérer que Dieu sanctifie l’enfant avec la seule médiation instrumentale de l’humanité du Christ, alors que dans le baptême cette médiation première commande les médiations subordonnées du ministre et du sacrement lui-même : car le Christ, de par son pouvoir d’excellence peut donner l’effet des sacrements sans sacrements (cf. S Thomas, IIIa q 64 a 3 c). Du côté de l’enfant, il n’y a pas d’obstacle insurmontable à cette action du Christ, car le péché originel qui marque l’enfant ne comporte pas d’aversion positive de la volonté vis-à-vis de Dieu (le libre arbitre est seulement affaibli et diminué, avec une inclination générale à choisir le mal) [18].

Cette sanctification a peut-être lieu au moment de la mort de l’enfant, alors qu’il connaît une certaine participation au mystère pascal du Christ dans une mort prématurée (puisque du fait de la Passion, la mort n’a plus seulement le sens d’un châtiment, mais aussi d’une « participation au combat du Christ, où nous le trouvons à nos côtés » [19]). Et la liberté de l’enfant n’est nullement violentée par ce don : avec la purification de tout son être il reçoit un bonheur incommensurable dans ce bien infini qui lui est gratuitement donné (il en est d’ailleurs de même dans le cas d’un petit baptisé qui meurt ensuite : il se fixe en Dieu sans l’avoir choisi).

Mais le Christ associe toujours son Église à son œuvre de salut : celle-ci désire le salut de tous, et offre en particulier le Saint Sacrifice en ce sens (cf. la prière de l’Offertoire du calice dans le rite extraordinaire : « nous vous offrons Seigneur le calice salutaire… pour notre salut et celui du monde entier »). On peut donc penser que le Christ prend en compte ce désir et cette prière de l’Église, dont l’efficacité découlerait alors de celle de la Messe [20]. Pour relier davantage ce don au baptême, on a aussi envisagé un vœu du baptême, émis au nom de l’enfant par ses parents, ou par l’Église (cf. CTI, n° 94), ou même un vœu émis d’une certaine façon par l’enfant lui-même, ce qui est plus problématique [21]. Quoi qu’il en soit, l’incertitude au sujet des moyens n’affecte pas la certitude des principes : Dieu veut que tout homme soit sauvé (1 Tm 2, 4), donc puisqu’il appelle à une destinée surnaturelle, il offre à tous une possibilité concrète de salut (ordonner à une fin sans donner les moyens est contradictoire), et il n’est pas lui-même lié à ses sacrements (CEC fin du n° 1257) [22]. Ce qui assure du salut de ces enfants.

R&N : D’autres réponses doctrinales sont-elles envisageables ? Pourrait-on imaginer, par exemple, que Dieu donne à ces enfants la capacité de raisonner qu’ils ne possèdent pas et leur permette de faire alors ce choix qu’ils n’ont pu faire avant leur mort ?

Dom Jean Pateau : Cette hypothèse a été faite par le théologien hongrois Boros, suivi en cela par d’autres théologiens [23]. Comme nous l’avons déjà dit, un tel acte de choix n’est pas de soi nécessaire à l’entrée dans la béatitude, comme cela apparaît dans le cas des enfants baptisés qui meurent avant l’usage de la raison. Ensuite, cette hypothèse conviendrait à la nature angélique, qui peut épuiser en un instant les tenants et aboutissants d’un tel choix. Mais elle semble totalement inhumaine : l’homme n’a pas une telle capacité de choisir librement, surtout avant de mourir ou au moment de la mort (car ce choix ne peut intervenir après le mort, sinon, l’enfant étant mort avec le péché originel, n’aurait plus accès à la béatitude) [24] : ce serait alors que l’enfant n’a jamais connu un développement humain suffisant et qu’il est dans le plus grand état de misère possible, qu’il devrait inaugurer sa vie morale, et la consommer en même temps dans un acte engageant son éternité... Un tel choix serait une très lourde épreuve, surtout avec l’inclination au mal que comporte le péché originel. L’homme chemine progressivement dans ses choix, et si la mort l’en empêche, ce serait violenter sa nature que de le mettre ainsi « au pied du mur », et la grâce ne violente pas la nature. Il semble donc plus conforme à la sagesse et à la bonté divine de lui accorder simplement le salut (étant bien sûr entendues la médiation du Christ et la prière de l’Église), comme dans le cas d’un bébé qui meurt juste après son baptême.

R&N : Si Dieu supplée et sauve, pourquoi baptiser les petits enfants, du moins avant l’âge de raison ? L’approche doctrinale que vous défendez ne risque-t-elle pas de remettre en cause la nécessité du baptême ou du moins d’aboutir à une relativisation de l’importance de celui-ci ?

