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On l’a assez dit, la communauté catholique française est sous pression. Devenu brutalement sensible, elle réagit à la moindre évocation du monde extérieur comme une agression dans sa foi.
Fin octobre, le tocsin sonnait dans la blogosphère jusque dans les sacristies devant la tenue à Paris du spectacle « Sur le concept du visage du Fils de Dieu », jugé blasphématoire par l’Institut Civitas, qui a sommé les catholiques de prendre position, avec force de pétitions, d’articles et de manifestations, jusqu’au désaveu officiel du cardinal-archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois. La mobilisation continue cependant face à une autre pièce, « Golgota Pic Nic ».
La semaine dernière, un article intitulé « Ces jeunes cathos qui survivent à Sciences Po » [1], publié sur le site Liberté politique, a déchaîné les passions : pour certains, les catholiques constitueraient une minorité persécutée par la société sécularisée et vouée à la modernité, contre qui il faut lutter. Pour d’autres, la tentation de repli identitaire guette la jeunesse catholique, et l’empêche d’accomplir une réelle évangélisation.
Entre ces deux évènements, l’Eglise fêtait le Christ-Roi de l’Univers, qui clôture l’année liturgique. Ce fut une occasion de se pencher sur la « royauté sociale de Notre-Seigneur », invoquée comme pierre d’angle du nouveau combat catholique.
La royauté du Christ, malgré sa remise à l’honneur au XIXe siècle et sa consécration en 1925 par l’encyclique du pape Pie XI Quas Primas (un an avant la condamnation par Rome de l’Action française), est une doctrine éminemment biblique, que l’on trouve dans le Livre de Daniel, au chapitre 7, puis dans de nombreux passages des Evangiles, notamment Matthieu 25, 31-46.
Jusque devant Ponce Pilate, Jésus reconnaît qu’il est roi (Jn 17, 33 -37), tout en ajoutant : « Ma royauté n’est pas d’ici ». Sans entrer dans des détails théologiques, cette affirmation du Christ devrait suffire pour remettre en cause l’idéal de bâtir des sociétés politiques chrétiennes, qui assurerait publiquement la défense de la religion, la punition du blasphème et l’évangélisation.
Concrètement, le règne social du Christ doit être la conséquence logique de la foi : l’homme étant un être social, son appartenance au Sauveur doit se traduire dans sa vie et son entourage par l’exercice des vertus évangéliques et des Béatitudes, que Tolstoï avait adopté comme seul programme politique valable ! En vivant dans l’amour et attachés à la Vérité, les chrétiens travaillent à établir le règne du Christ sur tous les hommes, en attendant le retour glorieux du Roi, que l’on appelle lors de chaque messe.
Œuvrer pour le Royaume est donc une exigence « qui coûte », pour reprendre l’expression du Pasteur Bonhoeffer, appeler à devenir visible dans la société humaine (les fameuses « têtes de ressuscités » attendues par Nietzsche), et à la transformer. Le règne social de Jésus-Christ n’a donc rien à voir avec un ordre moral imposé par les autorités.
Certes, l’Eglise a longtemps cru qu’il était de son devoir d’associer le pouvoir politique à la religion. C’était encore l’opinion défendue par Mgr Marcel Lefebvre, en exigeant des hommes d’Etat qu’ils appliquent « le décalogue » à la société, et en prenant le Portugal de Salzar et l’Argentine du général Videla en exemples de « régimes chrétiens ». Le cardinal Ratzinger lui a répondu dans son ouvrage Les principes de la théologie catholique :
« Il lui a fallu (à l’Eglise) se séparer de beaucoup de choses qui jusque-là assuraient sa sécurité et lui appartenaient comme allant presque de soi. Il lui a fallu abattre de vieux bastions et se confier à la seule protection de la foi ».
En accourant avec courage et générosité, mais aussi avec une certaine naïveté, les catholiques qui ont marché avec l’Institut Civitas contre les blasphèmes théâtraux ont contribué à populariser dans la presse l’expression « fondamentalisme catholique » (au demeurant fausse), et à réjouir les non-croyants amateurs de clichés sur la religion en général, source d’intolérance, comme chacun le saitn surtout lorsqu’il s’agit des chrétiens.
