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À l’occasion du Cinquantième anniversaire du Concile
Nous avions laissé notre bon ami Julien Green àl’orée du deuxième concile du Vatican ; retrouvons-le donc au même moment...
Très étrangement, nous chercherions en vain, dans le Journal ou ailleurs, une allusion à l’ouverture du concile, en octobre 1962, ou lors de son annonce par Jean XXIII. Ce n’est pas le fruit du hasard, car bien des événements plus anodins sont notés et consignés. Toutefois, Green continue à décrire les visites qu’il reçoit et l’état de la foi chrétienne autour de lui. Toutes ces choses qui le choquent, depuis le début des années 1950, lui paraissent être des faits inédits, allant croissant avec le temps. Le mutisme autour du concile lui-même est patent, puisqu’il n’en est fait aucune mention pendant de nombreux mois : c’est l’omertà. Il faut attendre l’année 1964 pour que sa parole se libère davantage. Nous pourrions cependant trouver une allusion en octobre 1962, peu de temps après l’ouverture, à demi-mot, et peu enjouée :
Phénomène particulièrement étrange, et sans doute pas fortuit lui non plus, le Journal est tenu beaucoup moins assidûment à compter de l’automne 1962, et cela encore en 1963 ; sans que l’on puisse dire s’il y a un rapport direct avec ledit concile.
Dans le cercle des fréquentations du romancier, la désacralisation des mystères de la foi et de la figure du prêtre semble être une peur partagée. La banalisation de la condition sacerdotale, trop fortement humanisée et réduite, paraît inquiétante :
La foi s’affaiblirait chez certains membres du clergé, ce qui ne peut qu’assombrir un auteur si profondément catholique :
Les thèmes qui inquiètent Green demeurent les mêmes en 1962 qu’auparavant, mais peut-être avec des différences d’intensité, notamment dans le domaine des traductions – point révélateur du changement des mentalités – auxquelles est attachée toujours plus d’importance :
Julien Green, un peu masochiste à l’occasion, poursuit néanmoins sa lecture :
L’Américain aime à prendre connaissance des nouvelles traductions publiées. L’évolution des mentalités vers la désacralisation, perceptible dans ces textes, perdure en 1964 :
Texte et langue se rejoignent facilement. Là encore, nous observons une gradation dans le désarroi de Julien Green pour ce qui est de la disparition annoncée et progressive du latin abandonné par les prêtres, d’après les épisodes que le diariste nous décrit, avec toujours un refus de porter un jugement, et avec une certaine incompréhension :
Le jeune clergé est toujours l’objet de descriptions qui n’enchantent pas nécessairement notre auteur :
La mort de Jean XXIII est évoquée, avec une brève description de l’homme qui fut nonce, sans opinion particulière [9]. La première apparition de son successeur est plus que favorable : « Le pape Paul VI, admirable visage, son regard tout d’intelligence et de bonté [10]. » Cette communion heureuse de Julien Green avec les Souverains Pontifes ne dissipe ses tourments que durant l’espace de deux pages – puis les inquiétudes reviennent :
Le concile est en cours, n’est pas terminé, point encore promulgué, mais les innovations qui étaient apparues dans la décennie le précédant s’enracinent, se multiplient, et agissent comme si elles étaient devenues légitimes sous son empire :
Le leitmotiv de l’influence protestante chez certains catholiques refait son apparition, de manière beaucoup plus nette qu’entre 1958 et 1961, attaqué plus vigoureusement par Green. Au passage, Vatican II est nommé pour la première fois :
Bien avant la conclusion du concile, une vague d’émancipation se soulève, et certains en profitent pour poser des actes majeurs quand ils ne seraient pas allés aussi loin quelques années auparavant. Le concile est un prétexte pour toute opinion déviante qui souhaite se faire oracle ou dogme. Cela est valable, par exemple, pour l’habit ecclésiastique :
C’est la première fois que l’expression « intégristes » apparaît dans le Journal, et elle n’est pas utilisée spontanément par le diariste, mais rapporté du discours d’un curieux séminariste. En continuant avec la série des futurs prêtres :
Les liturgies auxquelles Julien Green a droit semblent prendre de plus en plus de libertés avec l’antique missel romain, pourtant toujours en vigueur en 1964. Les gênes de l’auteur, en ce domaine, proviennent aussi de son caractère mélomane, de son esprit attentif à la beauté artistique, à l’esthétique :
Dimanche dernier, messe à Rambouillet. Des chants d’une laideur tout à fait remarquable. C’est à la fois tonitruant et pleurard. Tout le monde, sauf une personne consternée [s’agit-il du narrateur ?], donnait de la voix[16]
Parmi ses fréquentations, il en est certaines qui peuvent avoir un avis similaire. Nous avons ici la deuxième évocation directe à Vatican II – enfin nommé – et un commentaire final pouvant être interprété comme une allusion au déferlement de « l’esprit protestant » :
