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[EUTHANASIE] « Cela marche très bien dans les autres pays »

En ce début d’année, le Rouge et le Noir se propose de réfuter un par un chacun des arguments phares des partisans de l’euthanasie.
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Il est un argument qui fut fréquemment employé lors du débat sur le mariage ganymède : "cela marche très bien dans les autres pays". Cette déroute de la pensée est de nouveau employée sur l’euthanasie. C’est le mantra du gourou de la sinistre association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), Jean-Luc Romero : « Nous devons prendre exemple sur la Belgique ou les Pays-Bas ». Certains médias lui emboîtent le pas. Au hasard, Europe 1, qui qualifie ainsi l’expérience néerlandaise de « riche en enseignements ».

Riche en enseignements, en effet. Qui plaident justement pour ne pas suivre ces « exemples » étrangers. Point de polémique partisane, les faits parlent d’eux-mêmes. Nous analyserons donc la situation des trois États d’Europe qui ont autorisé l’euthanasie à l’heure actuelle : les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

La mise en place de l’euthanasie : combines parlementaires et coup d’État constitutionnel

Aux Pays-Bas et en Belgique, l’euthanasie a été autorisée grâce aux aléas du parlementarisme local : en l’absence des partis chrétiens-démocrates (d’inspiration protestante et catholique aux Pays-Bas, catholique en Belgique), renvoyés dans l’opposition, des coalitions « laïques » se mirent en place, et en profitèrent pour autoriser les transgressions éthiques. Preuve que l’anthropologie libérale est un bloc, ces coalitions rassemblaient socialistes, libéraux de droite et écologistes. Le mariage ganymède fut également légalisé dans le même mouvement. Le scrutin qui oblige à former des coalitions a empêché tout retour en arrière, même lorsque les chrétiens-démocrates revinrent au pouvoir.

Aux Pays-Bas, la coalition libérale-socialiste dépénalisa l’euthanasie et le suicide assisté en 2001. En Belgique, le gouvernement du libéral Guy Verhofstadt, alliant socialistes, libéraux et écologistes, fit de même l’année suivante. Au Luxembourg, c’est pourtant le parti chrétien-social du Premier ministre Jean-Claude Juncker qui lève l’interdit, en 2008. Cette imposture « chrétienne », dans un pays de culture catholique, s’est confirmée avec le vote de ce parti en faveur du mariage gay en 2014.

Les monarques locaux sont tenus de sanctionner les lois. Aux Pays-Bas, la reine Beatrix n’a aucun pouvoir de veto. A noter que la souveraine protestante refusa l’euthanasie de son fils, le Prince Friso, tombé dans le coma pendant un an, jusqu’à sa mort naturelle en 2013. En Belgique, le roi Albert voulait imiter son frère Baudoin, qui abdiqua pendant 36 heures pour ne pas sanctionner la loi sur l’avortement en 1990, mais il fut soumis à de telles pressions qu’il n’en fit rien. De même, le roi Philippe sanctionna la loi sur l’euthanasie des mineurs en 2014, pour sauver l’unité du pays.

En revanche, le grand-duc Henri du Luxembourg, catholique pratiquant, refusa de sanctionner la loi. Jean-Claude Juncker décida donc cyniquement de limiter les prérogatives du souverain. Désormais, le grand-duc ne peut plus signer les lois, mais simplement les promulguer. Un coup d’État constitutionnel, qui permit donc la dépénalisation de l’euthanasie, en 2009.

L’impossible « encadrement »

Aux Pays-Bas et en Belgique, des garde-fous furent mis en place. Dans le premier État, cinq commissions régionales eurent pour mission de veiller au cas par cas. Au Royaume voisin, c’est une Commission de contrôle au niveau fédéral qui fut instituée.

Les commissions néerlandaises maintinrent le niveau de décès par euthanasie à un niveau stable de 2002 à 2008, environ 2000 par an. Puis, en 2008, le nombre de morts s’envola, atteignant 4200 en 2012. Que s’est-il passé ? D’une part, la pratique des euthanasies s’est banalisée. « L’euthanasie est en voie de devenir une manière de mourir « par défaut » pour les malades du cancer », déplore Theo Boer, professeur d’éthique à l’Université théologique protestante de Groningue, et ancien membre d’une commission régionale de contrôle. Ce dernier est récemment intervenu dans le débat britannique, pour répondre au projet de loi de suicide assisté déposé à l’été 2014.

D’autre part, l’association pour une fin de vie volontaire (NVVE) est parvenue à organiser des unités médicales itinérantes, prêtes à administrer la mort sur demande. Enfin, comme le souligne Theo Boer, l’unique condition de « souffrir » de manière « insoutenable » pour demander l’euthanasie a été employée pour une extension de l’euthanasie : « On a répertorié des cas où une grande partie de la souffrance de ceux qui ont été euthanasiés ou qui ont reçu une assistance au suicide résidait dans le fait d’être vieux, seuls ou venant de perdre un proche. Certains de ces patients auraient pu vivre pendant des décennies.  »

En 2009, l’Ordre des médecins allemands a signalé l’installation croissante de personnes âgées néerlandaises en Allemagne, notamment dans le Land frontalier de Rhénanie-du-Nord - Westphalie. Ces personnes redoutent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. N’ayant plus confiance dans les praticiens néerlandais, elles s’installent en Allemagne, ou font appel à des médecins allemands. La presse allemande, compte tenu du passé nazi, est très critique de la législation néerlandaise, et n’a pas caché cette information glaçante.

