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Le vitrail est un art paradoxal. Perçu dans l’instant, il semble fixe. L’œuvre observée est à première vue identique à ce qu’en a perçu cet autre visiteur il y a quelques semaines ou à ce que voyaient, il y a plusieurs siècles, ces fidèles qui priaient alors dans l’église. Mais le vitrail est aussi un art toujours en mouvement. Comme elle le fait pour le cinéma, la lumière est nécessaire pour le révéler. L’œuvre, alors, devient double : il y a d’abord le sujet propre du vitrail, puis, à travers les rayons lumineux qui le traversent, un jeu de lumières et de couleurs se fait au sein de l’édifice, se déplaçant tout au long de la journée au sol et sur les piliers.
André Malraux regrettant l’ajout massif de lumières artificielles dans les édifices religieux disait du vitrail - et avec lui de l’église qu’il orne - qu’il « s’éveillait et s’endormait avec le jour [...] le vitrail animé par le matin, effacé par le soir, faisait pénétrer la création dans l’église du fidèle. »
Après avoir atteint sa pleine maturité au Moyen Age, l’art du vitrail évoluera peu jusqu’au début du XXe siècle. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle que de nouvelles innovations vont voir le jour. Le vitrail, jusque là presque exclusivement réservé aux édifices religieux va désormais être employé dans des édifices, publics ou privés de toute autre nature. C’est ainsi que l’on observe la création de vitraux pour décorer la demeure de riches particuliers ou des bâtiments nouvellement créés (tels le Palais de la musique catalane à Barcelone ou le nouveau bâtiment de la Sorbonne). De même, certains créateurs utiliseront le vitrail pour créer des luminaires.
Si certaines techniques ont été oubliées et perdues depuis l’époque médiévale (on regrette, par exemple, de ne plus savoir comment était fabriqué concrètement le bleu de Chartres), d’autres techniques ont vu le jour depuis un siècle : à coté du verre d’abord peint puis cuit, des plaques de verre où la couleur se trouve dans la masse et non en surcouche peinte sont utilisées dans certaines œuvres ; des expérimentations sont réalisées avec des sertissages autre que le plomb ; le verre thermoformé, la porcelaine ou encore le plexiglas font aussi leur apparition.
Au delà de ces innovations techniques, l’art du vitrail religieux dont les codes n’avaient que fort peu évolué durant des siècles a été profondément modifié à partir du début du XXe siècle. Ces évolutions, qui ont accompagné bien évidement le reste des courants artistiques posent - indépendamment du jugement artistique et de la beauté de l’œuvre réalisée - plusieurs interrogations.
Après la première guerre mondiale dans une faible mesure, mais surtout à partir de la fin de la seconde, les nombreuses destructions d’édifices religieux et de vitraux (soufflés par les bombes ou détruits par les tirs, quand ils n’ont pas pour certains été volés) ont nécessité une restauration rapide de ces édifices.
Inévitablement s’est alors posée la question soit de restaurer les vitraux à l’identique, soit de les remplacer par des créations contemporaines. A ces édifices abimés par la guerre vinrent s’ajouter tout au long du XXe siècle d’autres églises pour lesquels il fut jugé utile de remplacer les anciens vitraux, certains étant jugés parfois « sans valeur artistique ».
Si une restauration à l’identique a ses difficultés propres (peut-on utiliser les mêmes techniques de fabrications que les originaux ? Avons-nous des photos ou des plans suffisamment précis des vitraux à restaurer pour pouvoir recréer ou restaurer l’œuvre ? ...), le remplacement de vitraux anciens par des œuvres contemporaines pose le souci de la cohérence de l’ensemble et de l’intégration de ces œuvres contemporaines dans des édifices plus anciens. Comment faire le choix entre restauration et remplacement ? Et comment remplacer par une œuvre contemporaine tout en respectant le lieu, son histoire et son ensemble de manière à ce que le neuf s’intègre harmonieusement dans l’ancien ?
Les vitraux XIXe de l’Église Saint-Louis-en-l’Île alors que l’édifice est du XVIIe montrent bien que ce risque d’intégration ratée n’est pas propre à l’art contemporain. La critique est donc ici de portée plus générale, mais elle prend tout son sens lorsque l’on aborde le vitrail contemporain.
Bien avant Paul VI et sa déclaration aux artistes de 1964, il faut souligner le rôle important du Père Couturier, o.p., de 1936 à 1954, à travers, entre autre, sa revue « L’Art Sacré », qu’il anime avec un autre dominicain, le Père Régamey pour faire participer l’église à la création contemporaine, ou plutôt que l’église soit elle aussi touchée par les créations contemporaines.
L’Église est un bâtiment religieux, construit dans un but bien précis : la célébration de la liturgie. A ce titre, il faut se demander si certaines formes d’expression artistique qui ont leur place dans d’autres branches de l’art sont tout aussi pertinentes ou judicieuses dans l’art religieux.
