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Bien que ce pontificat n’ait jamais vraiment été de tout repos, et que les critiques se soient fait jour très rapidement après l’élection de mars 2013, il semble que ces derniers jours, à la suite des propos du Pape François sur la violence islamique, ont vu comme une affirmation de la rupture entre le pontife romain et un certain milieu attaché à la tradition. Tout d’abord, au sujet de la querelle que l’on fait au pape, quelques précisions s’imposent. Il va de soi que tout chrétien est la proie des passions soufflées par le démon, que la vie est une lutte constellée d’échecs contre le péché, et que la violence, la haine et les pulsions de mort font partie du quotidien de tous les hommes, baptisés ou non. Peut-être y a-t-il une vertu à rappeler aux pécheurs qui remplissent les églises que les iniquités des autres ne doivent pas être un moyen de se glorifier de sa propre pureté – c’est la mission même du pasteur. Et peut-être quelques tradis plus passionnés d’identité et de mythopéchuréaquitude en ont-ils besoin. Il n’en reste pas moins qu’un tel discours, nécessaire, ne peut avoir de valeur que s’il s’accompagne d’une autre considération : la réalité impose à tous, aujourd’hui, de reconnaitre que des mahométans menacent directement la sécurité physique de ceux qui vivent en Occident. Diluer ce fait dans la violence humaine, comme l’a fait le pape, revient à l’ignorer, et à montrer un grand mépris pour ceux qui en sont désormais réduits à craindre pour leur vie.
Car c’est bien une offensive dirigée contre le monde chrétien d’Europe qui est à l’œuvre, avec pour but sa soumission, avec pour revendication de suivre en cela les ordres que Mahomet a consignés dans son coran. Est-ce le devoir d’un pasteur de s’aveugler sur ceci, et de refuser la consolation juste qui revient aux fidèles, qui se sentent visés par pareille menace ? Sans aller jusqu’à proférer des propos qui mettraient en danger la vie des chrétiens vivant en minorité dans des pays mahométans [1], il aurait été préférable pour le pape d’assurer les chrétiens pris pour cible de sa prière pour la victoire sur l’ennemi et l’hérésie, dans un langage qui est celui de la Tradition depuis que le christianisme existe.
Quel est, de toute façon, l’usage que l’on peut trouver à cette prudence journalistique employée à ne pas faire « d’amalgame » contre l’islam ? A cette volonté d’affirmer que l’on peut vivre ensemble ? Est-ce là le problème ? Et l’islam n’a-t-il pas déclaré, même dans les sourates « pacifiques », la guerre à la mécréance des « associateurs » que sont les chrétiens ? Est-il souhaitable de nier cette adversité résolue, fut-elle seulement religieuse, au profit d’un discours politiquement correct ? Bien au contraire, saint Jean Damascène, dans La Fontaine du Savoir, formule une critique définitive et sans concession des mensonges formulés par le faux prophète Mahomet dans son coran : un tel paradigme est-il réconciliable avec la mollesse doucereuse à l’œuvre dans les dernières déclarations papales ? Comment peut-on s’acharner à ne pas vouloir définir avec sévérité pareille hérésie ? Quant à soutenir que le rôle d’un pape est de ne pas alimenter de conflit, on aura profit à se rappeler que, tout en ne considérant pas les mahométans comme des engeances diaboliques, les prélats de l’Orient attaqué n’en bénissaient pas moins les armées qui sortaient des villes pour endiguer les invasions militaires du VIIIe siècle. Il y a bien là des manquements graves dans l’attitude de François, et ils révèlent une déficience critique dans l’accomplissement d’un ministère pastoral plein et entier.
On aura beau chercher des excuses, des raisons, des circonstances aux propos du pape, de moins en moins de monde veut croire à une telle bonne foi, hormis certains sectateurs inconditionnels qui, tout en se défendant d’attribuer au pape une infaillibilité bien plus large que ne le prévoit le dogme de 1870, n’en finissent pas moins par se comporter comme si le moindre ronflement du pontife romain portait la marque de l’inspiration divine. Et ce sont les mêmes qui, depuis le début du pontificat, jubilent à l’idée que ceux qui défendaient le pape Benoît XVI contre les jérémiades progressistes soient désormais tentés par l’opposition frontale à son successeur. Mais, sur ce sujet comme sur un autre, pareil enthousiasme est déplacé, et le présent exemple le montre bien.
La critique à l’égard d’un hiérarque, même si, maladroitement, les traditionalistes s’y opposaient par principe jusqu’en 2013, n’est en aucun cas proscrite par la Tradition. Bien au contraire, des évêques furent déposés en tout temps et en tous lieux par le passé lorsque le peuple les percevait comme dangereux pour l’Eglise. Et l’on n’ose imaginer la réaction du peuple de Constantinople en 1452 si le patriarche avait déclaré que les Turcs n’étaient pas des ennemis. La meilleure des solutions, pour les questions qui ne touchent pas à la foi, est de ne pas se tenir informé des propos dérangeants d’un hiérarque, ce qui, faute de réseaux sociaux, fut le cas pendant la plus grande partie de l’histoire moderne ; mais, en cas de manquement grave, la critique, voire l’opposition, n’est pas un droit, elle devient un devoir. Même dans la conception romaine de l’élection, qui n’a pas vraiment d’équivalent dans la tradition antique, il n’est pas dit qu’un pape élu dans un conclave est nécessairement un vaisseau de l’Esprit Saint en toutes choses : Celui-ci souffle, son destinataire peut néanmoins faire la sourde oreille.