Julien Green poursuit sur la même voie que son ami, s’épargnant toute réserve, parlant également des renouveaux de l’arianisme et du pélagianisme, ressuscités sous de nouvelles formes et semblant fort malheureusement dominer la foi traditionnelle :
Le changement de ton dans le style greenien, n’y allant plus de main morte désormais, s’opère parallèlement à quelque agacement désemparé sensible dans les descriptions faites d’un certain clergé s’éloignant de la bonne orthodoxie [19] :
Apparaissent avec l’an 1965 les premières manifestations de nostalgie – principalement à propos de la liturgie – puisque Julien Green – comme beaucoup d’autres – ne se fait aucune illusion quant au sort futur du rite tridentin :
Avec le changement de langue, se fait jour un problème inhérent à toute traduction : celui du vocabulaire. Les modifications lexicologiques touchent jusqu’aux mots les plus classiques et traditionnels du répertoire religieux, même en dehors des textes sacrés, et le vocabulaire corporel – celui des gestes – peut lui aussi s’en trouver changé :
Mais en dépit d’une nostalgie sincère, l’espérance – la foi en Dieu et en l’avenir qu’Il réserve à l’humanité – reprend le dessus :
La sortie d’un nouveau missel en 1965 ne passe pas inaperçue, et fait l’objet d’une courte phrase, particulièrement incisive : « Le missel new look commence triomphalement par un contresens. Tous ceux qui ont confiance en toi ne seront pas déçus. Par conséquent, certains le seront. [24] »
Il est possible que l’engouement de foules pour toutes ces innovations liturgiques et certaines souplesses morales ait créé un sentiment de solitude et d’isolement dans l’esprit de Julien Green, même s’il était entouré par des personnes partageant heureusement ses vues. Comme pour couronner sa douleur, la presse anglo-saxonne l’attaque dans ce qui lui est le plus cher : « Un article dans l’Observer de Londres déclare mes idées religieuses aussi loin de ce temps que ’’la transsubstantiation ou l’efficacité de la prière [25]". » Le plus profond témoignage d’inquiétude se retrouve certainement dans une conversation – accordée à sa sœur – qu’il retranscrit dans l’un de ses cahiers :
Vatican II – « le Concile » fameux – est enfin directement nommé pour la troisième fois :
Le thème de la fracture générationnelle, du poids de l’habitude et de l’éducation, reparaît, mais toujours avec une acception nostalgique, et une dimension de châtiment :
Sans doute l’académicien serait-il ravi, aujourd’hui, de lire les différentes plumes du Rouge & du Noir... C’est ainsi que les années du concile correspondent à une période où certains catholiques considèrent qu’il est leur est enfin permis d’innover, en toute liberté personnelle, comme légitimement. Pour Julien Green, le désarroi augmente ; la nostalgie aussi. Il se montre inquiet, craintif, même s’il garde confiance, à terme. Il est peu satisfait des nouvelles traductions, des nouvelles liturgies, des nouvelles mentalités religieuses. C’est un tableau tortueux, tout en nuances. Pour finir, nous trouvons un excellent résumé de ces choses dans la correspondance entre J. Green et Jacques Maritain :
Qu’en sera-t-il après le deuxième concile du Vatican, au moment de son application immédiate, censée être réelle et effective ? Les paroisses de France l’appliqueront-elles véritablement, ou continueront-elles à lui préférer les contrefaçons apparues plusieurs années auparavant ?
Vivier du Lac
[1] Ibid., « 17 octobre 1962 », p. 320.
[2] Ibid., « 3 janvier 1962 », p. 294.
[3] Ibid., « 4 janvier 1964 », p. 344.
[4] Ibid., « 30 avril 1962 », p.304
[5] Ibid., « 9 mai 1962 », p. 306.
[6] Ibid., « 11 mars 1964 », p. 347.
[7] Ibid., « 6 mai 1962 », p. 305.
[8] Ibid., « 4 mai 1963 », p. 327.
[9] Ibid., « 5 juin 1963 », p. 330.
[10] Ibid., « 23 juin 1963 », p. 332.
[11] Ibid., « 7 juillet 1963 », p. 333-334.
[12] Ibid., « 16 juillet 1963 », p. 335.
[13] Ibid., « 6 novembre 1963 », p. 338.
[14] Ibid., « 13 janvier 1964 », p. 344-345.
[15] Ibid., « 8 février 1964 », p. 345-346.
[16] Ibid., « 23 mars 1964 », p. 347.
[17] Ibid., « 26 avril 1964 », p. 348.
[18] Ibid., « 6 juin 1964 », p. 349-350.
[19] Les catholiques sont seuls orthodoxes, les schismatiques orientaux n’étant que des « photiens », selon le juste rappel du comte de Maistre dans son Du Pape.
[20] Ibid., « 18 juillet 1964 », p. 352.
[21] Ibid., « 19 janvier 1965 », p. 360.
[22] Ibid., « 23 mars 1965 », p. 363-364.
[23] Ibid., « 26 mars 1965 », p. 364.
[24] Ibid., « 4 avril 1965 », p. 365.
[25] Id.
[26] Ibid., « 12 avril 1965 », p. 365-366.
[27] Ibid., « 6 mai 1965 », p. 367-368.
[28] Ibid., « 2 juillet 1965 », p. 375.
[29] Julien GREEN, Lettre n° 152 à Jacques Maritain, datée du 28 janvier 1964, dans Une grande amitié. Correspondance 1926-1972, Paris, 1979, p. 151.
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