Dom Jean Pateau : Les suppléances envisagées ne diminuent pas la nécessité du baptême, qui reste le moyen voulu par Dieu pour nous intégrer pleinement et visiblement à son Église : lui seul confère, en plus de la grâce, le caractère sacramentel, disposition permanente et stable à la grâce, qui lui offre un profond enracinement, et qui va permettre à l’enfant de participer à la vie cultuelle de l’Église ; et s’il meurt avant d’avoir pu en user, ce caractère lui vaudra une gloire plus grande auprès de Dieu (gloire accidentelle par rapport à la béatitude, certes, mais précieuse cependant). De plus Dieu veut que par le baptême, les parents qui ont donné la vie naturelle à leur enfant, lui confèrent aussi la vie surnaturelle avec la plénitude de ses richesses. Il est vrai qu’autrefois, certaines mères pouvaient penser que sans le baptême, leur enfant ne verrait jamais Dieu en cas de mort prématurée, et cela renforçait chez elles la volonté de le faire baptiser. Mais le fait que l’espérance d’un salut pour leur enfant soit aujourd’hui de plus en plus reconnue dans ce cas de mort prématurée, ne doit pas attiédir la volonté de le faire baptiser, qui gagne à être inspirée par l’amour de charité plutôt que par la crainte ; simplement, comme le dit le P. J.-H. Nicolas, cela enlève à la question « son caractère dramatique » [25], peut-être plus proche d’une perspective protestante que catholique.

R&N : Une telle extension de la miséricorde divine n’ouvre-t-elle pas la porte à d’autres extensions, voir à une extension sans limite de celle-ci et à une relativisation du péché originel et de ses conséquences ?

Dom Jean Pateau : Je pense qu’il n’y a pas là une extension de la miséricorde divine, ce sont plutôt les solutions antécédentes (le feu, la peine très douce, les limbes) qui en étaient un rétrécissement. Certes, l’infinité de la miséricorde divine est aujourd’hui mieux reconnue, grâce à tout un mouvement favorisé par les révélations faites à Sœur Faustine, l’institution de la fête de la miséricorde divine, le pontificat de S Jean-Paul II et de ses successeurs. Mais il reste que la miséricorde divine s’exerce de façon privilégiée sur les plus petits et les plus pauvres, ce qui est le cas de ces enfants à qui tout a été refusé (la vie et le développement humain, la grâce), et qui ont souvent souffert de la violence des adultes à leur égard (le drame de l’avortement). Je pense que c’est en considération de cette misère que Dieu peut leur accorder avec tant de miséricorde la béatitude ; mais en dehors de ce cas limite, son dessein reste de nous faire participer à l’obtention de la béatitude, en nous permettant de grandir humainement et dans la grâce : Dieu montre au plus haut point sa bonté en communiquant la dignité de cause, ce qui implique pour nous une vie tendant vers la sainteté.

Par ailleurs, le dogme du péché originel est aujourd’hui nié ou ignoré pratiquement par la plupart des chrétiens, et l’abandon de l’hypothèse des limbes ne changera pas grand chose sur ce point. La croyance en l’innocence de l’homme est viscéralement enracinée chez nos contemporains (cf. la bonté de l’homme dans l’état de nature selon Rousseau…), et c’est plutôt Dieu qui souvent est mis en accusation ; en même temps est ignorée l’inclination native de l’homme vers le mal du fait du péché originel, ce qui a des conséquences dramatiques dans le domaine de l’éducation. L’individualisme régnant depuis les temps modernes rend difficile à concevoir la solidarité très profonde de l’humanité, tant horizontale (les péchés des uns retentissent sur les autres) que verticale (en descendant les générations depuis nos premiers parents). Face à ce constat, il est bon de revenir au ch. 5 de Lumen gentium sur l’appel universel à la sainteté, ainsi qu’à un effort de formation catéchétique plus doctrinal, permettant à nos contemporains d’agir en meilleure connaissance de cause, relativement aux réalités surnaturelles en particulier. C’est dans ce contexte que la considération de la bonté divine, de sa miséricorde telle qu’elle nous parvient normalement dans le baptême pourra être mieux reconnue ; en même temps que le développement de la prière pour les enfants qui n’ont pu bénéficier de ce sacrement pourra contribuer à leur salut.


[1La doctrine des limbes est toujours restée étrangère aux grecs ; les Pères grecs, qui fondent cette tradition théologique, « enseignent que les enfant qui meurent sans baptême ne souffrent pas la damnation éternelle, bien qu’ils n’atteignent pas le même état que ceux qui ont été baptisés. », cf. L’espérance de salut pour les enfants qui meurent sans baptême, Commission Théologique Internationale, 2007 (désormais abrégé en CTI), n° 14.

