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Les libéraux-conservateurs sont-ils de gauche ? [Réponse à Ambrogio Riva]

Cher Ambrogio Riva,

J’ai lu avec attention – comme à mon habitude sur le Rouge & le Noir – votre article : « les libéraux-conservateurs sont-ils de droite ? ». C’est effectivement une question qui mérite d’être posée, mais permettez-moi de douter de la réponse que vous donnez.


Ce qui vous pose problème, si je saisis bien votre propos, c’est le classement par les libéraux et les libéraux-conservateurs de leurs adversaires politiques concernant les questions de politique économique.

Vous résumez ainsi l’opinion des libéraux-conservateurs sur leurs adversaires :

« Quiconque oserait porter la moindre critique contre le système libéral mondialiste serait de gauche, au motif que l’abominable Mélanchon-égorgeur-d’enfants-au-couteau-entre-les-dents le critique également. Quiconque oserait s’élever contre le vol institutionnel organisé par la finance apatride serait de gauche. Quiconque dénoncerait l’accaparement scandaleux des richesses par quelques voyous consanguins serait de gauche. Cela ne souffre aucune contradiction, c’est tellement évident. »

Vous dénoncez donc cette affinité pour le marché qui rendrait les libéraux-conservateurs proches de la « finance apatride ». Vous leur reprochez de classer à gauche tous ceux qui dénoncent l’empire de la finance. En réalité, rares sont les libéraux (conservateurs ou non) qui, aujourd’hui, me semble-t-il, se servent vraiment de la distinction entre gauche et droite. Ils lui préfèrent la distinction étatisme vs. libéralisme. Comme beaucoup en ce moment, ils essaient de se placer au-dessus des logiques traditionnelles d’appartenance, ce qui a conduit certains – ne voyez pas ici mon approbation – à se rapprocher de François Bayrou [1].

Pour comprendre la grille de lecture des libéraux-conservateurs, le meilleur moyen n’est peut-être pas de lire Maurras, mais plutôt d’essayer de comprendre ce qu’ils entendent par étatisme et libéralisme.
Cette opposition désigne deux pôles de la politique économique que l’on peut représenter sur un axe.
À l’une des extrémités se trouve l’étatisme regroupant toutes les tendances qui visent à faire de l’État l’ordonnateur unique, l’organisateur, le principal agent de l’économie. À mesure que, parcourant l’axe dans la direction opposée, l’on s’éloigne de ces tendances, l’État devient un acteur de moins en moins prépondérant, jusqu’aux courants les plus libéraux qui refusent à l’État toute action en matière économique.

L’analyse que le libéral opère est une analyse axiale positionnant les courants et les personnalités politiques entre économie planifiée et économie de marché. Le critère pertinent, selon lui, n’est donc pas l’appartenance à la droite ou à la gauche, mais la position sur l’axe. C’est pourquoi le libéral rapproche la gauche et certains courants de droite, parce que la politique économique qu’ils défendent se trouve du même côté, i.e. du côté de l’étatisme.

Voilà le classement des libéraux-conservateurs, qu’on y adhère ou pas, en matière de politique économique. Il a ses défauts et ses qualités, mais ne ressemble que peu à la caricature que vous en faites.

Ensuite, dans votre propos, subsiste un amalgame entre l’anti-étatisme, que vous reprochez aux libéraux-conservateurs, et le mondialisme financier. Tout libéral-conservateur serait un mondialiste défendant une gouvernance internationale oligarchique – ou au moins une disparition de la nation au profit d’une entente globale, de manière inconsciente, larvée ou même parfois de manière tout à fait volontaire.
Vous commettez à mon sens une erreur. Vous mélangez deux types de questionnements :
L’opposition entre étatisme et économie de marché est une réponse à la question : quelle économie ? Quelle gestion de la rareté ?
L’opposition entre mondialisme et nationalisme (ou patriotisme – la distinction n’est pas ici très importante) est une réponse à la question : quel espace ? Quelle communauté politique ?
Ces deux questions du modèle économique et de la communauté politique ont, à n’en point douter, des relations, mais sont bien distinctes et n’appellent pas une combinaison de réponses systématique.

Puis vous vous intéressez à la droite en essayant de démontrer que les libéraux-conservateurs n’y ont pas leur place.
Vous décrivez ainsi la droite française :

« La droite française, j’entends la droite de conviction, la droite catholique et nationale, n’a jamais été ni mondialiste ni une grande amie de la finance. Elle a toujours frappé avec toute la violence dont étaient capables ses glorieuses plumes, et Dieu sait s’ils y excellaient, contre les banquiers, contre le grand patronat, contre l’accumulation excessive de richesses entre les mains d’une ploutocratie vorace. »

J’ai le sentiment que votre vision de la droite est quelque peu réductrice. N’y a-t-il aucune droite en dehors de la « droite de conviction, la droite catholique et nationale » ? Qui plus est, celle-ci serait-elle la seule à avoir des convictions ?
Pour ma part, je ne pense pas qu’il y ait une essence de la droite, une droite authentique et inaltérable. La droite n’est qu’un positionnement conjoncturel, une situation relative par rapport aux autres forces politiques en présence à un moment de l’histoire. Elle n’est pas une pensée en soi, elle est tout au plus le reflet de la pensée des courants qu’elle abrite.
Mais rassurez-vous, je crois que les libéraux-conservateurs ne feront pas grand cas d’être chassés de ce que vous appelez la droite.

Il y aurait encore de nombreux aspects à développer sur le problème libéral. Permettez-moi simplement, pour finir, de proposer quelques pistes de réflexion :

  • Pourquoi les libéraux associent-ils, d’après vous, la gauche et la droite sous l’adjectif "étatiste" ? Qu’est-ce qui distingue l’étatisme de Marine Le Pen de celui de Jean-Luc Mélenchon pour prendre deux exemples caricaturaux peut-être, mais qui font l’objet de rapprochements chez les libéraux ?
    Ensuite, il serait bon de réfléchir sur ce qu’est le libéralisme. Il s’apparente de fait bien plus à une galaxie qu’à un courant avec une orthodoxie monolithique. Aujourd’hui, mais sans doute le savez-vous, le mot libéral n’a d’ailleurs plus le même sens aux États-Unis et en France.
    À cette réflexion sur les idées libérales, je ne peux que vous prier d’assortir un peu de bienveillance (je n’ai pas dit tolérance, ni aucune autre mièvrerie moderne) à l’égard des libéraux-conservateurs, des libéraux tout court même, dont les intentions, souvent bien plus généreuses que vous le laissez entendre, ne demandent qu’à être éclairées.
  • Henry le Barde suggérait la lecture de François Huguenin, je me permets d’ajouter celle de Daniel Villey : L’économie de marché devant la pensée catholique, qui je crois offre un aperçu clair, simple et précis de la question du libéralisme. S’il ne devait y avoir qu’une seule lecture, à mon humble avis, ce devrait être celle-là. [2]
     [3]

Dans le cas où je n’aurais pas bien saisi la profondeur de votre propos, je serais ravi de recevoir toutes les précisions éventuelles que vous serez prêt à donner au Lecteur et à moi-même.

Bien cordialement,


[1voir notamment la stratégie du Parti Libéral Démocrate

[2Les gens qui voudraient aller plus loin liront avec intérêt ce texte-ci par exemple :http://www.scribd.com/doc/76389351/Jorg-Guildo-Huslman-L%E2%80%99economie-de-la-gratuite-IC

[3Enfin, à titre strictement documentaire, pour savoir à quoi ressemble vraiment ces libéraux-conservateurs, je vous invite à visiter cette page, ou celle-ci par exemple.

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