Dans son discours aux artistes, en 2009, le Pape Benoît XVI appelant à « l’expérience du beau, du beau authentique » précisait :« la recherche de la beauté dont je parle ne consiste bien évidemment en aucune fuite dans l’irrationnel ou dans le pur esthétisme ». Il soulignait peut après à quel point les sujets concrets des œuvres d’art religieuses sont importants : « cette affinité, cette harmonie entre parcours de foi et itinéraire artistique est attestée par un nombre incalculable d’œuvres d’art qui mettent en scène les personnages, les histoires, les symboles de cet immense dépôt de "figures" - au sens large - qu’est la Bible, l’Écriture Sainte » [1].
Si les statuaires des églises et des cathédrales sont en effet des « catéchismes de pierre », les vitraux qui ornent ces mêmes édifices sont eux de véritables « catéchismes de lumière ».
On observe au XXe siècle deux affaiblissements distincts et pas forcément successifs : un glissement du religieux chrétien au religieux abstrait ou au spirituel, et du spirituel à l’abstraction radicale.
Cet affaiblissement considérable de l’enseignement religieux par l’image (sculptures, vitraux, tableaux, ornements, ...) touche toutes les formes de l’art religieux. L’art, autrefois, jouait sur les deux tableaux : le vitrail était immédiatement compréhensible pour le simple croyant qui y voyait des scènes bibliques ou hagiographiques. Les représentations codifiées ou les symboles plus abstraits ou cachés ne faisaient que compléter et enrichir ce message directement perceptible. Le croyant plus cultivé y voyait la même chose mais enrichie de la porté symbolique, comprenant le sens de certains arrangement ou les références plus fines.
La complexité de ces œuvres médiévales, dont la signification se jouait à plusieurs est encore complétée par le jeu des couleurs. De loin, les rosaces de Notre Dame de Paris ou de Notre Dame de Chartres nous surprennent par leur beauté lumineuse et leur jeu chromatique mais de près l’on aperçoit que cette harmonie est complétée et créée par des scènes bibliques qui font partie intégrante de ces rosaces et de leur beauté spirituelle.
On pourrait me reprocher de préférer ici l’abbé Suger au dépouillement cistercien (« vitrae albae fiant, et sine crucibus et picturis ») mais il me semble difficile de rattacher l’abstraction de l’art contemporain à cet art dépouillé cistercien, profondément lié à la simplicité de la vérité de Saint Bernard.
« Il vaut mieux s’adresser à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talent » déclarait le père Couturier, o.p., et il n’y a bien évidement pas d’empêchement en soi à faire travailler des artistes contemporains ou des artistes athées, mais la foi n’ôte rien au génie des artistes, au contraire.
En 1964, le Pape Paul VI voulut réaffirmer l’amitié entre l’Église et les arts [2]. Devant les œuvres contemporaines créées, il faut cependant se poser la question : n’a t’on pas trop privilégié cette "amitié" pour elle-même, sans se soucier de la beauté et de la symbolique religieuse (et catholique) ? Car c’est bien l’art qui doit se mettre au service de l’Eglise et de son message, et non à l’Eglise de se mettre au service de l’art.
Nombre de ces créations ont-elles vraiment élevé les fidèles vers Dieu ? N’ont-elles pas plutôt rendu le fidèle confus, le laissant balbutier devant des œuvres qu’il ne comprend plus ?
Il y a une beauté et une harmonie certaine dans de nombreuses œuvres contemporaines, mais cette beauté ne peut masquer leur faiblesse religieuse et leur absence d’enseignement. Il est frappant de voir que nombre de ces vitraux contemporains (comme les célèbres tulipes de Carole Benzaken de l’église Saint-Sulpice à Varennes-Jarcy) pourraient être placés ailleurs sans difficulté, dans des lieux de culte d’autres religions ou dans des bâtiments publics. Ils n’ont plus rien, ou plus grand chose de spécifiquement religieux et chrétien.
Si l’emploi d’artistes athées n’est pas un problème intrinsèque, l’importance de la culture religieuse de l’artiste ne peut être un élément à négliger. Si un chrétien sans talent fournira certes une œuvre d’art médiocre, il est fort possible que le sens spirituel ou du moins pédagogique qu’il montrera sera par contre plus présent et plus saisissable que chez un article talentueux certes, mais athée et sans culture et sensibilité religieuse (il ne s’agit pas là de dire qu’un artiste athée ne peut avoir de culture et de sensibilité religieuse, mais d’insister sur la prééminence de la propagation de la foi sur la beauté de l’art).
Lorsque Jean Cocteau, dans les années 1960, fabrique les vitraux de l’église Saint-Maximin à Metz en y mettant des représentations mythologiques auxquelles il donne une interprétation spirituelle, on observe clairement le glissement qui s’effectue de symboles religieux et chrétiens vers des symboles spirituels. Le symbolisme et l’œuvre peuvent être réussis et beaux, ils n’ont cependant rien de chrétien.
Il est fâcheux de voir que le clergé a accepté, consciemment ou non, que leurs édifices religieux perdent un de leurs aspects spécifiquement catholiques. Ce dépouillement, ou, - disons le franchement - ce vandalisme, qui s’est accentué depuis Vatican II – et y a depuis changé les autels, fait disparaitre la chaire, bousculé l’architecture, le mobilier et les ornements, ... - met en avant une spiritualité diffuse, peut-être plus œcuménique, mais moins nettement catholiques.
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