Il y a un grand risque aujourd’hui de faire apparaître les catholiques pratiquants comme la branche religieuse de la droite réactionnaire, dans son état de décrépitude actuel, ou, encore mieux, de l’extrême-droite, alors que la caricature antichrétienne ne demande que ça. Pour y remédier, nous devons donc être malins, et nous tenir à l’écart de deux écueils principaux : la lutte politique mêlée à la religion, et la manipulation de groupuscules intéressés, dont l’Institut Civitas est l’exemple parfait.
Puisque Civitas et son secrétaire général Alain Escada ont voulu monter au créneau, ils doivent faire preuve de transparence et ne pas se dérober. Or, il s’avère que, malgré leurs protestations, le mouvement est ancré dans des appartenances politiques, et colporte quelques nostalgies inavouées.
Il est ainsi établi que l’entourage de M. Escada est lié avec la frange droitière du Front National, dont le bruyant Alexandre Simmonot, et Carl Lang, hier fine fleur de la mouvance « néo-païenne », devenu paradoxalement le champion de certains catholiques traditionnalistes, qui forment l’essentiel du personnel de son groupusculaire Parti de la France.
Alain Escada revendique en outre sa filiation avec la « Cité catholique », fondée après la Seconde Guerre mondiale par un disciple de Charles Maurras, Jean Ousset, ancien pilier du journal L’Action française et devenu proche de Mgr Lefebvre. En 1960, devant l’influence grandissante de la Cité catholique dans l’armée, notamment en Algérie, les évêques de France se réunirent pour débattre et statuer sur le mouvement. Leur constat, sans appel [2], met en garde contre la confusion que l’on retrouve aujourd’hui :
« Faire l’unité (le « front commun ») des catholiques sur le terrain de l’action temporelle ? Ce n’est ni possible, ni désirable.
a) Ni possible, car il s’agit ici de chercher des applications des principes de la Doctrine sociale de l’Église. Or, l’Église laisse à ses fils une liberté très grande dans le domaine des solutions concrètes et techniques de l’ordre social et politique : elle n’impose pas une solution au nom de sa doctrine. Domaine des choses contingentes, où tant d’éléments entrent en jeu : les tempéraments, les mentalités, la culture, l’étendue de l’information, les possibilités de réalisation, etc.
b) Ni désirable, parce qu’on risque de compromettre l’Église dans un domaine où elle n’entend pas s’engager : si tous les catholiques étaient unis pour une solution technique de l’ordre politique ou social, ce serait l’Église – qu’on le veuille ou non – qui porterait la responsabilité de cette position. »
Et l’épiscopat français de l’époque d’ajouter :
« La Cité catholique est très axée dans une certaine ligne politique : droite et extrême droite. Certes ! c’est le droit de ses membres comme citoyens de choisir cette option politique ; mais comment rapprocher des catholiques qui ont d’autres opinions politiques légitimes elles aussi. Le danger est alors de les juger au nom de la doctrine qu’on prétend incarner, de considérer que les options politiques sont condamnables, de suspecter leur orthodoxie. »
Après le schisme lefebvriste de 1988, la Cité catholique éclate en deux mouvements : Ichtus, catholique traditionnaliste, mais fidèle au pape, et Civitas, qui demeure dans l’orbite de Mgr Lefebvre et de la FSSPX. La boucle est bouclée.
Le règne du Christ est réel. Il commence chaque matin, et dépend de chacune des décisions que nous prendrons. C’est une tâche ardue, mais passionnante : elle est à même de combler un homme et de donner un sens à sa vie.
Ce règne ne peut pas s’imposer à la force du poignet, par une désobéissance civile ou des coups de gueule et de poings contre la dérision antichrétienne ou le laïcisme intolérant. Qu’est-ce que « l’honneur du Christ » ? Nous n’y trouvons aucune trace dans les Ecritures, au contraire, Pierre a été repoussé par Jésus alors qu’Il était outragé. On pourrait même dire que c’est l’antithèse de la Passion.
Entre une minorité réfugiée derrière des remparts confortables, qui ronchonne et méprise le monde qui l’entoure, et une minorité décomplexée mais non arrogante, ouverte à l’autre et qui brille de la joie de l’Evangile, à nous de choisir l’image que nous voulons donner.
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