En Belgique, le glissement fut encore plus rapide. La Commission de contrôle n’interdit aucune dérive, et se contente de consulter a posteriori les formulaires d’euthanasie. Rien d’étonnant puisque, sur 16 membres de la Commission de contrôle, 10 sont proches de l’association du droit pour mourir dans la dignité (ADMD), du même nom que sa sœur française. Celle-ci milite activement pour l’extension de l’euthanasie.

En 2012, le nombre d’euthanasies belges a battu un record, avec 1432 déclarations, soit 2 % des décès de Belgique, contre environ 250 en 2003. Les Flamands, plus sécularisés et plus proches du modèle néerlandais que les Wallons, concentrent 81 % des décès par euthanasie. Les partis flamands sont donc à la pointe des revendications d’euthanasie, notamment le puissant mouvement nationaliste, le parti chrétien-démocrate excepté.

En Belgique et aux Pays-Bas, on fait état d’un chiffre important d’euthanasies clandestines, en dépit de la loi, qu’il est difficile d’établir.

De l’euthanasie au suicide assisté

En février 2014, la Belgique a voté l’euthanasie des mineurs, dans un global consensus parlementaire, malgré la mobilisation tardive des "dossards jaunes". Aucune limite d’âge n’est fixée, alors que les Pays-Bas, dès 2001, l’ont établie à douze ans. Comme dans le Royaume néerlandais, les conditions posées sont l’affrontement par le patient de « souffrances physiques et insupportables  », et s’il est « en capacité d’en apprécier toutes les conséquences ».

Cette dérive démontre que les législations belge et néerlandaise sont sorties du seul cadre, préalablement fixé, de l’exception réservée à des malades en phase terminale. L’euthanasie devient un suicide assisté, assuré par l’État. C’est l’objectif avoué des ADMD française, belge et néerlandaise, unies dans la même fédération internationale au nom poétique, la World Federation of Right to Die Societies.

Cela s’exprime déjà dans les derniers cas d’euthanasies en Belgique : en janvier 2013, deux frères jumeaux, âgés de 45 ans, ont été euthanasiés en invoquant des souffrances psychiques liées à la perspective de devenir progressivement aveugles. En octobre, c’est un transsexuel qui obtient d’être euthanasié après une opération médicale ratée. Après un détenu euthanasié en 2012, la Belgique a fait marche arrière pour un autre cas similaire, en janvier 2015.

Le suicide assisté est l’objectif final des officines de type ADMD, qui revendiquent cet acte comme "l’ultime liberté". Ce but dépasse l’euthanasie des malades, qui leur sert en réalité de prétexte pour faire avancer cette cause. Voilà pourquoi des individus comme Jean-Luc Mélenchon, lucides sur les "dérives libérales" de l’euthanasie [1] , soutiennent pourtant le suicide assisté, par fidélité idéologique. Theo Boer ne dit pas autre chose, en parlant de l’ADMD néerlandaise : "Elle ne connaîtra pas le repos avant qu’une pilule létale soit rendue accessible à toute personne de plus de 70 ans qui souhaite mourir."

Cette duplicité avait déjà été dénoncée par Gilles Antonowicz, vice-président de l’ADMD française, qui en avait démissionné en 2008 : partisan de l’euthanasie, il ne voulait plus "cautionner" le suicide assisté, dénonçant "cet espèce de monde imaginaire, où, quand on serait vieux et un peu malade on irait chercher une pilule pour mourir tranquillement."

Le véritable exemple est donc, à terme, moins le Benelux que la Suisse, où le suicide assisté a pignon sur rue. L’Ordre des médecins suisse ayant décrété que cette pratique n’avait rien de médicale, ce sont des cliniques privées qui se chargent de la besogne, avec des associations dévoyées, comme Exit ou Dignitas.

Theo Boer, l’universitaire néerlandais, était favorable initialement à l’euthanasie aux Pays-Bas. "Mais aujourd’hui, avec douze ans d’expérience, mon point de vue est autre", déclare-t-il. Les dérives sont trop importantes : "une fois le génie sorti de sa bouteille, il y a peu de chance qu’il y retourne jamais."

Les exemples étrangers sont éloquents. Aucun cadre ne peut éviter les dérives, et la transformation de l’euthanasie "limitée", "au cas par cas", à l’organisation de suicides à grande échelle. N’y allons pas. A contrario, la loi Leonetti est unique en son genre. Les soins palliatifs sont la solution au "mal-mourir". Une voie française a été ouverte, elle fait honneur à notre pays. Elle doit être défendue.


[1Propos échangés avec l’auteur.

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