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Depuis quelques décennies, il s’observe dans toute l’Europe des résurgences ouvertement païennes, lesquelles se présentent comme des alternatives à un christianisme essoufflé et à une Église en voie d’effondrement. Ce phénomène n’est pas massif, mais il doit interroger : il séduit malheureusement des âmes ardentes, prêtes au combat, souvent de souche catholique, mais qui ne se retrouvent plus dans le discours actuel de l’Église. Et nous ne pouvons que comprendre cette déception face à une Église trop molle, trop encline au compromis avec le monde, et qui ne semble plus assumer la défense de ceux qui lui ont été confiés. Mais cette déception ne doit pas nous détourner du Christ ni de la Tradition de l’Église. Nous-mêmes, catholiques, somme parfois obligés de revenir à ces sources essentielles pour rester fermes dans notre Foi et nous convaincre qu’il existe une force chrétienne capable de nous garder de l’effondrement moral et doctrinal du siècle. Car le paganisme ne saurait constituer une alternative valable, et sous bien des aspects, elle n’est qu’une supercherie. En effet, nous ne sommes pas en présence du paganisme, mais d’une forme réactualisée qui en est la parodie : le néo-paganisme.
Les néo-païens pensent revenir aux traditions ancestrales des Européens sans se rendre compte qu’ils en adoptent une contrefaçon. Les formes prises aujourd’hui par les cultes païens ne sont que des reconstructions de cultes et croyances perdues et sur lesquels nous ne savons presque rien. De fait, les paganismes historiques furent des traditions entièrement orales, qui ont été définitivement perdues au moment où l’Europe est devenue chrétienne jusque dans ses campagnes, à la fin de l’époque carolingienne. Pour qu’il y ait héritage, tradition, il faut recevoir d’une génération antérieure un dépôt ; or la totalité des ancêtres des Européens actuels furent des chrétiens, et ce depuis plus d’un millénaire. Les néo-paganismes relèvent donc du constructivisme le plus artificiel (parfois appelé reconstructionnisme), bricolés à partir de quelques sources historiques très suspectes, puisque pour beaucoup écrites par des chrétiens. Les fameux Edda, par exemple, qu’il s’agisse de l’Edda « poétique » ou celui de Snorri, relatifs à la mythologie nordique, sont l’œuvre de chrétiens islandais du XIIIe siècle. Les quelques éléments de mythologie glanés dans ces écrits médiévaux ne peuvent nous renseigner avec exactitude sur la réalité des croyances païennes d’Europe, qu’elles soient celtes, nordiques ou germaniques. Les paganismes grec et romain sont mieux connus, mais ce sont aussi ceux qui ont disparu le plus tôt en faveur du christianisme. La situation est encore plus problématique pour la question du culte, qui nous échappe presqu’entièrement. Il n’y a ainsi rien d’étonnant à ce que la « redécouverte » du paganisme européen soit l’œuvre de philologues et savants du XIXe siècle [1] : il fallait déployer des trésors d’ingéniosité, être un fin archéologue pour tenter d’en retrouver quelques vestiges. Ensuite, pour que ces redécouvertes puissent faire à nouveau l’objet d’une croyance, ces quelques connaissances furent mêlées à des pratiques occultistes, et plus tard, dans la seconde moitié du XXe siècle, à la mouvance New Age, notamment sous sa forme Wicca et néo-druidique [2]. On ne trouve rien de tangible dans ces derniers mouvements, lesquels se contentent le plus souvent de promouvoir une spiritualité diffuse, faite d’écologie et d’harmonie avec la nature, le tout teinté de sorcellerie et de chamanisme.