Plus précisément, la place et la vénération réservées par la Tradition à la hiérarchie consacrée dans l’Église ne peuvent être comprises que dans le cadre d’un but, sans quoi elle reviendrait à renoncer à l’égalité de tous devant le salut. Ce but est la transmission de la foi aux générations suivantes, et la préservation des fidèles au sein de l’Église. De même qu’un prêtre ne s’habille pas de vêtements liturgiques pour sa propre allure mais pour servir à l’avènement du royaume dans les offices, un évêque ou un pape n’est pas installé sur le trône de la sagesse divine pour sa propre gloire, mais pour l’édification de l’Église sur terre, qui se fait, essentiellement, par la préservation prudente et inconditionnelle de ce qui a été reçu des siècles passés.
A cette aune, rappelons-nous que Benoît XVI fut systématiquement attaqué parce qu’il se faisait l’avocat des usages et des modes de pensée anciens : son refus du relativisme ambiant, ses réflexes liturgiques traditionnels, sa défense placide des enseignements moraux du Christ sur les sujets sexuels que lui envoyaient sans discontinuer les médias et l’actualité, tout cela lui était reproché parce qu’il s’agissait de la Tradition chrétienne, celle qui choque le monde depuis la mission du Seigneur sur les plages de Galilée. Qu’en est-il du pape François, dans cette perspective ? Que lui reproche-t-on souvent chez les traditionalistes, si ce n’est de s’éloigner délibérément des usages reçus, en liturgie comme en pastorale, de faire une place toujours plus grande à un camp de novateurs avérés, et de délaisser la défense de la foi face aux hérésies dont la déviance mahométane est la plus dangereuse de nos jours, pour ne parler presque exclusivement que de morale ? Ce ne sont pas là les prérogatives spécifiques d’un pape, mais celles de tous les évêques – il est surprenant que le premier d’entre eux s’en acquitte avec une telle désinvolture apparente.
Voilà le vrai fond de l’affaire : là où l’esprit moderne voudrait voir dans la succession d’un hiérarque à un autre la version ecclésiastique de l’alternance du pouvoir, et y accoler une fidélité démesurément attachée à une personne (alors qu’il est mille fois répété sous la plume de saint Paul que « devant Dieu il n’y a point d’acception de personnes » [2]), la Tradition enseigne qu’un hiérarque n’est vénérable comme tel que lorsqu’il ne se rend pas indigne de la mission qu’il a reçue de l’Église. Il faut donc cesser de comparer les critiques faites aux deux papes, et de dire avec raillerie que les traditionalistes sont pris à leur propre piège : qu’ils aient mal formulé leur réaction à l’acharnement du monde journalistique et d’une partie du monde catholique à Benoît XVI n’enlève rien au fait que certaines critiques sont tout à fait compréhensibles, et d’autres inacceptables.
Peut-être qu’avec le temps même les plus butés des soutiens de ce pape seront amenés à voir avec plus d’objectivité les problèmes qui se font jour dans ce pontificat. De toute façon, l’objet de cet article n’est pas de soulever une motion populaire pour appeler à la « démission » du pape François ; mais peut-être les révoltes que son comportement occasionne désormais amèneront-elles le monde catholique dans son ensemble, traditionalistes comme progressistes, déboussolé par les grands bouleversements des cinquante dernières années, à reconsidérer certaines attitudes et conceptions qui n’ont rien à voir avec la Tradition, notamment celle qui consiste à considérer qu’être un bon chrétien revient à défendre le pape contre toute critique (ou à considérer qu’il n’est pas pape s’il dit une seule bêtise). Il est peut-être temps de revenir à une vie de foi centrée sur la communauté locale, et non sur l’existence lointaine d’un pape et d’un magistère qui n’ont pas vocation à fournir la totalité de la nourriture spirituelle de tout un chacun. En lieu et place des encycliques, commencer par lire les exégèses des premiers pères de l’Église ; en lieu et place des entretiens journalistiques, les apophtegmes des pères du désert ; en lieu et place des tweets rédigés dans un latin hasardeux, et c’est peut-être le plus important, les hymnes de l’Église et la théologie chantée qu’elles contiennent.
[1] Mais on sait, comme le montre l’exemple de Ratisbonne, que de telles réactions sont bien plus causées par l’emballement médiatique inconséquent que par les propos eux-mêmes, et que, par-là, se censurer automatiquement par prudence reviendrait à abdiquer tout pouvoir de parole.
[2] Rom 2 :11
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