[2On cite souvent en faveur des limbes le concile de Florence (DS 1349) : « Au sujet des enfants, en raison du péril de mort qui peut souvent se rencontrer, comme il n’est pas possible de leur porter secours par un autre remède que par le sacrement du baptême, par lequel ils sont arrachés à la domination du diable et sont adoptés comme enfants de Dieu, l’Église avertit qu’il ne faut pas différer le baptême... » En fait, ce passage du Décret pour les jacobites affirme seulement que le baptême est le seul moyen ministériel à la disposition de l’Église.

[3Cf. Pie VI, DS 2626 : « La doctrine qui rejette comme une fable pélagienne ce lieu des enfers (que les fidèles appellent communément les limbes des enfants) dans lequel les âmes de ceux qui sont morts avec la seule faute originelle sont punis de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux qui écartent la peine du feu introduisaient par là ce lieu et cet état intermédiaire, sans faute et sans peine, entre le Royaume de Dieu et la damnation éternelle dont fabulaient les pélagiens, (est) fausse, téméraire, injurieuse pour les écoles catholiques. » Le texte de Pie VI, qui date de 1794, vise l’erreur du Synode janséniste de Pistoie (1786), vouant ces enfants à la peine du feu, et rejetant les limbes comme fable pélagienne.

[4Ainsi avant le premier et le second concile du Vatican, cf. CTI, n° 27-28 ; pour Vatican II, la Commission préparatoire centrale s’appuya sur le « besoin de proposer une solution qui convînt mieux au développement du sensus fidelium » (ibid., n° 28).

[5Cf. S Augustin († 430), Enchiridion, XXIII, 93 (BA 9, p. 268) : « Bénigne entre toutes sera la peine de ceux qui, au péché qu’ils ont tiré de leur origine, n’en ont ajouté aucun... » Cette peine est cependant celle du feu, comme le précise un disciple de S Augustin, S Fulgence de Ruspe († 533), De fide ad Petrum, n° 70 (Migne, 2006, p. 101) : « [...] ils doivent être punis du supplice perpétuel du feu éternel. »

[6Les objections ne manquent pas en effet, ainsi S Jean Chrysostome écrivait déjà dans ses Homélies sur l’Évangile de saint Matthieu, 23, n° 7 (PG 57, 317) : « Nous savons que beaucoup redoutent seulement la géhenne, moi, j’affirme cependant que la perte de la gloire est une peine bien plus amère que la géhenne. »

[7Cf. S Thomas, In II Sent., d 33 q 2 a 2 (vers 1255, thème de la résignation) : « Si quelqu’un est privé de ce qui dépasse ses capacités, il ne s’afflige pas s’il a une raison droite… aucun homme sage n’est affligé de ne pouvoir voler comme un oiseau... » ; De malo, q 5, a 3, ad 4 (vers 1270, thème de l’ignorance) : « [...] les enfants qui meurent avec le péché originel sont certes séparés de Dieu pour toujours quant à la perte de la gloire qu’ils ignorent, mais non quant à la participation aux biens naturels qu’ils connaissent. »

[8Cf. Suarez (1548-1617), De gratia, Prolegomenon 4, c. 1, n. 17 (éd. Vivès, t. 7, 1857, p. 184) : « […] puisque la fin ultime de l’homme est double, Dieu a pu créer l’homme pour la seule béatitude naturelle... »

[9Cf. GS 41 § 2 : « Car, si le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l’histoire humaine et de l’histoire du salut, cet ordre divin lui-même, loin de supprimer la juste autonomie de la créature, et en particulier de l’homme, la rétablit et la confirme au contraire dans sa dignité. » ; GS 22 § 5 : « la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine... » L’expression « vocation divine » remplit, du point de vue de l’homme, le rôle que l’expression « ordre divin » joue du côté de Dieu : sans mettre en cause la distinction des plans nature-grâce, elle souligne leur unité dans l’homme concret, cf. E. Michelin, Vatican II et le « Surnaturel », 1993, p. 312 ; cf. aussi P. de La Soujeole, Le sacrement de la communion, 1998, p. 223-224.

[10Cf. Pierre Lombard, IV Sent., d 1, c. 5 : « Puisque Dieu peut donner la grâce à l’homme sans les sacrements, auxquels il n’a pas lié sa puissance... » Repris en CEC 1257 à la fin.

[11Rm 8, 32 : « Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous... »

[12Cf. S Thomas, De malo, q 5 a 3 arg. 1 : « [...] l’homme désire naturellement la béatitude. »

[13Cf. P. Bonino, « Avant-Propos », Revue Thomiste 2001, p. 6.

[14P. Torrell, « Nature et grâce chez Thomas d’Aquin », Revue Thomiste 2001, p. 192.