Plus intéressant sont les néo-paganismes qui se veulent la résurgence (mais qui en sont une pâle et impossible imitation) de paganismes anciens, en lien avec l’identité d’un peuple ou d’un territoire historique. Chaque région d’Europe possède en conséquence sa version : l’hellénisme pour la religion grecque antique et son panthéon de Douze dieux (interdite par l’empereur Théodose en 392 et 393) ; l’Ásatrú (« croyance en les Ases », divinités nordiques) pour le paganisme scandinave, qui tire ses enseignement des sagas islandaises et des Edda, et qui jouit de plusieurs reconnaissances étatiques [3] ; la rodnovérie (du mot russe pодноверие, qui signifie « la foi originelle »), qui est le néo-paganisme slave, principalement russe, mais qui a aussi ses déclinaisons polonaises, avec le Watra [4]. En France, le mouvement néo-païen a été largement défendu par la « Nouvelle Droite » [5], à partir des années 70 et 80, avec des figures de proue comme Dominique Venner ou Pierre Vial, fondateur de l’association Terre et peuple et partisan d’une vision « folkiste » du paganisme, ainsi qu’Alain de Benoist, d’avantage défenseur d’un « ethno-différentialisme » entre les peuples [6]. L’idée serait de défendre la spécificité des peuples, contre un mondialisme cosmopolite, individualiste, libéral, uniformisateur, à l’œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. D’où l’importance de la communauté et de la région, bases de l’autonomie et de l’identité. Mais qu’il s’agisse de sa version « spiritualité ouverte et tolérante », ou de sa version ethnique et identitaire [7], le néo-paganisme se présente toujours comme une alternative au christianisme. Pourtant, la seule et véritable tradition des Européens ne peut être que chrétienne.
[1] Au XIXe s., l’intérêt porté aux anciennes croyances populaires, notamment aux légendes, était désintéressé et n’avait aucune intention de ressusciter une religiosité païenne. La quasi-totalité des auteurs romantiques, qui furent souvent les premiers à s’y intéresser, étaient profondément chrétiens. Tout au plus pouvait-on leur reprocher une tendance au panthéisme.
[2] Aucune doctrine cohérente et unifiée ne réunit ces mouvances néo-païennes. Sans surprise, ce type de néo-paganisme, parfois proche de la sorcellerie, est surtout répandu dans les pays nordiques et anglo-saxons. On estime entre 200 000 et 300 000 le nombre de néo-païens aux États-Unis.
[3] L’Islande a poussé le néo-paganisme loin, puisque l’Ásatrúarfélagið, ou « l’association Ásatrú », qui promeut et organise la forme reconstruite du paganisme nordique, a été reconnue comme étant une organisation religieuse officielle en 1973, lui permettant ainsi de procéder légalement à des unions matrimoniales et de bénéficier d’autre part de la taxe religieuse. Depuis le 6 novembre 2003, ce culte a été reconnu officiellement au Danemark. https://www.tdg.ch/monde/Le-culte-d-Odin-connait-un-boom-en-Islande/story/23956900
D’une manière générale, on qualifie d’odinisme, du nom du dieu Odin, la version néo-païenne de la religion nordique ancienne. Le wotanisme en est une forme particulière, puisqu’il s’y mêle des considérations politiques extrêmes, sur fond de néonazisme.
[4] https://www.courrierinternational.com/article/2013/06/20/bienvenue-chez-les-paiens Dans les pays baltes, le paganisme a été reconnu lors de l’accession à l’indépendance de certains États : en Lituanie avec les païens de Romuva et en Lettonie avec ceux de Dievturi, par exemple.
[5] La Nouvelle Droite est née en 1969 avec la fondation du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE).
[6] Nous ne sommes pas solidaire de leur combat, et cet article le démontre. Néanmoins, toutes les idées défendues par la Nouvelle Droite ne sont pas contraires à la foi chrétienne. Leur critique du mondialisme, de la modernité, de l’individualisme, leur défense également de l’ethno-différentialisme, bien que discutable et discutée, ont une logique certaine. « Chaque peuple se doit de voir reconnu le droit à son identité, explique ainsi Pierre Vial. Je soutiens le combat des Touaregs et des Berbères en Afrique parce que leur combat est le même que le nôtre. »
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