[15Cf. LG 12 : « L’universalité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1Jn 2,20 2,27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi (sensus fidei) qui est celui du peuple tout entier, lorsque, ’des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs’ (saint Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27 : PL 44, 980) elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. »

[16On peut penser à tant de mères qui espèrent dans la foi revoir leur enfant emporté par une fausse couche ; au cardinal Ratzinger, par ex. Entretiens sur la foi, Fayard, 1985, p. 179, ou Les principes de la théologie catholique, p. 43-45 ; et saint Jean-Paul II, 1° rédaction d’Evangelium Vitae (25 mars 1995), n° 99 : « [on s’adresse à des femmes ayant commis l’avortement] vous pouvez confier avec espérance votre enfant à ce même Père et à sa miséricorde ». Cf. aussi le Catéchisme de l’Église catholique (1992) n° 1261, qui parle « d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. » ; la messe et le rite des funérailles pour eux, cf. missel de 1970, et Code de droit canonique (1983), c 1183 §2. Notons que dans l’Église grecque catholique, il n’existe qu’un seul rite des funérailles pour les enfants, qu’ils soient baptisés ou non, et l’Église prie pour que tous les enfants soient reçus dans le sein d’Abraham où il n’y a ni douleur ni tristesse, mais seulement vie éternelle.

[17Cf. IIIa, q 68, a 11, ad 1 : « Les enfants dans le sein de leur mère peuvent cependant être soumis à l’action de Dieu, pour qui ils sont vivants, et par privilège recevoir la grâce de la sanctification... » S Thomas restreint cependant ce privilège, cf. q 27 a 6 c : « Et il ne faut pas croire qu’en dehors de Jérémie et de Jean Baptiste, d’autres, que l’Écriture ne mentionne pas, auraient reçu cette sanctification dans le sein maternel... » ; mais il a ici en vue les âges de préparation au Christ (Jérémie, Jean Baptiste), et la préparation la plus immédiate avec Notre-Dame.

[18Cf. P. Torrell, « Nature et grâce chez Thomas d’Aquin », Revue Thomiste 2001, p. 191 : « |...] la blessure de malice signifie que le libre arbitre, affaibli et diminué, est pour ainsi dire enfermé dans les biens créés, de sorte qu’il .ne peut en choisir aucun comme fin sans mettre en cause sa droite orientation à la fin dernière. »

[19CTI n° 85. Le P. J.-H. Nicolas, Synthèse dogmatique, Beauchesne, 1985, envisageait déjà cette solution, en s’appuyant sur le fait que l’enfant est « foncièrement ordonné vers le Christ sauveur, en vertu de l’acte créateur qui l’a fait à l’image de Dieu, et de la rédemption par le Christ dans laquelle il est virtuellement impliqué. » (p. 851).

[20Cf. CTI, n° 96. On peut aussi penser à la prière de tous les fidèles en ce sens ; Marcel Van, en L’amour me connaît, Écrits spirituels de Marcel Van présentés par le Fr. Marie-Michel, Fayard, 1990, p. 257-265, parle de mettre sa volonté dans le cœur des petits-enfants. On peut penser aussi à la prière de Marie qui est Mère de l’Église.

[21Cf. CTI, n° 94, note 127 : « En ce qui concerne la possibilité d’un votum de la part de l’enfant, la croissance dans le libre arbitre pourrait peut-être être imaginée comme un continuum qui se développe vers la maturité à partir du premier instant de l’existence, plutôt que de constituer un brusque saut qualitatif vers l’exercice d’une décision mûre et responsable. L’existence des enfants encore à naître constitue un continuum de vie et de croissance humaine ; elle ne devient pas brusquement humaine à un certain point. En conséquence, il se peut que les tout-petits soient effectivement capables d’exercer une certaine forme rudimentaire de votum, par analogie avec celui des adultes non baptisés. Certains théologiens ont envisagé le sourire de la mère comme la médiation de l’amour de Dieu pour l’enfant, et ont donc vu dans la réponse de l’enfant à ce sourire une réponse à Dieu lui-même. Certains psychologues et neurologues modernes sont convaincus que l’enfant dans le sein de sa mère est déjà en un certain sens conscient, et qu’il a un certain usage de sa liberté. »

[22CEC 1257 fin : « Dieu a lié le salut au sacrement du Baptême, mais il n’est pas lui-même lié à ses sacrements. »

[23Cf. L. Boros, L’homme et son ultime option, Mulhouse, Salvator, 1966.

[24Cf Innocent III, DS 780 : « La peine du péché originel est la privation de la vision de Dieu... »

[25Cf. P. J.-H. Nicolas, Synthèse dogmatique, p. 852.

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